Vos parents sont retraités, septuagénaires ou octogénaires ? Pas encore dépendants physiquement, ils vous semblent toutefois peu à l’aise avec leurs finances, voire vulnérables vis-à-vis de personnes peu scrupuleuses ? Vous pensez qu’il faut les aider à gérer leur argent ? Ce qu’il faut savoir.

Lorsqu’une personne âgée perd une partie de ses facultés mentales, une curatelle voire une tutelle peut être mise en place. Une décision contraignante, aussi bien pour la personne protégée que pour son curateur ou tuteur, et qui passe par le juge des tutelles. Cependant, avant de basculer dans la curatelle ou la tutelle, les seniors peuvent longuement vivre dans ce que le gendarme bancaire appelle la « zone grise » : ne pas encore être vulnérables, tout en ayant perdu leur vivacité d’esprit…

Les seniors sont-ils des « cibles faciles » ?

« Chaque fois que ma mère, 74 ans, revient de chez le banquier, elle m’annonce qu’elle a souscrit 3 à 4 nouveaux produits », témoigne François. La liste des produits concernés va du contrat obsèques au contrat prévoyance en passant par le compte à terme, une nouvelle option sur le PEA, des parts sociales bancaires voire des livrets d’épargne fiscalisés, même si le Livret A n’a pas atteint le plafond. Rien d’excessivement risqué, mais des produits pas forcément indispensables pour cette septuagénaire peu à l’aise avec les finances. « Je dois régulièrement m’empresser de lui faire renoncer à des ouvertures de comptes bancaires », poursuit François, qui souligne que sa mère est aussi la cible de « démarcheurs téléphoniques et à domicile », pour d’autres types de biens de consommation.

Les seniors sujets « à de mauvaises pratiques de commercialisation » voire des « escroqueries »

« Mais même dans le cas d’un ''vieillissement normal'', la diminution des capacités des personnes vieillissantes et plus particulièrement de leurs habiletés cognitives, couplée au fait qu’elles peuvent le cas échéant disposer d’un certain patrimoine financier, rend ces personnes particulièrement vulnérables », exposent les gendarmes bancaire (ACPR) et financier (AMF) dans un rapport commun sur les finances des personnes âgées, préalable à de vastes travaux lancés en 2019. Les personnes âgées faisant partie de cette fameuse « zone grise », pas encore dépendantes mais potentiellement vulnérables, peuvent selon les régulateurs être « sujettes à de mauvaises pratiques de commercialisation (conseil insuffisant, vente de produits non-nécessaires ou inadaptés), voire victimes d’escroqueries ».

La question de l’abus de faiblesse ou de confiance

D’un point de vue pénal, l’abus de faiblesse consiste à profiter de la vulnérabilité d’une personne pour l’inciter à réaliser des actes qui lui sont préjudiciables. On parle d’abus de confiance lorsque l’on s’approprie un bien confié par la victime. Ces deux abus sont passibles de 3 ans de prison et de 375 000 euros d’amende. Comme le soulignent l’ACPR et l’AMF, les seniors vulnérables peuvent être victimes d’abus de la part de démarcheurs, de conseillers bancaires ou financiers, mais aussi de la part de proches (famille, amis…) qui profiteraient de cette proximité.

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Quand les enfants doivent-ils ou peuvent-ils intervenir ?

« Le client est le meilleur conseiller : tant qu’il est intellectuellement en capacité de prendre des décisions, tout passe par lui, peu importe son âge », insiste Valérie Bentz, responsable des études patrimoniales de la « banque conseil en gestion de patrimoine » UFF. « Il n’y a pas de règle » sur le moment où les enfants peuvent être intégrés dans les finances de leurs parents, confirme Fabrice Courault, président de Nostromo, société d’ingénierie patrimoniale, en ajoutant : « C’est un sujet avant tout très humain ! » Tant que la personne âgée n’est pas vulnérable au point d’envisager une curatelle ou une tutelle, toute assistance familiale doit passer par la discussion, et la volonté du senior.

Comment les enfants peuvent-ils prendre la main sur les finances de leurs parents vieillissants ?

Lorsque les seniors ne sont plus à même de gérer pleinement leurs finances, différents degrés d’assistance sont envisageables, avant d’en venir à la curatelle ou tutelle :

  • La procuration sur les comptes bancaires : le titulaire du compte et la personne choisie pour la procuration co-signent un mandat permettant à cette personne de confiance d’effectuer les opérations définies dans ce document. Cette procuration peut être limitée dans le temps, en montant ou à certains produits. Un rendez-vous en agence bancaire, avec des justificatifs d’identité, est généralement nécessaire.
  • Le mandat de protection future : entré en vigueur en 2009, ce mandat peu connu du grand public permet d’anticiper une altération des facultés intellectuelles, sans que l’intervention d’un juge soit nécessaire. Les pouvoirs du mandataire (le proche désigné par le senior) dépendent des termes de l’acte, rédigé sous seing privé (sans intervention d’un officier public) ou par acte notarié. Le mandat prend effet quand « le mandant ne peut plus pourvoir seul à ses intérêts ». Les notaires précisent sur leur site que « cette impossibilité doit être médicalement constatée par un médecin » figurant sur une liste officielle. Ce mandat de protection prend fin au décès, ou dès qu’un juge prononce une curatelle ou une tutelle.

Comment éviter les conflits familiaux ?

« Mes parents ont une très faible culture financière », raconte un lecteur de cBanque, qui s’intéresse lui de plus près aux questions d’argent. Investisseur en résidence pour personnes âgées, il leur conseille un logement qui lui semble adapté à leurs besoins. Surprise : ce lecteur s’aperçoit plus tard que ses parents ont déménagé sans l’en avertir dans un appartement loué par son frère… Au-delà cette désagréable surprise, ce lecteur évoque de nombreuses incompréhensions – ou omissions volontaires – dans ses discussions avec ses parents sur les questions financières, ainsi que la découverte, plus tardivement, de modifications étonnantes sur la clause bénéficiaire de l’assurance vie.

« Il faut être le plus clair possible dans le mandat, que cela se fasse en toute transparence »

Les cas de conflits familiaux lors des vieux jours ou au décès des parents sont légion. D’où la difficulté pour un enfant de « prendre la main » sur les finances des parents. « Si un enfant prend la main sur le compte courant : attention aux responsabilités et à ce que cela peut impliquer lors de la succession ! », met en garde Fabrice Courault, de Nostromo. « Il faut être conscient de ces difficultés. Il faut être le plus clair possible dans le mandat de protection future, ou dans la procuration, que cela se fasse en toute transparence. On peut organiser le mandat en prévoyant un bilan annuel de gestion, afin que la famille soit toujours au courant de l’évolution des finances du ou des parents. Ce mandat peut être réalisé sur mesure pour préserver l’harmonie familiale. En cas de désaccord, le mandat peut ensuite évoluer vers la tutelle. »

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L’argent, un sujet tabou ? cBanque a contacté deux associations spécialisées dans le lien familial, mais aucune n’a estimé avoir d’éléments à apporter sur ce sujet.

Comment les conseillers financiers sont-ils censés agir ?

Dans leur rapport commun, les gendarmes financiers évoquent les améliorations récentes des banques et assureurs concernant la prise en charge des seniors vulnérables. Certains établissements annoncent des protocoles tels que la validation du directeur d’agence pour toute souscription de produit passé 70 ans.

Une alerte pour « une demande de changement de bénéficiaire après 75 ans »

En tant que gestionnaire d’assurance vie, le groupe Covéa (MMA, Maaf, GMF) est confronté à la question du vieillissement : « En cas d’avances ou de retraits importants, de la part d’une personne âgée, nous devons nous assurer que l’assuré est en capacité physique et intellectuelle de prendre cette décision », explique le directeur marketing des offres Covéa Vie Geoffroy Brossier. « Nous avons mis en place des alertes : par exemple sur l’investissement en unités de compte ou une demande de changement de bénéficiaire après 75 ans. On va s’assurer que la personne est consciente des conséquences de son opération : on pose une série de questions sur la connaissance des risques, ou sur la possibilité de requalification dans le cas d’un changement de clause bénéficiaire. » Le groupe vient aussi de signer un partenariat avec l’association France Tutelle, qui intervient pour la formation des conseillers financiers mais « surtout en soutien des aidants familiaux qui se retrouvent confrontés au vieillissement d’un parent ».

A cet âge, faut-il migrer tout l’argent vers du 100% sécurisé ?

A 75 ou 80 ans, est-il utile voire raisonnable de posséder un PEA, des SCPI ou une assurance vie investie pour moitié en unités de compte (UC), sans garantie en capital ? Les assureurs du groupe Covéa (MMA, Maaf, GMF) empêchent de nouveaux investissements en UC pour les assurés de plus de 80 ans, sans toutefois inviter systématiquement leurs assurés à migrer toute l’épargne vers le fonds en euros, le support sécurisé de l’assurance vie. « A cet âge, il n’y a pas de produit miracle », réagit Fabrice Courault, de Nostromo. « Le réflexe va souvent être celui de la prudence, mais il faut s’intéresser aux objectifs, et à l’ensemble du patrimoine. Par exemple, en présence d’immobilier locatif, un senior peut exprimer une lassitude quant à la gestion de ce bien. Quant au type de produits financiers, tant que l’on reste sur un petit pourcentage d’actions, pourquoi pas ? » L’important étant avant tout d’éviter une opération risquant de dilapider une importante partie du patrimoine.

Des seniors de plus en plus riches

« En 1986, le patrimoine net médian des trentenaires était 45% plus élevé que celui des plus de 70 ans », relève le think-tank gouvernemental France Stratégie dans un rapport publié en novembre dernier. Or, en 2015, le patrimoine net (sans les dettes) médian des trentenaires est « 3 fois plus faible » que celui des septuagénaires ! Le patrimoine net moyen des plus de 70 ans est aujourd’hui de 261 000 euros : France Stratégie estime que sa progression va s’amplifier jusqu’à grimper à « entre 334 000 et 368 000 euros en 2030 ».