Les start-ups de la finance attirent un nombre croissant d’investisseurs. Près 40 milliards de dollars y ont été investis en 2018 dans le monde, deux fois plus qu’en 2017 et 5 fois plus qu’en 2014. Les investisseurs voient-ils dans les fintechs les futures Google et Amazon ou misent-ils aveuglément sur des sociétés fragiles ? Réponse d’Antoine Baschiera, président de l'agence de notation Early Metrics.

Antoine Baschiera Early Metrics

Antoine Baschiera est PDG et co-fondateur de l’agence de notation spécialisée dans les start-ups Early Metrics. Implantée à Paris, Londres, Berlin et Tel-Aviv, elle a audité plus de 2 400 jeunes pousses.

Les banques, les assureurs, les fonds de capital-risque généralistes investissent dans les fintechs. Des fonds dédiés sont même créés. Ne s’emballent-ils pas un peu trop vite pour ce secteur très jeune ?

Antoine Baschiera : « Clairement, il y a un effet d’emballement. La fintech est probablement l’un des seuls secteurs à intéresser autant les corporates [les banques, les assureurs et autres sociétés financières… ndlr] que les acteurs de la finance traditionnelle comme les fonds de capital-risque. Cette multiplicité des investisseurs potentiels, qui se concurrencent sur les levées de fonds, n’est pas sans conséquence sur les montants levés par les fintechs. La pression concurrentielle permet aux fintechs d’atteindre facilement leur objectif de collecte voire même de les dépasser. Résultat, on observe qu’à maturité égale les jeunes pousses de la finance ont tendance à lever plus que les start-ups du retail [commerce de détail, ndlr] par exemple . »

fintech, CB Insights
Source : CB Insights
Les rachats de fintechs par des banques apportent-ils de la crédibilité au secteur ?

Antoine Baschiera : « Ces rachats montrent aux sociétés de capital-risque qu’il y a une voie de sortie possible. En d’autres termes, le dynamisme des corporates a deux conséquences. L’intérêt des banques et des assureurs pour la fintech accroît la compétition entre les investisseurs. Ensuite, il aiguise l’appétit des fonds d’investissement qui voient là une possibilité de revendre aisément leurs participations. Dans les deux cas, cela conduit à gonfler les fonds levés. »

Jugez-vous que certains acteurs bancaires, comme le Crédit Mutuel Arkéa en France qui multiplie les prises de participation, sont trop investis dans ce secteur ?

Antoine Baschiera : « Entre l’incubation, le partenariat commercial ou la prise de participation directe, il existe différents leviers pour se lier à une fintech. C’est pourquoi la notion d’investissement au global est complexe à appréhender. Certaines banques sont en effet très exposées aux start-ups de la finance, mais ce n’est pas forcément mauvais si elles diversifient les moyens de collaboration. Arkéa en est un bon exemple. La banque investit dans la fintech via différents leviers, en rachetant des sociétés comme Pumpkin, en collaborant avec des jeunes pousses avant d’y investir progressivement – ce fut le cas pour MangoPay – ou encore en créant, avec Max, une start-up interne. »

Funding Circle, Revolut, Klarna… Le nombre de fintechs licornes - ces sociétés non cotées dont la valorisation estimée dépasse le milliard de dollars - progresse. Certaines semblent pourtant encore chercher leur modèle économique. Quel crédit accorder à ces valorisations ?

« La décorrélation entre la valeur de marché d'une fintech et sa valeur intrinsèque est un marqueur de bulle »

Antoine Baschiera : « A mon sens, il y a un début de décorrélation entre la valeur que le marché est prêt à payer pour certaines fintechs et leur valeur économique intrinsèque mesurée par leur chiffre d’affaires ou leur nombre de clients. Je suis prêt à me montrer inventif en cherchant de nouveaux indicateurs afin d’évaluer la valeur d’une néobanque comme N26 ou Revolut. Malgré tout, je ne trouve pas réellement d’éléments qui justifient les montants levés et leur valorisation si ce n’est la compétition que se livrent les investisseurs entre eux. Et cette décorrélation fait partie des marqueurs des bulles ! »

L’envolée rapide des fonds levés par les fintechs, l’utilisation de technologies nouvelles ou encore l’abondance des liquidités sur les marchés financiers sont autant d’éléments qui rappellent la bulle internet du début des années 2000. Trouvez-vous cette comparaison pertinente ?

Antoine Baschiera : « Le contexte macro-économique très favorable encourage les levées de fonds records. Les fintechs ont effectivement de nombreux points communs avec les sociétés internet : l’attrait pour la technologie mais aussi la largeur de leur clientèle potentielle. Les fintechs qui réalisent les tours de table les plus importants sont d’abord celles qui ciblent des énormes marchés universels comme la banque de détail ou la banque des PME. Autre point commun : les start-ups des années 2000, comme les fintechs d'aujourd'hui, sont partie-prenantes d’un tournant technologique : l’internet il y a une vingtaine d’années, l'acquisition et le traitement de la data aujourd'hui. »

Par contre, à la différence des jeunes pousses de l’internet, les fintechs ne se précipitent pas pour entrer en bourse. Est-ce qu’il peut avoir une bulle financière sans introduction en bourse ?

« Les fintechs redoutent probablement l’analyse plus rationnelle et pragmatique des investisseurs en bourse »

Antoine Baschiera : « Je pense qu’il y a un effet d’apprentissage. Les fintechs redoutent probablement l’analyse plus rationnelle et pragmatique que pourraient porter ces investisseurs sur leur modèle de valeur, leur bilan et leur compte de résultat. Le private equity est probablement plus tolérant avec les faiblesses d’une entreprise puisqu’il passe par un contrat privé. La bonne nouvelle, c’est que, de fait, si bulle il y a, son explosion restera circonscrite à un nombre plus limité d’investisseurs. Elle ne va pas secouer l’économie avec la même ampleur que la bulle internet. En effet, à la différence de l’investissement dans la fintech aujourd'hui, les startups d'internet en 2000 avaient attiré une typologie très variée d’investisseurs : des investisseurs professionnels mais aussi des particuliers plaçant parfois l’économie d’une vie. »

Voyez-vous dans les difficultés actuelles des plateformes de crowdfunding les prémices de l’éclatement d’une bulle fintech ?

Antoine Baschiera : « Non, pas du tout. Nous assistons à la mort d’un modèle qui ne marchait pas en France. A l’étranger, au Royaume-Uni, le crowdfunding semble avoir davantage réussi à s’ancrer. En France, persisteront les 2 ou 3 meilleures plateformes de prêt et peut être 1 ou 2 sur l'equity. Par contre, si dans quelques années une néobanque sur-financée et sur-valorisée venait à montrer des signes de faiblesse, là il pourrait y avoir un effet boule de neige. »

Quand selon vous va-t-on assister au retournement du marché de la fintech ?

Le retournement du marché « ira relativement vite, à l’horizon 5 ans »

Antoine Baschiera : « Cela ira relativement vite, à l’horizon 5 ans à mon sens. J’ignore quel sera l’événement déclencheur : un changement brutal du contexte macro-économique ou alors quelques faillites de fleurons de la fintech ? »

Quelques start-ups internet, comme Amazon ou Ebay, sont sorties grandies de l’explosion de la bulle. Quelles fintechs pourraient tirer leur épingle du jeu ?

Antoine Baschiera : « Les fintechs gagnantes auront une caractéristique commune : ce sont celles qui auront réussi à travailler avec des acteurs traditionnels. Les cas d’October est intéressant. Cette plateforme reçoit entre autres l’argent de la Banque européenne d’investissement et de compagnies d’assurance… d’acteurs qui pourraient finalement prêter en direct aux entreprises. Kabbage est un autre exemple de collaboration fructueuse. Cette plateforme de prêt pour les entreprises a développé un modèle rapide de scoring du risque de défaut des PME qu’elle met à disposition de banques partenaires. A l’inverse, les fintechs qui concurrencent frontalement les acteurs traditionnels et qui n’auront pas réussi à trouver de nouvelles sources de financement vont subir de plein fouet le retournement du marché. »