L’heure est grave : face au taux bas, gendarmes financiers et assureurs annoncent la fin du « fonds euros roi ». Des déclarations à prendre au pied de la lettre ? Va-t-on enterrer le fonds en euros ? Comment réagir à la nouvelle donne ? Eléments de réponse, en 8 questions.

1 – Le fonds en euros est-il vraiment « mort » ?

Non ! La phrase choc a été prononcée par Jean-Laurent Granier, PDG de Generali, dans Les Echos : « Le monde du fonds euros roi est terminé ! » Quelques jours plus tôt, le vice-président du gendarme banque-assurance (ACPR), Bernard Delas, conseillait aux épargnants de « renoncer aux produits en euros ». Sur cette base, le message renvoyé au grand public est : « le fonds en euros, c’est fini ». Un séisme, puisque plus de 70% des versements en assurance vie se font encore sur le fonds en euros, support sécuritaire et rémunérateur (1,83% en 2018 en moyenne).

« Ces déclarations, on les entend chaque année ! »

Mais ce n’est pas la première fois que le support majeur de l’assurance vie est envoyé à la morgue : « Toutes ces déclarations, on les entend chaque année ou presque ! Le fait que le monde du 100% fonds en euros est terminé, on le sait depuis longtemps !, s’agace Antoine Delon, président du courtier Linxea. Je n’apprécie pas que l’on sème la terreur. » Un constat, toutefois : le message est plus alarmiste que ces dernières années. Et les prises de position s’avèrent plus radicales et plus crispées. Exemple : le président de l’association d’épargnants Afer, Gérard Beckerman, « ne partage en aucune mesure les positions de M. Granier », et affirme à l’AFP renouveler « sa confiance dans les fonds euros ».

2 – Pourquoi le discours des assureurs est-il si alarmiste ?

En 2019, les taux des marchés monétaires ont encore baissé… Cet été, les taux des emprunts d’Etat à 10 ans (TEC10) sont passés pour la première fois sous la barre de zéro ! « Il y a parfois un décalage très fort entre la perception qu’ont les Français de leur épargne, et la réalité des marchés financiers », insiste Valéry Jost, associé du cabinet Forsides. « En 2008, nous avons affronté une crise majeure et certains épargnants de la baisse, pourtant très faible, de rendement du fonds en euros… En 2019, nous faisons face à une véritable rupture de modèle : les taux négatifs, c’est totalement inédit ! Paradoxalement, conserver de la valeur suppose d’en perdre un peu. »

« Les taux négatifs, c’est totalement inédit ! »

Bernard Le Bras, président du directoire de l’assureur Suravenir, explique dans un entretien à MoneyVox être contraint de revoir sa stratégie, en partie basée sur des fonds en euros rémunérateurs : « Le TEC10 est à -0,25% fin septembre, et c’est ce chiffre qui servira de photographie pour nos ratios de fonds propres Solvabilité 2 [normes européennes pour les assureurs, NDLR]. Ces données peuvent sembler abstraites mais cela signifie que la richesse future est négative. Si je garantis un capital entrant sur un fonds en euros, je sais que la valeur de ce capital va diminuer dans les années à venir, alors que je dois garantir le montant versé à l’épargnant… Dans ces conditions, il n’est pas possible de commercialiser éternellement du fonds en euros, du moins pas comme aujourd’hui. »

3 – Le fonds en euros n’est-il pas censé être préservé des soubresauts de l’économie ?

Les actifs financiers présents sur l’ensemble des fonds en euros continuent de rapporter de l’argent ! Le rendement brut (pas celui servi aux épargnants) a grimpé à 2,82% l'an dernier, selon le cabinet Facts & Figures. Le même cabinet estime les réserves (PPB) stockées par les assureurs à 3,83% supplémentaires. Presque trois fois plus qu’en 2012 ! Autrement dit, les assureurs ont assuré leurs arrières…

« Certains n’ont pas peur que leurs clients fuient l’assurance vie… »

Antoine Delon, de Linxea, dénonce une communication trop alarmiste : « Certains assureurs n’ont pas peur que leurs clients fuient l’assurance vie… ». Leur objectif : éviter toute nouvelle collecte nette sur le fonds en euros, car les « vieux » actifs financiers du fonds sont rentables, pas les nouveaux. Il s'agit donc d'éviter que le fonds ne grossisse. « Aujourd’hui, pour certains assureurs cela devient plus risqué d’accepter de nouveaux clients générant de fortes pertes sur les richesses de la collectivité, plutôt que de ne pas avoir de nouveaux clients », reconnaît Arnaud Cohen, président du cabinet Forsides.

4 – Quels sont les risques pour les épargnants ?

« Le risque principal est que la richesse accumulée sur les fonds en euros commence à décroître et ne permette plus d’assurer la transformation de l’industrie », décrypte Arnaud Cohen. « C’est ce qui se profile si les assureurs ne réagissent pas immédiatement. Le deuxième risque est une raréfaction brutale de l’offre de fonds en euros, alors que la transition peut être progressive. »

5 – Quelle contrainte nouvelle pour les épargnants ?

Les assureurs doivent freiner toute entrée sur leur fonds en euros. Principale mesure : des conditions d’accès restreintes. Generali compte contraindre tout épargnant à investir 60% d’un versement sur les unités de compte (UC), des supports plus risqués que les fonds euros. Quand ? « Début 2020 est réaliste », répond Generali à MoneyVox, en confirmant qu’il compte l’appliquer à l’ensemble des contrats.

Restrictions chez Generali : « Début 2020 est réaliste »

Crédit Agricole Assurances, leader du marché, esquisse dans L’Agefi des contraintes d’accès plus ou moins fortes selon les profils de clients. Selon Marchés Gagnants, l’Afer et Aviva n’acceptent désormais les ouvertures de contrats de plus de 100 000 euros que si 30% de l’épargne est investie en UC. Ce type de conditions pourrait se généraliser. Y compris au « premier euro », pour les plus petits versements, comme envisage de le faire Suravenir à court terme.

6 – Est-il encore possible de miser à 100% sur un fonds en euros ?

En théorie, les contrats où vous pouvez investir à 100% sur le fonds en euros sont encore nombreux, y compris sur l’assurance vie en ligne. Et les assureurs ne peuvent pas toujours vous contraindre à orienter vos versements vers les UC : tout dépend des termes de votre contrat.

« On risque de créer un effet de panique »

Par ailleurs les annonces se limitent à ce stade à de simples déclarations d’intention : « Le seul élément concret que l’on a reçu de la part de nos 4 partenaires assureurs, c’est que Generali compte baisser très significativement la rémunération de ses fonds en euros en 2019. Rien de plus », affirme Antoine Delon, de Linxea. « Il y a un exercice de communication visant à repousser les clients du fonds en euros. C’est contre-productif : on risque plutôt de créer un effet de panique et d’attirer des versements en masse sur le fonds en euros fin 2019, comme pour les soldes ! »

Mais attention : les fonds euros les plus accessibles sont rarement les plus rémunérateurs. Et si un assureur est contraint d’accepter un versement sur le fonds à capital garanti, il reste ensuite libre de servir un taux d’intérêt au plus bas…

7 – La rémunération du fonds en euros va-t-elle s’écrouler en 2019 ?

Le « plan com’ » est ficelé : les assureurs annoncent les uns après les autres une forte baisse du rendement servi pour l’année 2019. Histoire de préparer les esprits. Dans son baromètre annuel de l’épargne vie, Facts & Figures annonçait déjà une baisse de « 0,30 à 0,40 point », ce qui abaisserait le rendement moyen à près de 1,40%.

Vers une baisse de « 0,30 à 0,40% » ?

Aucune raison de « paniquer », toutefois, pour Valéry Jost, de Forsides : « L’industrie s’est organisée pour que les rémunérations du fonds en euros restent positives pendant au moins plusieurs années. Mais les assureurs doivent réagir vite pour éviter un choc plus brutal. »

8 – Quelles alternatives au fonds en euros sont disponibles ?

« Di-ver-si-fier », répondent en chœur les acteurs du secteur quels qu’ils soient. « Nous avons un système d’épargne qui est sain : le fonds en euros est un produit extraordinaire, assez rentable pour un support sans risque, mais il doit être utilisé avec parcimonie ! », explique ainsi Antoine Delon, président du courtier en ligne Linxea. « Nous expliquons déjà à nos clients que s’ils veulent profiter d’un bon fonds en euros, il ne faut pas y miser 100% de son épargne. Les fonds les plus accessibles ne sont pas les plus rémunérateurs. » Sur quelles UC investir la part non-versée sur le fonds en euros ? « Par exemple, on peut mettre jusqu’à 10% d’un contrat sur des UC immobilières », juge le courtier, auxquelles il convient alors d’ajouter une poignée d’UC en actions européennes, une autre en actions internationales, etc. Les assureurs, eux, vont surtout chercher à rendre leurs options de gestion pilotée de plus en plus attractives.

Voir une sélection de contrats où le 100% fonds en euros est (encore) possible