Votre assurance de prêt immobilier vous coûte trop cher ? Depuis 2018, vous pouvez changer d’assurance emprunteur, une fois par an, même plusieurs années après avoir signé votre crédit ! Pourtant, les emprunteurs ne s'engouffrent pas en nombre dans cette brèche…

« Une révolution ! » Voici pour résumer comment la « loi Bourquin » - plus précisément « l’amendement Bourquin » - a été accueillie dans le monde bancaire. Depuis janvier 2018, peu importe l’année de souscription de votre crédit immobilier : vous pouvez changer d’assurance de prêt quand vous le souhaitez ! Ou plutôt, une fois par an. Pour faciliter cette nouvelle procédure de changement d’assurance, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) a même instauré une date unique à prendre en compte pour savoir quand vous pouvez changer d’assurance : la « date anniversaire de la signature de l’offre de prêt ». En clair, si vous souhaitez quitter votre assureur pour un autre, il faut retrouver la date de signature de votre crédit et lancer votre demande 3 ou 4 mois en amont, afin d'anticiper le préavis légal de 2 mois. Voilà pour la théorie.

« Pas le raz-de-marée attendu »

Dans les faits, la « révolution » a-t-elle eu lieu ? Les statistiques officielles, tenues par la Fédération française de l’assurance (FFA) n’ont pas encore été dévoilées pour 2018. Mais le suspense n'existe pas : « Nous n’avons pas eu le raz-de-marée attendu », reconnaît sans hésiter Astrid Cousin, porte-parole du comparateur spécialisé Magnolia. « Nous avons eu beaucoup de demandes début 2018, mais le taux de transformation final est extrêmement réduit. » Un constat partagé par Patrick Petitjean, fondateur du courtier en assurance Utwin : « Nous sommes très très loin des hypothèses partagées par beaucoup avant l’entrée en vigueur de l’amendement Bourquin. » La rédaction a contacté quelques banques sur le sujet, sans suite.

Martial Bourquin : « il y a 3 milliards d’euros à récupérer »

En « off », les banquiers ne cachent pourtant pas leur « ouf » de soulagement : car le marché de l’assurance emprunteur pèse tout de même plus de 9 milliards d’euros de cotisations par an ! Et les banques accaparent 85% du marché de l’assurance de prêt immobilier, laissant 15% aux assureurs « alternatifs » (Macif, Aesio, Allianz, April, Metlife, etc.), non filiales de groupes bancaires. Plus précisément, on parle d’« assurance groupe » quand vous acceptez la couverture proposée par la banque où vous empruntez, et d’« assurance déléguée » quand vous faites appel à une compagnie tierce. Tous les acteurs interrogés le concèdent : les parts de marché entre assurance groupe bancaire (85%) et assurance déléguée (15%) n’ont pas été redistribuées par la « résiliation Bourquin ».

Le sénateur Martial Bourquin, à l’origine du fameux amendement, tire lui-même un constat d’échec : « Le secteur bancaire a capturé l’argent de ces assurances qui sont à des prix prohibitifs, voire scandaleux parfois », a-t-il déclaré fin juin. « On ne peut pas rester dans la situation actuelle. » Or, selon Martial Bourquin, sur les 9 milliards d’euros de cotisations annuelles, « il y a 3 milliards d’euros à récupérer » pour les emprunteurs ! Raison pour laquelle il a déposé une proposition de loi sur le sujet, qui a toutefois bien moins de chance d’aboutir que son amendement : il avait habilement greffé sa mesure, début 2017, à une loi de ratification d’ordonnances que le gouvernement Cazeneuve se devait de faire adopter.

Des emprunteurs qui abandonnent face aux manœuvres des banques

Pourquoi les Français n’ont pas massivement changé d’assurance, malgré les potentielles économies à la clé ? Et malgré une vague de simulations de changement d’assurance, début 2018, sur les comparateurs web. « De nombreux ménages remboursant un crédit ne savent pas qu’ils peuvent changer d’assurance », relève d’abord Patrick Petitjean, pointant donc un déficit d’information. Certains emprunteurs se sont aussi penché sur le sujet... avant d’abandonner : « Beaucoup d’emprunteurs se sont rendu sur un site et ont vu leur gain potentiel », poursuit Patrick Petitjean. « Certains ont jugé la démarche trop complexe pour le gain affiché », inférieur aux 10 000 ou 15 000 euros parfois promis dans les publicités. Au-delà de ce « frein psychologique », d’autres emprunteurs ont abandonné face au « frein technique » opposé par les banquiers : « Dans 30% des cas, les banques ne répondent pas à la demande de substitution de l’assurance », affirme Astrid Cousin, du comparateur Magnolia. « Nous faisons toutes les relances nécessaires », ajoute Patrick Petitjean, d’Utwin, « puis la banque embraye sur un problème d’équivalence de garantie : au final, le délai s’allonge, et le client finit par se décourager… »

Des cas de « doubles prélèvements de cotisation d’assurance »

Astrid Cousin évoque aussi des banques réclamant des « pièces manquantes » : « Nous envoyons systématiquement les trois documents nécessaires, la lettre de résiliation, le nouveau contrat d’assurance et ses conditions générales, mais on nous demande parfois un “bon pour accord” censé marqué l’acceptation du tarif standard par le nouvel assureur, alors que ce document n’est absolument pas nécessaire ! » Plus grave : « Certaines banques laissent courir un double prélèvement de cotisation d’assurance, l’ancienne et la nouvelle », affirme Patrick Petitjean. « On pourrait aller en justice pour ce genre de pratique ! Mais c’est souvent l’emprunteur lui-même qui renonce face à tant de difficultés. »

Les banques ont longtemps joué sur l'ambiguïté concernant la date à prendre en compte pour la demande de résiliation : suite à la décision du CCSF, à compter du 1er juillet 2019, elles doivent toutes se baser sur la date anniversaire de signature du contrat de crédit. « Cela clôt le débat sur la date d'anniversaire, mais cela ne règle pas tout », juge Patrick Petitjean, d’Utwin. Certains particuliers stoppent eux leur démarche de résiliation en acceptant la contre-proposition de leur banque : une assurance alternative proposée par l’assureur filiale ou un partenaire, avec un tarif plus attractif. Des offres défensives que Patrick Petitjean qualifie d’« immorales », car favorisant uniquement ceux qui lancent la démarche de résiliation…

Un dossier refermé suite à la signature du prêt immobilier…

Paradoxalement, la « résiliation Bourquin », accessible à l’ensemble des ménages remboursant un crédit immobilier, est moins utilisée en 2018-2019 que les deux précédents dispositifs favorisant les assurances alternatives : la « substitution Hamon », que l’on active lors de la première année de remboursement, et surtout la délégation « loi Lagarde », au moment de la signature du crédit. Sur Magnolia.fr, les dossiers « Bourquin » représentent 23% des changements d’assurance, contre 28% pour « Hamon », les près de 50% restants concernant une délégation d’assurance conclue dès la signature du prêt immobilier.

« Un élément de négociation avant la souscription du crédit »

« L’assurance emprunteur reste clairement un élément de négociation avant la souscription du crédit ! Au même titre que l’assurance habitation, de plus en plus », juge Christophe Boiché, directeur des assurances au sein du groupe Meilleurtaux. « La délégation finira par décoller. En cette période de taux bas, l’assurance représente 30% du coût du crédit… Cela devrait être l’un des éléments centraux pour l’emprunteur, au moins au même niveau que le taux d’intérêt. » Si vous ne parvenez pas à négocier une délégation d’assurance avant de signer votre offre de prêt, faute de disposer d’un suffisamment « bon dossier » aux yeux de la banque, vous pourrez toujours activer les substitutions « Hamon » ou « Bourquin ». A condition de vous armer d’une certaine détermination.

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