En août, MasterCard a déboursé 2,85 milliards d’euros pour acquérir le danois Nets et son service de paiement instantané. Cette opération - la plus importante dans l'histoire du géant américain - lui permet de se diversifier au-delà de la carte bancaire. Un événement qui illustre les perspectives attendues pour ce nouveau mode de paiement.

Beaucoup d’émulations et d’attentes autour de l’Instant Payment

Une révolution autour du paiement instantané s’annonce : selon la Banque centrale européenne (BCE), il pourrait représenter 23% des paiements totaux en Europe d’ici 2023 (1) avec un taux d’adoption en France de 13% dès 2022. Depuis le lancement du système SCT Inst, le service de paiement instantané transfrontalier disponible dans les 34 pays de la zone SEPA en 2017, les cas d’usages européens se multiplient. Un projet entre la Deutsche Bank et l’IATA (Organisation internationale du transport aérien) vise à réduire les 7 milliards d’euros dépensés par les membres de l’organisation en frais bancaires et de gestion des fraudes.

« La plupart des banques facturent les paiements instantanés entre 0,60 et 1 euro par transaction »

En France, la liste des banques permettant les virements d’un compte à un autre en quelques secondes ne cesse de s’allonger : Groupe BCPE, BNP Paribas, Boursorama, etc. Le service se déploie également à travers Paylib depuis avril 2019. Enfin, Natixis et Air France ont annoncé un partenariat qui permettra, entre autres, le remboursement immédiat des clients de la compagnie.

Une révolution encore peu palpable en France

Si BNP Paribas et la Société Générale se réjouissent d’avoir enregistré chacun 2 millions de virements instantanés depuis le début 2019, nous sommes encore loin des 325 millions de virements classiques effectués tous les mois en France (2) - sans parler des 200 millions d’Instant Payments mensuels en Grande-Bretagne, pays dans lequel le paiement instantané est lancé depuis 2008. Cette lente montée en puissance s’explique notamment par un modèle économique encore incertain autour de ce service. En effet, il nécessite des investissements coûteux et doit trouver sa place entre le virement classique gratuit et la carte bancaire. A l’heure actuelle, la plupart des banques facturent les paiements instantanés - entre 0,60 et 1 euro par transaction - ralentissant ainsi probablement leur développement. La révolution annoncée de l’Instant Payment n’aura donc pas lieu tant que l’équation cas d’usage/prix n’aura pas été résolue.

Une accélération mise à mal par l’incertitude autour de la DSP2

La directive européenne sur les services bancaires (DSP2) semble à première vue favorable au paiement instantané. En effet, elle renforce la sécurité des transactions grâce à l'authentification forte, une procédure d'identification avec double vérification qui combine par exemple un mot de passe avec l’envoi d’un SMS. La directive permet aussi aux nouveaux acteurs du marché d'initier des ordres de paiement en leur donnant accès aux données bancaires nécessaires via les interfaces de programmation – APIs – des banques.

« Les usages du paiement instantané sont prometteurs et multiples »

Pourtant, sa mise en place complexifie pour le moment le parcours client : redirection sur les sites des banques pour l'authentification, renouvellement des mots de passe tous les trois mois, etc. Enfin, l’ampleur du chantier est telle qu'au moment de l'entrée en application de la directive en septembre, seules 18% des banques étaient pleinement conformes à ses exigences (3).

Les cas d’usage sont prometteurs pour l’avenir

La patience est donc de rigueur pour l’innovation portée par le paiement instantané. Dans les prochains mois, la généralisation sera probablement portée successivement par les trois cas d’usage suivants :

D’abord l’enrichissement des services bancaires par les banques elles-mêmes : par exemple le paiement des primes sinistres de Natixis Assurances, les virements des grandes entreprises pour Société Générale ou encore le déclenchement instantané de crédits consommation.

Ensuite le paiement entre individus, avec le transfert d'argent entre amis, les achats de biens et services sur les plateformes d'économie collaborative (Leboncoin, Vinted, Lulu dans ma rue, ...), ou les artisans indépendants qui pourraient se passer alors du chèque. Mais cela nécessite de trouver la bonne application pour réaliser le paiement, rôle que Paylib, Lydia ou LyfPay aimeraient tenir.

Et enfin la création de nouveaux services de paiement pour les entreprises, offrant des services à valeur ajoutée comme le paiement à la commande, les remboursements instantanés, l’encaissement en ligne sécurisé … Sur ce volet les perspectives restent incertaines tant la carte a imposé son modèle en France.

Les usages du paiement instantané sont prometteurs et multiples et laissent présager un déploiement certain, une fois les exigences réglementaires de la DSP2 respectées par l'ensemble des établissements bancaires, soit a minima après 2021. La complexité de leur mise en place exige cependant des différents acteurs de se positionner dès maintenant : si les banques doivent anticiper le phénomène - comme l’a fait Arkéa avec l’élargissement des assurances de cartes bancaires aux paiements instantanés - , les commerçants et fournisseurs de service ont tout intérêt à tester des cas d’usage concrets, comme Uber qui payera bientôt instantanément les chauffeurs après chaque course dans une logique de fidélisation.

Franck Van Daële
© 2019 Franck Van Daële

Franck Van Daële est Directeur chez Mawenzi Partners, en charge du développement dans les Services Financiers. Mawenzi Partners est un cabinet de conseil en stratégie focalisé sur les leviers de la croissance.

(1) BCE 2018

(2) Chiffres 2017 de la Banque de France

(3) Selon la plateforme suédoise d'open banking Tink – novembre 2019