Comme l’an passé et contrairement aux années précédentes, les assureurs ne se bousculent pas au portillon pour annoncer leurs taux servis au titre de l'année 2015. Aucun rendement de fonds en euros n’a encore été dévoilé, l’essentiel des annonces étant attendues pour le début 2016. En juin dernier, Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet de conseil Facts & Figures, a pronostiqué un rendement moyen de 2,25% pour l’année 2015, en baisse de 0,25 point par rapport à 2014. Pour quels écarts entre les assureurs ? Et quelles perspectives à plus long terme ?

2,25% en moyenne en 2015 : maintenez-vous votre pronostic ?

Cyrille Chartier-Kastler : « Oui, je reste sur mon hypothèse. Cela ne reste toutefois qu'une moyenne, qui ne concerne par essence aucun assuré. Plus concrètement, nous partons sur une hypothèse de baisse de 0,25 point en moyenne pour l’ensemble des fonds en euros [en 2014, le rendement moyen a été d’environ 2,5%, NDLR]. Il faut être conscient de la très forte inertie de l’assurance-vie en euros : comme en 2014, le rendement 2015 repose avant tout sur les actifs acquis voici plusieurs années. Alors que les investissements réalisés ces deux dernières années n’ont pu se positionner que sur des obligations faiblement rémunérées. Cette inertie permet actuellement aux compagnies d’assurance d’atténuer la baisse de rendement. Pour les taux 2015, les décisions des assureurs concernant la PPB [provision pour participation aux bénéfices, réserve permettant de lisser la rémunération d’une année sur l’autre] auront aussi beaucoup d'importance. »

Lire à propos de cette réserve : Comment les assureurs stockent des bénéfices en réserve avec la PPB

Pensez-vous que certains assureurs vont doter leur réserve plus significativement que par le passé ?

C-K.: « Ils ont évidemment intérêt à abonder leur PPB. Quel que soit le scénario, disposer d’importantes réserves sera à leur avantage : pour amortir la baisse de rendement sur plusieurs années en cas de taux durablement bas, ou pour affronter une remontée soudaine des taux obligataires. Par ailleurs, les assureurs n’ambitionnent pas aujourd'hui de réaliser des collectes record [en servant un taux élevé, ce qui attire les épargnants, NDLR] : tout afflux de liquidités les obligent à investir leurs actifs sur des marchés obligataires peu rémunérateurs, ce qui leur serait défavorable à l’avenir. Et un autre élément entre en ligne de compte : l’entrée en vigueur de Solvabilité II [directive européenne instaurant des exigences accrues en termes de fonds propres, NDLR]. Les assureurs peuvent donc privilégier la dotation de la réserve plutôt que de servir un rendement trop important en 2015. »

Les premières « rumeurs » font état de baisses de rendement plus importantes que prévu, à hauteur de 0,50 point…

C-K.: « Il y a beaucoup d’intoxication. Les assureurs vont tout de même chercher à conserver un certain rendement sur les fonds en euros. »

L’an passé, les pronostics se sont révélés plus pessimistes que la réalité, avec une baisse finalement limitée, de 2,80% en 2013 à 2,54% en 2014. Ce scénario peut-il se reproduire ?

C-K.: « Oui, je pense que la baisse sera limitée. Je maintiens ma prévision d’une baisse d’environ 0,25 point. Pour un assureur, une diminution trop importante du rendement serait difficile à expliquer à ses clients. Les compagnies d’assurance vont probablement continuer à mettre en avant les bonus de rendement et à inciter les épargnants à investir sur les supports en unités de compte (UC). Ce qui laisse toutefois une question en suspens : ces compagnies ont-ils les moyens de favoriser les UC ? Les réseaux commercialisant des contrats patrimoniaux ont l’habitude et proposent une offre complète, mais la question se pose pour les réseaux bancaires ou d’agents généraux. Les conseillers sont-ils formés pour guider les clients dans l’investissement en unités de compte ? »

L'an passé, une démarcation symbolique s’est dessinée entre « moyens » et « bons » rendements, à plus ou moins de 3%. Les rendements 2015 au-dessus de 3% feront-ils exception ?

C-K.: « Il y aura encore des fonds en euros rémunérant plus de 3%. Mais, effectivement, la ligne de démarcation se situera probablement plus à 2%, séparant cette fois de nombreux fonds au-dessus de 2%, parfois uniquement pour quelques centimes [c'est-à-dire à 2,03% par exemple, NDLR], de ceux des assureurs qui auront le ''courage'' d’afficher du 1,90%, un taux qu’il faudra défendre face aux clients ! Raison pour laquelle les assureurs vont mettre en avant les bonus de rendement qui peuvent compenser des taux de base faibles. »

Comme en 2014, alors qu’approche la mi-décembre, aucun assureur n’a communiqué de taux. Par le passé, les premières annonces intervenaient dès le mois de novembre. Comment l’expliquez-vous ?

C-K.: « Les assureurs attendent de connaître le niveau du CAC40 et de l’OAT 10 ans [emprunts de l’Etat français, NDLR] au 31 décembre, des éléments pouvant avoir leur importance dans la détermination de la rémunération 2015. Les assureurs qui communiquaient tôt par le passé le faisait pour mettre leur rendement en avant et engranger les versements. Actuellement, les assureurs ont plus tendance à freiner la collecte sur les fonds en euros. »

Dans votre étude parue en juin (1), vous prévoyez une baisse régulière des rendements sur les quatre prochaines années, avec un taux moyen s’approchant de 1,50% en 2019. Une remontée est-elle totalement hors de propos ?

C-K.: « Ces perspectives sont établies sur la base des actifs actuels des fonds euros et des évolutions récentes. Des événements peuvent toutefois perturber les marchés, par exemple en cas de surprise à l’élection présidentielle de 2017. Mais si la situation n’évolue pas, notre scénario est le plus probable. J’insiste toutefois : dans une période de taux obligataires faibles, comme c’est le cas actuellement, l’inertie des fonds en euros de l’assurance-vie agit en faveur des épargnants, qui profitent des retombées des actifs investis en amont. A contrario, en cas de remontée des taux, l’assurance-vie aura plus de mal à afficher des rendements compétitifs. »

(1) « Baromètre 2015 de l’épargne-vie individuelle » du cabinet Facts & Figures.