De nombreuses personnes âgées sont plus vulnérables et influençables que les autres clients bancaires, comme le soulignent les gendarmes du secteur dans un rapport. Quels sont les dispositifs mis en place pour éviter les dérives et abus de faiblesse ?

Un client senior se voyant proposer un fonds à formule dont le terme est prévu après son 90e anniversaire ; une octogénaire qui souscrit une SCPI ou des EMTN (titre de créance) sans en comprendre toute la complexité ; un démarchage agressif qui aboutit à la souscription d’une assurance vie et d’un contrat de prévoyance… Ces cas évoqués directement ou indirectement par l’AMF et l’ACPR (1) s’apparentent assez clairement à des abus de la part de chargés de clientèle peu scrupuleux. C’est l’existence de telles pratiques qui a poussé le pôle commun AMF-ACPR à se pencher sur le sujet, et à lancer une consultation publique sur la protection des personnes âgées vulnérables.

Dans son rapport préalable à la consultation, le pôle commun ne détaille pas tous les cas d’abus recensés. Mais il pointe des pratiques constatées plus ou moins récemment. Pêle-mêle : des « actions de démarchage inappropriées » visant des clients vieillissants, « des cas de non-respect des profils des clients ou de leurs objectifs d’investissement », une évaluation « lacunaire » de leurs connaissances financières, et plus généralement une notion de client « senior » à géométrie variable. Des cas plus graves de « suspicion d’abus de faiblesse » ont eux été relevés par l’ACPR, via des réclamations écrites, et ces cas font le plus souvent suite à un démarchage « par téléphone ou à domicile » ayant conduit « à la souscription d’un produit à l’insu de la personne ».

Des « bonnes pratiques » mises en place dans quelques banques

Les régulateurs bancaire et financier ayant récemment sensibilisé les banques et assureurs à la vulnérabilité des seniors, de « bonnes pratiques » ont vu le jour. « Les entretiens avec les banques et assureurs ont permis de constater que la protection de la clientèle âgée constitue un enjeu pris en compte de façon croissante au sein des établissements », se félicite le pôle commun dans son rapport. Les gendarmes financiers estiment ainsi que « les sujets de l’abus de faiblesse et de confiance sont bien connus et font l’objet de procédures spécifiques en interne ». Face à des clients vieillissants, certains établissements choisissent par exemple de limiter à 30% la part d’unités de compte – fonds avec risque de perte en capital – pour de nouveaux versements en assurance vie passé le cap des 85 ans, et « la seule offre possible en souscription » est le 100% fonds euros – avec garantie en capital – après 90 ans.

Les banques et assureurs « ne souhaitent pas faire de discrimination en raison de l’âge », nuance toutefois le pôle commun ACPR-AMF : « Certains préfèrent déconseiller certains produits risqués plutôt que d’imposer des limites automatiques de commercialisation. » Concernant la souscription de produits, certains établissements ont mis en place des filtres, comme la nécessité d’une signature manuscrite passé 85 ans ou la validation par le directeur d’agence passé 70 ans. « Certains établissements invitent ou imposent à leurs conseillers de recevoir tous les clients de leur portefeuille lors du passage à la retraite et lorsque ces derniers atteignent l’âge de 79 ans », ajoute le pôle commun. Autant de mesures qui montrent que la politique commerciale vis-à-vis des seniors nécessite a minima un encadrement interne.

Une « zone grise » avant la mise sous tutelle

Le pôle commun insiste en revanche sur le fait que « de nombreuses questions restent en suspens pour ce qui concerne la gestion de la clientèle se situant dans la zone grise ». Cette « zone grise » correspond à la clientèle non protégée (tutelle ou curatelle), « mais dont le jugement pourrait être affaibli du fait de troubles cognitifs y compris légers ». Or cette « zone grise » n’est pas encadrée au niveau réglementaire, « est traitée différemment selon les établissements », et la clientèle concernée n’apprécie pas forcément que ses « difficultés à aborder certains sujets-clés » soit évoquée « de manière frontale ».

Plus généralement, le pôle commun affirme avoir constaté que les établissements sondés sont de plus en plus conscients des problèmes liés à cette population vulnérable. Et les banques « déclarent » notamment « ne pas démarcher la clientèle senior ». L’étude publiée mercredi doit « poser les bases » d’une « réflexion collaborative » sur le sujet.

La consultation publique prendra fin mi-février. Les travaux de l'ACPR et de l'AMF se poursuivront « en 2019 », notamment pour élaborer des solutions permettant un « consentement éclairé » des clients seniors lorsqu’ils souscrivent des produits bancaires ou d’assurance. Des travaux qui devraient donc aboutir à terme à une recommandation encadrant les pratiques des banques et assureurs.

(1) Autorité des marchés financiers (AMF) et Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).