Le Livret de développement durable, devenu également « solidaire » depuis 2016, a pour objectif de flécher une partie de l’épargne des Français vers une grande cause environnementale : la rénovation énergétique des bâtiments anciens. Remplit-il correctement cette mission ?

Les Français s’intéressent de plus en plus à la finance responsable : selon un récent sondage (1), ils sont 63% en 2018, contre 48% un an auparavant à accorder de l’importance aux impacts environnementaux et sociaux de leurs décisions de placement. Ça tombe bien ! Il existe un produit d’épargne largement diffusé, simple d’accès, décemment rémunéré et défiscalisé, qui cadre avec cet objectif : le Livret de développement durable et solidaire, ou LDDS.

Le successeur du Codevi - Compte pour le développement industriel, créé en 1983 - a, à deux reprises au cours de son histoire, failli redevenir un livret destiné à financer le développement de l’industrie française : en 2010, sous Nicolas Sarkozy, puis en 2012, au début du quinquennat Hollande. Finalement, il a conservé jusqu’à aujourd’hui l’orientation qui lui a été donnée depuis sa création en 2007 : contribuer au financement de la rénovation énergétique des bâtiments anciens.

LDDS, mode d’emploi

Livret d’épargne réglementée, le LDDS est rémunéré au même taux que le Livret A (0,75%) et, comme ce dernier, totalement défiscalisé. Son plafond de dépôts, qui a été doublé en octobre 2012, est désormais de 12 000 euros. Il est réservé aux particuliers soumis à l’impôt sur le revenu, dans la limite d’un par contribuable et de deux par foyer fiscal.

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Au service du développement durable ?

Comment, concrètement, l’argent déposé par les Français sur leur LDDS contribue-t'il à cet effort en faveur de la modération énergétique ? Pour commencer, il faut rappeler que, comme pour le Livret A, une partie seulement de l’épargne placée sur les LDDS est conservée par les banques qui l’ont collectée. Le reste (59,5% en moyenne en 2017 pour le Livret A et le LDDS) est confié à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), bras financier de l’Etat. Nous y reviendrons.

Sur la partie conservée par les banques, celles-ci ont - depuis 2010 - l’obligation d'y consacrer au moins 10% au financement des travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments anciens. Le font-elles vraiment ? Difficile à dire précisément. L’Observatoire de l’épargne réglementée (OER), chargé au sein de la Banque de France de suivre le sujet, confesse dans son rapport 2017 qu’il « est impossible de mesurer précisément le financement direct ou indirect des travaux d’économie d’énergie puisque les crédits à l’habitat ancien concernent le plus souvent de façon indifférenciée et fongible plusieurs types de travaux ». Pour la Banque de France, qui a mis en place une méthode d’estimation (2), « les obligations des banques (…) seraient [toutefois] globalement respectées (15 milliards d’euros d’encours estimés sur 152 milliards d’euros de livrets A et LDDS [conservés par les banques fin 2017]) ».

Le LDDS ne « mérite pas son appellation »

Peu importe pour les Amis de la Terre : l’organisation non gouvernementale (ONG) spécialisée dans les questions environnementales estime, dans un guide publié en 2010 (3), que le LDDS ne « mérite pas son appellation », en raison de ce ratio de 10%, considérée comme trop faible. « Le reste est investi dans des prêts aux PME, sans considérations environnementales », déplore l’ONG. En 2017, les banques ont ainsi attribué, selon l’OER, 86,7 milliards d’euros de prêts nouveaux aux PME.

Pas de critères d’exclusion à la CDC

Voilà pour la partie de l’épargne du LDDS décentralisée dans les banques. Qu’en est-il des 60% restants, confiés à la Caisse des Dépôts et Consignations ? Dans son rapport 2017, l’OER rappelle que le « le gouvernement a annoncé en décembre 2017 une réforme visant à ce que l’intégralité des versements sur ces livrets centralisés (…) soient désormais employés au financement de projets contribuant à la transition énergétique ou à la réduction de l’empreinte climatique. » Pour l’OER, la CDC « respecte ce nouveau critère en 2017 : les prêts verts financés sur épargne réglementée (3,1 milliards d’euros) dépassent la collecte nette (…) du LDDS centralisée à la CDC (1,7 milliard d’euros) ». On ne parle toutefois ici que du flux d’épargne centralisé l’an dernier, et pas du stock déjà détenu par la CDC…

« Le LDDS fait partie d’un système qui marche sur la tête »

Concernant ce stock justement, les ONG sont plutôt sévères. « Le LDDS fait partie d’un système qui marche sur la tête », estime ainsi Nicolas Haeringer, porte-parole de 350.org, qui lutte contre l’exploitation des énergies fossiles polluantes. Selon lui, le Fonds d’épargne de la CDC, qui centralise indifféremment l’argent du Livret A et du LDDS, place environ 80 milliards d’euros sur les marchés, sans critères d’exclusion. « Cet argent sert ainsi à financer des entreprises parmi les plus polluantes au monde. Résultat : on estime qu’en termes d’émissions indirectes, placer 5000 euros sur des livrets d’épargne réglementée revient à utiliser au quotidien un 4x4 pour aller travailler ». 350.org et d’autres ONG demandent ainsi à la CDC d’exclure clairement tout investissement du Fonds d’épargne dans les entreprises les plus polluantes.

Au final, le LDDS, plus qu’un produit dédié spécifiquement au développement durable, apparaît surtout comme un petit Livret A bis. Certes, il participe au financement de la rénovation énergétique des bâtiments, mais seulement à la marge. La majeure partie de ses encours, systématiquement confondus avec ceux du Livret A, se répartissent entre placements sur les marchés (80 milliards d’euros environ fin 2017 selon l’OER) et financement du logement social et de la politique de la ville (159 milliards d’euros).

Un livret pas vraiment solidaire

Depuis décembre 2016 et la publication de la loi Sapin II, le LDD a gagné un S, somme solidaire. Objectif de cette évolution : permettre aux épargnants d’affecter tout au partie des intérêts perçus au financement de l’économie sociale et solidaire. Pourtant, près de deux ans plus tard, cela reste à l’état de vœu pieux : les décrets d’application, indispensables à la mise en œuvre effective de cette dimension solidaire, n’ont en effet toujours pas été publiés.

Lire aussi : Le LDDS n'est toujours pas solidaire

(1) 9e enquête Ifop pour Vigeo Eiris et le FIR, conduite en ligne du 24 au 28 août 2018 auprès de 1 002 Français. (2) La méthode retenue consiste, selon l’OER, « à utiliser les résultats de recherche par mots clés via Google trends pour étalonner un niveau de flux et d’encours consacré à différentes utilisations (économie d’énergie, achat de voiture). La pertinence des résultats a été validée en les croisant avec des sources alternatives (données de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – ADEME – et de l’Observatoire des crédits aux ménages). » (3) « Environnement : comment choisir mon épargne ? »