Le déploiement de l’Instant Payment s’accélère. Après le raccordement du groupe BPCE en avril, Crédit Mutuel Arkéa en juillet et le futur déploiement chez BNP Paribas et Société Générale en novembre, le paiement instantané serait en passe de devenir le nouveau moyen de paiement en vogue.

Katell Mellaza, consultante pour le cabinet Vertuo Conseil

Katell MELLAZA, consultante pour le cabinet de conseil en banque-finance-assurance Vertuo Conseil

Certes, c'est une directive européenne qui a poussé la mise en place du SEPA Instant Credit Transfer (SCTInst), ou « virement instantané » en français, mais les banques y ont également trouvé de nombreux atouts : délai d’exécution de 10 secondes, irrévocabilité, disponibilité 24h/24, plafond de 15 000 euros et surtout un vrai moyen de s’affranchir de la domination des schemes de paiement (Visa et MasterCard) et de proposer une véritable alternative à la carte bancaire.

Malgré ce déploiement ambitieux, les banques françaises sont encore à la recherche de leur business model et surtout de la meilleure façon de le démocratiser auprès de leurs clients particuliers, entreprises et surtout auprès des commerçants. Pour les particuliers, vendre le paiement instantané uniquement comme un nouveau moyen de paiement, au même titre que la carte ou le chèque, serait une erreur. L’important est d’adosser ce moyen de paiement à des nouveaux services ou à des offres déjà existantes en y proposant une expérience client différenciante.

Payer un artisan, rembourser un ami, envoyer des fonds d'urgence…

Par exemple, Natixis Assurances teste actuellement le paiement instantané pour le remboursement de sinistres le jour de leur déclaration. Le paiement instantané peut aussi permettre de financer des crédits conso, payer un artisan, rembourser un ami, envoyer des fonds d’urgence… Autant de situations de la vie quotidienne sur lesquelles l’instantanéité et l’irrévocabilité du paiement ont un réel avantage pour le client et le bénéficiaire de son paiement.

« Vendre le paiement instantané uniquement comme un nouveau moyen de paiement, au même titre que la carte ou le chèque, serait une erreur »

Au niveau des entreprises, il y a aussi un vrai intérêt à déployer l’usage du paiement instantané. La gestion de la trésorerie est au cœur des problématiques actuelles. Avec une disponibilité du service 24h/24 et 7 jours sur 7, plus besoin d’anticiper et de prévoir, l’émission et l’encaissement se feront en temps réel et de façon plus fluide pour les trésoriers. C’est aussi un moyen de généraliser l’usage du virement, plus facile et moins coûteux que la carte bancaire ou le chèque. Néanmoins, le déploiement du paiement instantané nécessite la mise en place d’une nouvelle organisation et d’adapter les outils comptables pour envoyer et recevoir des paiements au fil de l’eau.

Plus difficile de séduire les commerçants

Côté commerçants, la tâche sera plus ardue. Pour que le paiement instantané les intéresse, il faut d’abord le démocratiser auprès de leurs clients. En point de vente, le déploiement ne sera donc pas « instantané ». En premier lieu, la question du support se pose et bien sûr, c’est le téléphone qui s’impose. Mais le paiement mobile reste encore très confidentiel en 2018, représentant seulement 0,1% des paiements. Le premier défi est donc d’évangéliser les clients sur l’usage du mobile.

Ensuite, côté réseau d’acceptation, des adaptations sont nécessaires. Les terminaux acceptent des paiements par carte, pas par virement. Une modernisation du parc est nécessaire avant de généraliser le paiement instantané. Sachant que le paiement sans contact a mis presque 10 ans à s’imposer, il y a fort à parier que l’Instant Payment devrait suivre la même tendance avant de gagner la confiance des Français.

« Le paiement sans contact a mis presque 10 ans à s’imposer »

Pour les e-commerçants, ça paraît plus simple d’autant que la DSP2 a reconnu les initiateurs de paiement comme PSP (Prestataires de service de paiement). Un exemple : Sofort, moyen de paiement à distance très populaire en Allemagne qui se base sur un virement de compte à compte. Il est fort probable que ces acteurs voient en l’Instant Payment l’opportunité de se développer sur le marché français.

Mais encore faut-il que les PSP leaders (Ingenico, HiPay…) intègrent ces nouvelles offres, puissent émettre ces paiements et surtout développent des modules de prévention anti-fraude associés à ce nouvel usage. Les PSPs n’ont pas l’intention d’investir de suite dans le développement d’un produit pour lequel les e-commerçants n’expriment pas une demande forte. Grégory Bourdin, CEO d’HiPay, s’exprimait sur le sujet dans une interview de MindFintech du 4 septembre 2018 : « L'Instant Payment est un moyen de paiement irrévocable : en cas de fraude ou d’erreur, on ne peut pas revenir en arrière. Il paraît donc peu probable qu’il devienne très populaire sur les sites e-commerce, d’autant que les acteurs de la carte bancaire gèrent très bien la notion d’assurance. » Il traduit bien les réticences de ces acteurs à mettre en place une offre qui comporte un réel risque de fraude et ne protège pas le consommateur.

Et le modèle économique dans tout ça ?

Là aussi, malgré le déploiement imminent, la stratégie économique des banques françaises reste encore floue. Et c’est peut-être là que réside tout le problème de l’offre. Pour transformer leurs infrastructures et se raccorder à SCTInst, les banques ont fait face à des coûts de développement importants. La gratuité du service n’est donc pas envisageable.

« La gratuité du service n’est pas envisageable »

Mais pour que le paiement instantané soit intéressant et se démocratise auprès du plus grand nombre, il est essentiel que son coût soit compétitif. Les clients ne seront prêts à payer plus cher pour un nouveau service que s’ils y trouvent un réel avantage : par exemple dans le cas d’un besoin urgent d’envoi de fonds. Le problème de ce service c’est qu’au final, dans la majeure partie des cas, c’est le bénéficiaire qui profite de l’instantanéité et non le payeur. Etant donné qu’il paraît compliqué de proposer ce service payant pour les particuliers tout en voulant convertir le maximum d’utilisateurs, il est évident que ce sont les entreprises qui porteront le coût. Mais là encore les banques vont devoir être inventives et proposer des offres attractives, moins chères que la carte bancaire, et surtout comprenant des services associés. Les banques n’ont donc aucun intérêt à proposer un tarif élevé, et, au contraire, devraient parier sur les économies qui vont être réalisées avec une généralisation de l’usage de l’IP : baisse des transactions par chèques et par espèces, économies d’échelles...

La carte bancaire n'est pas encore délogée...

L’Instant Payment n’est pas une révolution mais plutôt une évolution logique du marché dans un monde connecté où l’instantanéité est devenue un standard. Mais soyons honnête, la carte bancaire a encore de beaux jours devant elle et restera le moyen de paiement préféré des Français. Comme le paiement mobile, le virement instantané se généralisera le jour où le consommateur y trouvera une réelle valeur ajoutée et surtout sera suffisamment confiant à l’idée de fournir ses données bancaires à un tiers.