Premières vendeuses d’assurance-vie en France, les banques poussent leurs clients à investir en unités de compte, ces fonds sans garantie en capital. Mais s'agit-il d'un conseil financier avisé ?

Le rendez-vous commence par un « Avez-vous pensé à prendre date ? » puis se termine par la souscription d’une assurance-vie multisupports. Entre temps, le banquier met en avant la sécurité du fonds en euros, avec une garantie en capital… Puis enchaîne sur la faiblesse des rendements. Il conseille de compenser par une dose d’unités de compte (UC), sans garantie en capital. Histoire de commencer en douceur, le client investit une petite part de son épargne, 20%, sur une poignée d’UC. Et il consulte et signe à la va-vite les documents relatifs, dans le flot de paperasse de l’assurance-vie.

Un scénario exagéré ? Lors des dernières visites mystère de l’AMF en agence bancaire, menées fin 2015, l’assurance-vie figurait en tête des propositions commerciales, les banquiers vantant la fiscalité douce et la sécurité du placement, sans trop s'attarder sur l’appétence au risque des clients. Pourtant, les contrats d’assurance-vie commercialisés par les grandes banques, qui vendent près de deux assurances-vie sur trois en France, intègrent tous des UC. Et ces supports voient leur collecte grimper en flèche.

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Des offres des fonds en UC simplifiées

Dans ces conditions, est-il raisonnable de suivre cette invitation à investir en UC ? La première réponse des banques de détail passe par l’offre : elles annoncent une sélection d'UC réduite, pour éviter de noyer le client dans les multiples fonds actions, et évoquent leurs outils d’aide à la gestion.

BanqueContrat « grand public » (assureur)Offre « grand public » pour les unités de compte
Crédit AgricolePrédissime 9 Série 2 (Predica)
  • Une trentaine d’UC
  • Fonds à formule ou « à fenêtre »
  • Mandat Sélection à partir de 5 000 €
La Banque PostaleVivaccio (CNP Assurances)
  • Un seul support généraliste en UC, Vivaccio Actions
Société GénéraleErable Essentiel (Sogécap)
  • Une dizaine d’UC thématiques : deux fonds actions, un support immobilier, 4 fonds « solidaires »...
  • Fonds à formule
BNP ParibasMultiplacements 2 (BNP Paribas Cardif)
  • Une vingtaine d’UC
  • Options d’arbitrage automatique
Caisse d’EpargneMillevie (BPCE Vie)
  • Une dizaine d’UC
  • Options d’arbitrage automatique
Crédit Mutuel CM11 et CICPlan Assurance Vie (ACM Vie)
  • Plusieurs dizaines d’UC
  • Options d’arbitrage automatique
Crédit Mutuel ArkéaNavig’Options (Suravenir)
  • Une dizaine d’UC
  • Fonds à formule
  • Gestion pilotée à partir de 300 €
LCLLCL Vie (Predica)
  • Une trentaine d’UC
  • Fonds à formule ou « à fenêtre »
  • Gestion pilotée à partir de 10 000 €
Banque PopulaireHorizéo (BPCE Vie)
  • Une vingtaine d’UC
  • Packs Azur et Indigo pour utiliser des allocations prédéfinies
Crédit du NordAntarius Duo (Antarius)
  • Un seul support généraliste en UC, Etoile Actions France
Source : sélections d’UC et options mises en avant sur les présentations commerciales des réseaux bancaires

Par le passé, les solutions d’investissement présentées comme simples n’ont pas toujours été fructueuses. Au cœur des années 2000, les affaires Doubl’Ô, à la Caisse d’Epargne, ou Jet3, chez BNP Paribas, des fonds à formule le plus souvent vendus via l’assurance-vie, ont souffert - a minima - d'une présentation tronquée. A l’époque, nombre de souscripteurs n’avaient pas perçu les risques, d’où leur surprise en découvrant leurs pertes. L’époque a changé. Depuis, ces solutions « packagées » promettant un bon ratio risque/performance ont été revues et corrigées, et leur présentation est réglementée. Les fonds à formule s’appellent désormais le plus souvent produits structurés, fonds à fenêtre, etc.

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Des clients prêts à prendre des risques ?

Au-delà du cas spécifique des fonds à formule, les clients bancaires sont-ils désormais bien informés sur les UC ? « En finance, le risque n’est pas une mauvaise chose », tempère d’emblée Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants à l’AMF. « Mais il faut absolument vérifier que le client assume une tolérance au risque. Et s’assurer qu’il a du temps devant lui, en analysant l’horizon de placement. » Bref, le plus important, pour le gendarme financier, est que le client se voit proposer une solution adaptée.

« Vérifier que le client assume une tolérance au risque »

Claire Castanet note des progrès depuis fin 2015 et les dernières visites mystère de l’AMF, alors marquées par une très forte mise en avant de l’assurance-vie : « La capacité à supporter des risques n’était alors pas sondée. Elle constitue une nouveauté MIF2 [directive européenne entrée en vigueur en 2018], donc est incontournable aujourd’hui en conseil. Sur la connaissance client et le profil de risque nous voulons bannir l’auto-évaluation : la pente est plutôt favorable, mais il y a encore du chemin à faire. »

Quelle solution pour quel profil de client ?

Le 18 octobre, l’AMF a publié un bilan de nouveaux tests de connaissance client. Parmi les conclusions : les nouvelles réglementations européennes ont effectivement permis de personnaliser les questionnaires et entretiens préalables à tout investissement financier, et l’AMF affirme que « tous les établissements contrôlés disposent désormais d’un profilage client ». Les investissements à l’aveugle auraient donc disparu.

Les banques « disposent désormais d’un profilage client »

Isabelle Perchereau, responsable marketing et ingénierie financière de Predica, assureur-vie du Crédit Agricole et de LCL, affirme ainsi que le groupe de la banque verte « s’appuie sur un parcours conseil en agence », sans pousser une solution d’investissement unique. Ce « parcours conseil » prend en compte le « projet », « l'horizon de placement » et de la « propension à prendre du risque » pour mener à une série de « solutions alternatives » : « Par exemple, un client disposant de 20 000 euros sur Predissime 9 peut se voir proposer le Mandat Sélection [gestion des UC déléguée à un expert, NDLR], un support à fenêtre incluant une garantie totale ou partielle en capital, ou l’accès à une trentaine de supports en UC allant du profil prudent à dynamique. »

La gestion déléguée n’est toutefois accessible qu’à partir de 5 000 euros investis sur le contrat au Crédit Agricole : « Pour un petit contrat, par exemple 1 000 euros, si le client souhaite investir 300 euros en UC, nous pouvons lui proposer des UC au profil prudent, ou des supports à fenêtre », ajoute Isabelle Perchereau, estimant que le panel de solutions de l’assureur filiale du Crédit Agricole s’adapte à tout type de public.

La gestion sous mandat pour tous ?

La réponse « gestion pilotée » ou « gestion sous mandat », qui consiste à confier tous les arbitrages entre supports en UC une société de gestion financière, est la nouvelle mode. Jadis réservée à la banque privée, la gestion pilotée s’est démocratisée grâce aux courtiers d’épargne en ligne à la fin des années 2000. Elle s’impose maintenant aussi en agence bancaire avec des épargnants découvrant l’assurance-vie. Fin 2017 et début 2018, trois réseaux mutualistes ont développé une offre grand public avec mandat d’arbitrage : le Crédit Mutuel Nord Europe, le groupe Crédit Mutuel Arkéa et le Crédit Agricole.

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Bernard Le Bras, président du directoire de Suravenir, l’assureur du groupe Arkéa, présente son nouveau contrat Navig’Options comme « un vrai succès » : accessible dès 300 euros de versement initial, cette offre « représente la quasi totalité des 35 000 affaires nouvelles du réseau Arkéa, et 82% des contrats font l’objet d’un mandat d’arbitrage ». Il y voit d’ailleurs une réponse aux possibles manquements du banquier : « Effectivement, en gestion libre, un conseiller bancaire peut se sentir moins à l’aise. La gestion pilotée nous semble la meilleure réponse : là vous confiez la gestion du contrat à des experts, en l’occurrence Federal Finance Gestion. » Pour l’heure, plus de la moitié des souscripteurs ont opté pour un mandat « prudent ». En un an, le Crédit Agricole recense 50 000 souscriptions au Mandat Sélection, en espérant potentiellement atteindre de 450 000 à 500 000 contrats à terme.

« En gestion libre, un conseiller bancaire peut se sentir moins à l’aise »

Que pensent les régulateurs financiers de l’ouverture de ces gestions pilotées - payantes - au grand public ? « Sur les mandats d’arbitrage, les régulateurs ont dressé un constat : ces offres sont en fort développement, y compris dans les réseaux bancaires, et de façon parfois industrialisée », répond, prudente, Claire Castanet, de l’AMF. Mais les gendarmes bancaire et financier observent très attentivement l'offre de gestion « industrialisée » : le pôle commun aux deux régulateurs (AMF-ACPR) a lancé un chantier en 2016 sur cette « pratique qui n’est pas encadrée par des dispositions législatives et réglementaires spécifiques dans le code des assurances ».

Des conseillers bancaires compétents sur les UC ?

Le risque serait de présenter le fait de confier la gestion à un expert comme totalement sécurisée, en oubliant les pertes potentielles, l’horizon de placement, etc. « Les conseillers bancaires ne peuvent pas proposer de mandat sans avoir reçu de formation préalable », rassure Isabelle Perchereau, de Crédit Agricole Assurances. « Il s’agit d’une formation interne, proposée par l’Ifcam, l'institut de formation du Crédit Agricole, qui fournit les outils pour expliquer cette solution au client. »

« Le conseil financier doit être réalisé correctement », insiste Claire Castanet, de l’AMF, y compris pour quelques centaines d’euros placées sur des supports en UC. « Le rapport d’adéquation doit nécessairement être rédigé, compris et signé avant la souscription. » A en croire l’AMF, des garde-fous ont été mis en place pour éviter aux particuliers d’investir sur des UC les yeux fermés. Le client a l’information à sa disposition. Reste à garder à l'esprit le BA-b.a. répété à l’envi par le gendarme financier : n’investissez que dans ce que vous comprenez !

Banques : des assurances-vie aux frais importants

Financièrement parlant, les assurances-vie bancaires ne sont pas les plus rentables. D’une part les fonds en euros des contrats d'entrée de gamme figurent en bas des palmarès de rendement. D’autre part ils comportent systématiquement des frais de versement souvent élevés, à la différence de contrats en ligne, et les petits épargnants ont rarement la possibilité de négocier ces frais d'entrée. Enfin, côté UC, les fonds généralistes de ces contrats sont rarement les moins coûteux en frais de gestion. Les banques dominent tout de même le marché de l'assurance-vie par la puissance de leur réseau de distribution.

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