Apparues il y a une dizaine d’années, les fintechs tentent de s’immiscer dans une industrie financière mondialisée, opaque et oligopolistique. En France, ces start-ups doivent également jongler avec la petitesse du marché domestique, les empêchant souvent de rentrer dans leurs frais. Discussion avec Sophie Zellmeyer, directrice Fintech & Innovation chez Exton Consulting, sur l’écosystème français.

Fintechs, assurtechs, regtechs… autant de nouvelles terminologies pour catégoriser les start-ups du secteur financier. Sait-on toujours de quoi on parle ?

Sophie Zellmeyer : « Les fintechs désignent l’ensemble des jeunes pousses qui s’appuient sur les innovations technologiques, comme l’intelligence artificielle ou la blockchain, pour digitaliser l’expérience client dans les services financiers et moderniser ce secteur. Elles investissent tous les segments de l’industrie financière. Exton Consulting a réalisé avec la société de gestion New Alpha AM et la start-up de market Intelligence Invyo une cartographie des fintechs françaises, positionnées par ancienneté et classifiées dans 9 domaines d’activités : financement alternatif, néobanque, paiement, assurtech, gestion de trésorerie, gestion de patrimoine et investissement, services financiers, blockchain et regtech. Les start-ups de cette dernière catégorie assistent les acteurs établis dans leur mise en conformité - toutes ne sont pas des fintechs. On les intègre dans cette catégorie dès lors que leurs clients sont majoritairement des banques et des assureurs. »

Quels types de fintechs sont les plus répandues en France ?

S.Z. : « Aujourd’hui, 50% des fintechs impactent les métiers de la banque, que ce soit la banque de détail ou le paiement. C’est le segment le plus mature. Les insurtechs (néo-assureurs, néo-courtiers en ligne, ou éditeurs de solutions SaaS pour les assureurs) sont une vague plus récente qui ne représente que 20% des start-ups financières. Mais cette catégorie grossit – un tiers des insurtechs ont été créées au cours de ces 2 dernières années - tout comme l’éclosion des regtechs, sous l’effet d’une réglementation en pleine évolution dans l’industrie financière. »

Aujourd’hui, ce secteur est dynamique, en témoigne la progression des fonds levés : 200 millions d’euros collectés seulement au premier semestre 2018, contre 318 millions d’euros sur toute l’année 2017. Pour autant, la France est bien loin des scores réalisés dans les pays anglo-saxons. Quels freins identifiez-vous à l’émergence de championnes ?

« Nos fintechs bénéficient d’une myriade de dispositifs d’aide publique positifs mais complexes à obtenir »

S.Z. : « Les fintechs françaises sont effectivement dotées d’une capacité financière bien en-deçà des acteurs anglo-saxons. La vague Fintech a démarré un peu plus tardivement en France, ce qui peut en partie expliquer cette relative sous-capitalisation de nos fintechs. Mais cette différence est également due aux spécificités du modèle de financement des start-ups en France où les jeunes pousses ne font appel que tardivement aux financements privés. En France, nos fintechs peuvent bénéficier en effet d’une myriade de dispositifs d’aide publique, qui permettent déjà d’obtenir quelques dizaines de milliers d’euros en phase de recherche et développement. Ces dispositifs publics sont positifs mais le problème, c’est qu’ils sont complexes à obtenir et souvent les start-ups ont du mal à s’y repérer et comprendre à quelle aide elles peuvent prétendre. Par ailleurs, une fois leurs fonds propres consolidés, les fintechs françaises peuvent encore peiner, en phase d’amorçage, à trouver du financement additionnel, faute d’intéresser à ce stade les sociétés de capital-risque qui sont encore rares à investir en dessous du million d’euros. »

Les fintechs peuvent néanmoins de plus en plus compter sur des fonds d’investissement dédiés montés par des acteurs traditionnels nationaux…

S.Z. : « Oui tout à fait. Et c’est en ce sens que les banquiers et les assureurs, via leurs programmes d’accélération ou leurs structures de financement (comme Maif Avenir) sont précieux à l’écosystème pour apporter les fonds nécessaires au développement des fintechs françaises en stade amorçage. Après les premières levées de fonds auprès de ces acteurs nationaux du capital-risque, pour accélérer leur développement et leur internationalisation, les fintechs françaises doivent bien souvent s’appuyer sur les fonds étrangers, à l’image de Shift Techology qui, fin 2017, a levé 28 millions de dollars essentiellement auprès de fonds américains. Résultat, à mesure que la filière gagne en maturité, les fintechs françaises réalisent des tours de table de plus en plus importants : 3 millions en moyenne par levée en 2016, 5 millions en 2017 et, pour 2018, la moyenne va grimper à 7 ou 8 millions d’euros. »

Un autre frein souvent évoqué par les parties-prenantes : le carcan réglementaire. Est-ce une réalité ?

« La moyenne des fonds levés va grimper à plus de 7 millions d'euros en 2018 »

S.Z. : « En effet, dans notre étude à paraître mi-octobre, il ressort que 55 % des fintechs déplorent qu’il n’y ait pas en France de régime dérogatoire pour leur permettre d’expérimenter leurs services dans un cadre réglementaire assoupli et rôder leur offre avant de devoir se conformer aux obligations réglementaires en vigueur [ce type de dispositif est connu sous le nom de ''sandbox'' ou bac-à-sable réglementaire, NDLR]. Toutefois, la France n’est pas le pays le moins souple. Les régulateurs français mettent en place depuis ces dernières années une approche Fintech Friendly. L’ACPR prône par exemple une approche à mi-chemin (''soundbox'') de proportionnalité des exigences. L’autorité de contrôle s’est par exemple dotée d’un pôle dédié fintech-innovation : un guichet unique qui accompagne les jeunes pousses dans leur mise en conformité. Une initiative qui semble payer, puisque seules 20% des fintechs françaises pointent désormais un manque d’accompagnent et de clarté en matière réglementaire. »

La loi Pacte propose d'introduire un visa optionnel pour les start-ups souhaitant lever des fonds en échange de jetons (ICO). Est-ce le bon prisme pour attirer les sociétés innovantes ?

S.Z. : « Les ICO peuvent venir palier un déficit de financement des start-ups et accroitre leur capacité financière. C’est un levier pour attirer les start-ups, mais ce levier seul ne suffira pas. Par ailleurs, cette méthode peut s’avérer spéculative et risquée. On peut à cet égard se féliciter que la France ait été l’un des premiers pays à se doter d’un cadre juridique pour encadrer cette méthode : en confiant à l’AMF la délivrance de visas, cela va permettre de séparer le bon grain de l’ivraie et donc avant tout de protéger les investisseurs des éventuelles arnaques. »

Aussi bien dans les incubateurs qu'au niveau capitalistique, avec la multiplication des rachats de jeunes pousses, la proximité des fintechs avec les acteurs traditionnels est forte. Est-ce que cela ne nuit-il pas à leur capacité d’innovation ?

« Les fintechs sont une source d'inspiration pour les acteurs traditionnels »

S.Z. : « Les acteurs traditionnels cherchent à s’inspirer des fintechs, de leurs méthodes de travail et à créer des synergies avec leurs propres métiers. Pour autant, on ne peut pas dire que les banquiers et les assureurs empêchent les start-ups de développer leur activité. Certes, il peut y avoir des rachats opportunistes dans une logique d'appropriation de compétences ou de restriction du champ concurrentiel, au risque d’étouffer l’esprit d’innovation dans la fintech acquise. Mais les incubateurs mis en place par les corporates promeuvent avant tout l’open innovation et la coopétition [mélange de compétition et de coopération NDLR]. En attestent l’initiative de Niortech, un accélérateur d’assurtech situé à Niort dans lequel participent 5 mutualistes initialement concurrents, ou encore le Swave, l’accélérateur de Fintechs, dont Exton Consulting est partenaire. C’est en croisant les expertises que l’on pourra accélérer le développement de ces jeunes pousses et construire un écosystème fintech d’envergure en France. »