Il y a cinq ans jour pour jour, le Compte Nickel faisait son apparition dans un soixantaine de bureaux de tabac. Il compte aujourd’hui 1,2 million de clients et vise les 7 000 points de vente fin 2019. Retour sur la saga Nickel.

Une carte bancaire, reliée à un compte avec IBAN, disponible immédiatement, moyennant 20 euros par an. Accessible non pas dans une banque, mais dans un bureau de tabac. Le 11 février 2014, une entreprise quasi-inconnue, la Financière des paiements électroniques (FPE), lançait, grâce à un agrément d’établissement de paiement, le Compte Nickel. Un produit « unique au monde », selon les mots d’un de ses cofondateurs, Hugues Le Bret, l’ancien patron de Boursorama Banque qui a rejoint l’aventure initiée par l’ingénieur Ryad Boulanouar. Un produit qui, alors, suscite aussi un certain scepticisme : qui irait ouvrir un compte bancaire chez son buraliste ?

Beaucoup de monde, peut-on répondre 5 ans plus tard. Près de 1,2 million de comptes Nickel ont ainsi été ouverts, selon le décompte mis à jour en temps réel sur sa vitrine web. Dont 85% environ sont à jour de la cotisation annuelle de 20 euros et donc considérés comme actifs. Un indéniable succès, qui a attiré l’œil de BNP Paribas : la banque parisienne a fini par racheter 95% de Nickel, en avril 2017, pour une somme estimée (mais jamais confirmée ) à plus de 200 millions d’euros.

Un mix de 3 ingrédients

Quels en ont été les ingrédients ? « Ce succès tient au mix de trois éléments », estime Arnaud Giraudon, président de FPE, ancien d’Arkéa qui a rejoint l’entreprise en septembre 2016. « Cibler la population des mal-bancarisés ; permettre l’ouverture du compte sans découvert en 5 minutes, avec disponibilité immédiate de la carte ; distribuer le produit dans un réseau populaire ouvert tout le temps. »

« Un réseau populaire et ouvert tout le temps »

C’est donc sur cette intuition initiale que s’est construit le succès de Nickel : plutôt que de proposer un service 100% numérique, comme la plupart des autres néobanques, mieux vaut s’appuyer sur un réseau de distribution physique, celui des buralistes et leurs 25 000 commerces, particulièrement motivés car confrontés à un recul des ventes de deux de leurs marchandises historiques, le tabac et la presse papier. La FPE a ainsi fait entrer à son capital la Confédération des buralistes et signé avec elle un contrat d’exclusivité à long terme : jusqu’en 2035…

Rentable depuis 18 mois

En étant présent dans les bureaux de tabac plutôt que sur le web, Nickel s’est ainsi mis à la portée de sa clientèle cible initiale : les personnes fragiles financièrement. Selon les dernières statistiques disponibles, environ 40% de ses clients sont de fait inscrits sur un des trois fichiers d’incidents de la Banque de France (1). Et 39% sont au chômage ou sans revenus réguliers. « Nous aidons les gens à payer et à être payés : cette proposition de valeur est sincère et nous sommes fiers du produit », revendique Arnaud Giraudon.

Tous les clients Nickel, toutefois, ne sont pas interdits bancaires. Beaucoup viennent aussi parce qu’ils ont besoin d’un compte secondaire, par exemple pour leurs achats en ligne ou pour voyager. Pour répondre à cette demande, Nickel a lancé en mai dernier Chrome, une carte premium équipée d’un package d’assurances calqué sur celui des cartes Gold ou Premier. Là encore, un succès, malgré les 30 euros par an supplémentaires : plus de 60 000 cartes vendues depuis. Une stratégie de premiumisation - qui est aussi celles d’Orange Bank ou de N26 - qui n'est toutefois pas centrale dans le modèle économique du service de paiement : il est en effet rentable, en rythme mensuel, depuis août 2017.

La qualité de service, une priorité

La seule ombre au tableau, au final, est venue de la qualité de service. Une priorité, pourtant, pour Nickel : « Je suis persuadé que sur notre marché, il y aura une grosse prime à celui qui saura le mieux assurer la qualité de service et la maîtrise des risques, au-delà de l’expérience client », explique ainsi Arnaud Giraudon. Avec une offre basée sur le temps réel et l’absence de découvert, la néobanque n’a pas vraiment le choix : chaque dysfonctionnement est immédiatement visible, et subi, par l’usager.

Confronté à une croissance exponentielle de ses usagers depuis son lancement, et donc à une montée en charge ininterrompue, Nickel a néanmoins connu quelques soucis ces derniers temps, à l’occasion notamment de migrations informatiques. Et, malgré l’ouverture d’un plateau dédié à Nantes, son service clients, fort de 220 conseillers, a parfois eu du mal à suivre le rythme des réclamations, reportant une partie du mécontentement sur les buralistes.

Reproduire le succès à l’international

A quoi va ressembler la suite pour Nickel ? En France, la néobanque veut maintenir, voire consolider, un rythme de croissance plutôt ébouriffant : autour de 30 000 comptes ouverts par mois, en moyenne, sur 2018. L’objectif affiché est donc désormais de 2 millions de clients en 2020. Pour y parvenir, Nickel espère atteindre les 7 000 points de vente fin 2019, et les 10 000 en 2020. Un chiffre qui lui permettrait de rivaliser, en termes de réseau, avec La Banque Postale, plus grand réseau en France.

Mais l’avenir de Nickel se fera aussi à l’international. Contrairement à d’autres néobanques, elle n’a pas encore utilisé son passeport européen pour ouvrir des succursales dans d’autres pays de l’Union, comme elle en a la possibilité. La raison en est simple : pour exporter son modèle, il lui faut trouver un réseau de distribution aussi dense et fiable que celui des buralistes en France. Pas une mince affaire, mais un dossier sur lequel Nickel travaille activement.

(1) Fichier central des chèques (FCC), fichier national des chèques irréguliers (FNCI) et fichier des incidents de remboursement des crédits des particuliers (FICP).