Le prélèvement forfaitaire unique, ou « flat tax », va-t-il bousculer les habitudes d’épargne des Français ? Un économiste de la Banque de France s’est penché sur les perspectives d’évolution du portefeuille des ménages, à moyen ou long terme.

Février 2017. Alors en pleine campagne présidentielle, le candidat Emmanuel Macron annonce un « prélèvement forfaitaire unique au taux de l’ordre de 30% » dans Les Echos. Ce PFU « rapprochera la France de la moyenne européenne et simplifiera considérablement la fiscalité du capital ». Lors des semaines suivantes, au fil des débats, cette « flat tax » a aussi été présentée comme une mesure permettant d’inciter les ménages à diversifier leur portefeuille, à prendre plus de risques, et donc à investir dans « l’économie réelle ».

Le PFU – 17,2% de cotisations sociales et 12,8% d’impôt sur le revenu – est entré en vigueur en janvier 2018. Les contribuables n’ont donc pas forcément mesuré son impact sur leurs revenus financiers, puisque les impôts payés en 2018 - sur les revenus 2017 – n’intégraient pas encore cette « flat tax ». En juin dernier, Caroline Viguier, responsable du développement marketing épargne de LCL, confirmait ainsi ne pas avoir « constaté de changement de comportement des clients » : « La flat tax n’a pas encore chamboulé le marché de l’épargne. »

La fiscalité, 3e critère d’arbitrage entre plusieurs produits

Christian Pfister, adjoint du directeur des statistiques de la Banque de France, a publié la semaine passée un document de travail intitulé « Fiscalité de l’épargne et choix de portefeuille des ménages français » (1). L’étude s’intéresse donc à l’influence de l’imposition sur les arbitrages financiers des Français, et Christian Pfister s’intéresse pour cela sur l’incidence qu’aura à l’avenir le PFU sur les choix des épargnants et contribuables.

Les Français « ne portent pas la marque d’une allergie au risque »

En se basant notamment sur des études récentes de l’Insee ou de l’AMF, et en effectuant des comparaisons avec d’autres pays, cet économiste rappelle que les ménages français privilégient des placements tels que l’assurance vie ou encore les livrets d’épargne réglementée notamment à cause de la carotte fiscale. Christian Pfister constate toutefois que la fiscalité n’est pas l’unique critère d’arbitrage des Français : sur la base d’une enquête AMF, la fiscalité apparaît comme « le troisième critère clé le plus important, après le niveau de risque et le rendement attendu ». Autre observation de cet économiste : les épargnants français « ne sont pas irrationnels et ne portent pas la marque d’une allergie au risque ». En écartant la question fiscale, ils arbitrent en jaugeant l’équilibre « rendement-risque » d’un placement.

A terme, la flat tax favorisera les actions

Avec l’instauration du PFU, la France se rapproche d’un système surnommé « nordique dual », plus concrètement un modèle « où les revenus du travail sont imposés selon un barème progressif et ceux du capital de manière proportionnelle, à un taux faible ou médian ». Un modèle où le critère fiscal perd donc de son importance dans les arbitrages des épargnants, au profit de la plus pragmatique analyse « rendement-risque ».

Plus d'actions, moins d'assurance vie

En s’appuyant sur des projections statistiques théoriques, mais sans indiquer précisément quand ces évolutions s’appliqueront, Christian Pfister estime « qu’à long terme le PFU donnerait lieu à une substitution des placements en actions et dans une moindre mesure en dépôts à vue à ceux en assurance vie, PEP et obligations et à un degré moindre en comptes sur livrets et à terme ainsi que parts d’OPC monétaires ». Bref, à terme, avec la flat tax, les produits « gagnants » seront les Plans d’épargne en actions (PEA), comptes-titres et autres fonds d’investissement. Ils profiteront surtout de moindres flux de versements sur les assurances vie, et en particulier sur les fonds en euros, sur lesquels s’amassent à ce jour plus de 1 334 milliards d’euros selon la Fédération française de l’assurance (FFA).

S’il estime que le PFU permettra bien de redistribuer les cartes entre produits d’épargne, Christian Pfister pense en revanche que les flux seront difficiles à orienter sur le seul soutien de l’économie nationale. Il voit en effet un « conflit d'objectifs » entre la volonté de rendre la fiscalité de l'épargne plus neutre, et la volonté d'inciter les Français à investir dans les actions françaises ou autres produits d'épargne fléchés.

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(1) Comme pour toutes les travaux spécifiques ainsi publiés, la Banque de France précise que « les vues exprimées sont celles de l’auteur et n’engagent pas la Banque de France ». Working Paper, Christian Pfister, Novembre 2018.