Alors que les conseillers bancaires partageaient par le passé l'essentiel de leur temps entre opérations et rendez-vous clients, la baisse constante de fréquentation des agences change désormais la donne. Mais quels impacts concrets cette évolution a-t-elle eu sur le quotidien des conseillers bancaires ? Nous avons posé la question aux principaux intéressés.

« La grande foule dans les agences, les queues au guichet, c’est terminé. » Le constat est de Régis Dos Santos, président du premier syndicat de la profession bancaire, le SNB/CFE-CGC. Il renvoie à une réalité : en France fin 2017, 73% des usagers se rendaient moins d’une fois par mois en agence - dont 16% plus jamais - des chiffres en forte hausse par rapport à 2015 (voir encadré).

Dans ce contexte, que fait votre banquier de ses journées ? Comment le métier de chargé de clientèle bancaire a-t-il évolué ces dernières années ? Et comment les agences, partiellement désertées, se sont-elles réorganisées ?

Une forte densité d’agences malgré un usage en déclin

En décembre 2017, la France comptait 37 209 agences, d’après les données de la Banque centrale européenne. Un chiffre en repli de 3% depuis 2009. Cette baisse est assez faible par rapport à ces voisins : sur la même période, les banques de la zone euro ont fermé en moyenne 21% de leur réseau. La densité d’agences reste donc forte dans l’Hexagone : près de 550 pour un million d’habitants.

A la même date, 73% des Français se rendaient moins d’une fois par mois dans leur agence bancaire, selon une étude SAB/CGI. Un chiffre en hausse de 9 points en deux ans. Et ce sans compter les 13% qui avaient opté pour une banque en ligne, sans agence.

A la fin 2017, la population employée par le secteur bancaire s’élevait à 366 200 personnes, soit près de 2% de l’emploi salarié privé en France, selon la FBF. Un chiffre qui baisse régulièrement depuis 2011 : -0,6% en 2015, -0,3% en 2016, -1,2% en 2017.

Un cœur de métier inchangé en apparences

Se constituer et gérer un portefeuille de clients, les accompagner dans leurs besoins, les équiper en produits de placements, de crédits ou d'assurances : cela reste le cœur du métier de chargé de clientèle bancaire, tête de pont de la force de vente des banques de détail.

Si l'organisation précise est différente selon les réseaux, la journée d'un conseiller bancaire s'organise ainsi autour de tâches récurrentes que l'on retrouve partout. Le matin à la première heure, il s'agit de traiter au cas par cas les incidents de paiement. Une fois effectuée cette formalité, relativement courte, commence la partie réellement commerciale du chargé de clientèle : recevoir en rendez-vous les clients souhaitant placer de l'argent, en emprunter... ou identifiés comme pouvant potentiellement être intéressés par une souscription de produits ; traditionnellement plutôt en fin de journée, contacter d'autres clients pour leur proposer un rendez-vous, en rappeler suite à des appels manqués ou répondre à des questions posées par emails. Dans l'intervalle, il faut aussi gérer la partie plus administrative du métier : finaliser les contrats de placements, boucler les dossiers de prêts...

Cette journée-type connaît cependant d'importantes mutations, dues comme partout à l'usage croissant des outils numériques par les clients.

La fin des guichetiers

De plus en plus souvent en effet, ces conseillers sont aussi mis à contribution pour accomplir d'autres tâches, autrefois dévolues à une autre catégorie de travailleurs bancaires : les chargés d'accueil, ou « guichetiers ». Avec la désertion des agences par les clients, ce métier est en effet « en voie de disparition dans la majorité des enseignes mutualistes régionales », constate Frédéric Guyonnet, président national du SNB pour la Banque Populaire et ses filières. Ce sont donc les conseillers clientèle qui, en plus de leurs fonctions habituelles, prennent le relais pour traiter les opérations courantes, gérer les distributeurs automatiques, répondre aux questions, recevoir les réclamations ou prendre les rendez-vous de leurs collègues.

Au Cadif, « tout le monde est au service des clients »

Exemple au Crédit Agricole Île-de-France (Cadif). Dans cette enseigne, plus de chargés d’accueil. « Tout le monde est au service des clients », explique Stéphanie Langevin, responsable de la distribution : « chaque conseiller est en charge de leur accueil physique et téléphonique à un moment de la semaine ». Des conseillers généralistes qui traitent à tour de rôle, généralement sur des vacations d’une demi-journée, l’ensemble des « demandes entrantes ». Le reste de leur temps de travail est consacré aux tâches plus traditionnelles du conseiller, à savoir aux rendez-vous conseils avec les clients, et aux « appels sortants », c'est-à-dire à la prospection commerciale.

L’accueil proprement dit, lui, se fait de plus en plus à l’aide d’outils digitaux. Le Cadif a ainsi mis en place un concept d’« agence active » disposant de zones d’accueil confortables, avec tablettes en libre-service, murs digitaux tactiles, bar à apps... Des outils qui permettent au client de signaler, en toute autonomie, son arrivée dans l’agence et de prendre place dans une file d’attente devenue virtuelle.

L'explosion de la « fréquentation immatérielle »

La baisse de fréquentation des agences ne signifie pas que tous les clients sont subitement devenus autonomes. Ce sont surtout « leurs attentes [qui] ont complètement changé en quelques années », constate Béatrice Layan. Une évolution qu’on pourrait résumer en un néologisme : « multicanalité », soit la possibilité pour le client de contacter son conseiller par d’autres canaux que l’agence : le téléphone, l'email voire les réseaux sociaux ou la visiophonie.

10 fois plus d'e-mails que de rendez-vous

« La baisse de fréquentation physique des agences a entraîné une explosion de cette fréquentation immatérielle », de plus en plus chronophage, constate Aurélien Soustre, cadre commercial dans la banque de détail et membre de la direction fédérale de la CGT banques assurances. Exemple au Crédit Agricole d’Île-de-France : en 2017, les conseillers y ont traité 20 millions d’e-mails, chiffre en forte hausse, et 450 000 appels téléphoniques, pour 2 millions d’entretiens en tête-à-tête. Disposent-ils d'un temps dédié pour traiter ces mails ? « Non, dans les faits, ils le font au fil de l'eau et en fonction de l'urgence de la demande », précise Stéphanie Langevin.

Des clients de plus en plus impatients

Disposer de l'email direct de son conseiller est ainsi en passe de devenir la norme. Une nouvelle forme de proximité, qui autorise une « une relation plus personnalisée avec le client », se félicite Béatrice Layan. Cette personnalisation a toutefois son revers. « Dans l’esprit des clients, le mobile et le digital, c’est l’instantanéité, et ce n’est pas propre à la banque », analyse Frédéric Guyonnet. « Un client peut être à la plage, penser soudain à sa banque et prendre son téléphone pour demander un conseil. »

Dans ce contexte, « les conseillers qui ne répondent pas immédiatement s’exposent à des relances incessantes », poursuit Aurélien Soustre. « Ce qui fait peser sur eux une charge mentale épuisante, qui peut expliquer la multiplication des burn-outs. » La crise des vocations, également, qui touche les métiers de force de vente dans le secteur bancaire. « Toutes les industries sont confrontées à des difficultés de recrutement. Et la banque de détail fait partie de celles qui ont du mal à attirer les jeunes talents », concède Béatrice Layan.

Lire notre entretien avec Béatrice Layan, responsable de l’Observatoire des métiers de la banque : « Les clients veulent des réponses plus rapides »

Un risque de dégradation du service ?

Accueil des clients, multiplications des sollicitations par e-mail ou par téléphone : le quotidien des conseillers clientèle est donc fait de plus en plus d’une multitude de petites tâches, à traiter rapidement et souvent simultanément. « Ils sont constamment en rupture de tâche », déplore Frédéric Guyonnet, du SNB Banque Populaire. « ll faut par exemple compter une heure pour saisir un dossier de prêts. Mais il devient impossible de le faire d’une traite lorsqu’il faut en même temps répondre à un coup de fil ou accueillir un client. Résultat : on bat en 2018 des records de démissions et d’abandons de poste. » D’autant que le portefeuille de clients confié aux conseillers grand public ne cesse de grossir, selon Aurélien Soustre : « Il y a 10 ans, chacun avait entre 600 et 900 clients en portefeuille, aujourd’hui c’est le double ».

« Constamment en rupture de tâche »

« On ne peut pas obliger des acteurs économiques privés à maintenir des points de vente contre leurs intérêts », concède Régis Dos Santos, le président du SNB / CFE-CGC. « En revanche, il faut que le volet humain soit pris en compte dans ces changements ». Frédéric Guyonnet va plus loin : « Continuer à mailler le territoire d’agences, tout en diminuant le nombre de conseillers de terrain, maintenir des points de vente qui ne sont parfois tenus que par une personne, c’est prendre le risque d’une dégradation du service ». Déjà, les usagers s’interrogent sur la pertinence des conseillers : fin 2017, ils étaient ainsi 37% à penser qu’un programme informatique, un algorithme pourrait, dans certains cas, fournir de meilleurs conseils (1).

(1) « Services numériques dans la banque : Autonomie client & Digital Care. Usages, opinions et attentes des Français », étude Next Content pour SAB et CGI, février 2018. Lire sur le sujet : Banque : les 5 nouveaux services incontournables de 2018