Parti de zéro il y a 4 ans et demi, Nickel a réussi depuis à ouvrir un million de comptes de paiement, grâce à une inspiration : les distribuer en bureaux de tabac. Retour sur cette saga avec Hugues Le Bret, co-fondateur et actuel président de l’établissement.

En septembre 2015, alors que Nickel n’avait encore ouvert que 150 000 comptes, Ryad Boulanouar, son inventeur, annonçait un objectif d’un million de comptes sous trois ans, qui semblait alors plus qu’ambitieux. Finalement, vous y êtes. Comment aviez-vous anticipé un tel succès ?

Hugues Le Bret : « C’est assez simple. Par expérience, par pragmatisme aussi, nous avons acquis la certitude qu’il existait un besoin pour un compte simple et sans découvert, à destination des personnes en difficultés financières. Selon les associations, elles sont entre 5 et 6 millions en France aujourd’hui. Notre objectif était de toucher 20% d’entre elles, soit un million environ. Mais nous avions sous-estimé le nombre total de Français - 30% de la population - qui, sans être en grande fragilité financière, subissent régulièrement des frais d’incidents pour avoir dépassé leur autorisation de découvert. Et nous n’avions pas prévu non plus les usages secondaires de Nickel par des gens plus aisés, qui représentent aujourd’hui 35% de notre clientèle. »

Un million de comptes, 850 000 comptes actifs

Le chiffre d’un million de comptes affiché par Nickel correspond au nombre total de comptes ouverts chez un buraliste depuis le 14 février 2014. Tous toutefois ne sont pas actifs : Nickel estime à 85% la part des comptes à jour de cotisation. A chaque date anniversaire d’ouverture de compte, Nickel tente en effet de prélever les 20 euros de cotisation annuelle. Si le compte n’est pas suffisamment approvisionné, le prélèvement repasse régulièrement pendant six mois. En cas d’échecs répétés, Nickel finit par désactiver le compte.

L’autre coup de génie de Nickel, c’est le choix de son réseau de distribution : les bureaux de tabac…

« Nous avons fait de l’ouverture de compte un service de grande consommation »

H.L.B. : « Effectivement. Nous avons constaté que 8 clients sur 10, notamment parmi les plus fragiles, sont accompagnés par le buraliste au moment d’ouvrir leur compte. Nickel ne vous laisse pas seul face à un écran, et touche donc aussi une population qui n’est pas autonome, par exemple parce qu’elle ne parle ou ne lit pas le français. Cette simplicité, couplée à cette rapidité - 8 minutes environ -, c’est unique au monde, nous sommes les seuls à l’offrir. Nous avons amélioré l’ouverture de compte pour en faire un service de grande consommation. »

La présence de vos bornes chez les buralistes vous permet également de toucher des millions de Français qui viennent chaque jour y acheter des cigarettes, des magazines…

H.L.B. : « Oui, deux millions de Français sont exposés chaque jour à la marque dans les points de vente Nickel. Les buralistes participent à la promotion du service, à hauteur de 15% des nouveaux client. Mais la majorité, 65%, vient grâce à la recommandation d’autres clients, au bouche-à-oreille. Le reste, ce sont les réseaux sociaux, les associations, les médias, etc. »

Cela vous permet de bénéficier d’un coût d’acquisition assez faible…

H.L.B.: « Il est inférieur à 15 euros par client. Ce qui signifie qu’il est couvert par les 20 euros payés par le client à l’entrée en relation. Notre modèle est le seul à permettre cela. Nous sommes d’ailleurs bénéficiaires chaque mois depuis juillet 2017. »

Quelle est l’échéance actuelle de votre accord d’exclusivité avec les buralistes ?

H.L.B. : « 2035. Nickel n’a pas vocation, et n’a aucun intérêt, à changer de mode de distribution. »

Comment a évolué la clientèle avec le temps ? S’est-elle embourgeoisée ?

« 40% de nos clients sont fichés à la Banque de France »

H.L.B. : « Que ce soit en termes de revenus ou de catégories socio-professionnelles, notre clientèle est restée extrêmement stable depuis le début. 40% de nos clients sont aujourd’hui inscrits dans au moins un des trois fichiers d’incidents de la Banque de France (1). En revanche, elle s’est féminisée, passant de 20 à 40% de femmes, et a rajeuni : la moyenne d’âge de 37 ans aujourd’hui, contre 41 ans au début. »

Vous avez lancé récemment Chrome, une carte plus haut de gamme, et plus chère. Avez-vous la volonté de vous adresser à une clientèle plus fortunée ?

H.L.B : « Non. Chrome répond à une demande de la partie de notre clientèle qui nous utilise pour des usages secondaires, pour payer à l’étranger et sur internet. Sur ces deux usages précisément, nous avons souhaité leur proposer les meilleures assurances du marché. »

Certains clients estiment que la forte croissance de Nickel s’est accompagnée d’une dégradation de la qualité de service. Que leur répondez-vous ?

H.L.B. : « Une montée en charge comme celle de Nickel peut générer de la surchauffe, en effet. Cela a pu être le cas par le passé, mais nous avons fait les changements nécessaires. Nous sommes même en train de recruter 15 conseillers de plus que ce qui était prévu. »

Une migration informatique mal gérée

Depuis le mois de juin, les comptes Nickel migrent progressivement vers un nouveau système informatique, développé en interne et sur mesure. Le choix a été fait de transférer les comptes par lots, en commençant par les moins actifs. Mauvais choix : la migration des comptes de clients les plus fidèles à Nickel, ceux qui l’utilisent comme compte principal, est intervenue fin août, entraînant des retards dans le virement de certains salaires. Un cas de figure qui a concerné 450 personnes, estime Hugues Le Bret, mais a entraîné une saturation du service clients en cette période de vacances. Résultat : une vague de mécontentement qui s’est répercutée sur les réseaux sociaux et chez les buralistes. La migration est désormais terminée, explique Hugues Le Bret, qui promet qu’elle permettra d’améliorer sensiblement la qualité du service Nickel.

Lire sur le sujet : Compte Nickel : des bugs à répétition sur les virements

Avez-vous le sentiment que le rachat de Nickel par BNP Paribas a nui à votre image, notamment auprès de la clientèle fragile ?

H.L.B. : « 99,9% de nos clients ne savent pas qui est actionnaire de Nickel. Pour eux, c’est simplement le compte ouvert en 5 minutes chez le buraliste, et ça, ça n’a pas changé. C’est un non-sujet pour eux. En revanche, j’ai effectivement reçu quelques messages d’insultes sur les réseaux sociaux, de gens qui considéraient que j’avais vendu mon âme au diable. Une vaguelette, qui n’a eu aucun impact sur la capacité de Nickel de capter de nouveaux clients. BNP Paribas, par ailleurs, est très attachée à l’idée de servir toutes les catégories de clientèles, avec des modèles spécifiques à chacune d’entre elles, et a bien compris qu’il ne fallait rien changer à l’alchimie Nickel. »

L’arrivée de Nickel a eu un impact réel sur l’offre de banque de détail en France. Que pensez-vous des produits lancés par les réseaux traditionnels, qu’ils se nomment C-zam ou Eko ?

« Objectif 2 millions de clients fin 2020 »

H.L.B. : « C’est une bonne chose de les voir s’intéresser à de nouveaux segments de clientèle. Toutefois, tout est dans le détail. Par exemple, on pourrait considérer que C-zam, c’est la même chose que Nickel. A un détail près : Nickel, ça se passe chez le buraliste, dans un lieu accueillant, ouvert 13 heures par jour, où je ne suis pas seul face à un écran. C’est là que se situe toute la différence du modèle Nickel, ce qui fait son succès. Malgré la concurrence, nous avons d’ailleurs pour objectif d’avoir 2 millions de clients fin 2020. »

Le produit Nickel a très peu évolué depuis son lancement. Est-ce délibéré ?

H.L.B. : « Je fais souvent l’analogie avec le stylo Bic… Nous n’avons pas l’intention de faire évoluer le concept de base : un compte à 20 euros pour payer et être payé. Les seuls changements correspondent à des besoins des clients. Nous réfléchissons par exemple à une manière d’accepter les dépôts de chèques. »

Pas d’épargne ? Pas de crédit ?

H.L.B. : « Ça n’est pas dans la feuille de route aujourd’hui. Notre objectif n’est pas d’équiper les clients, mais de servir leurs besoins de base de la manière la plus simple et efficace qui soit. »

Le prix de 20 euros est-il gravé dans le marbre ?

H.L.B. : « Nous n’avons aucun projet de le changer dans les semestres qui viennent. Plus généralement, nous n’avons pas l’intention de toucher à la tarification. »

Vous avez tout de même fini par facturer les frais de rejets de prélèvement…

H.L.B. : « C’est vrai, c’est quelque chose qui n’était pas prévu au début. Mais certains ouvraient des comptes, ne mettaient pas d’argent dessus et y domiciliaient des prélèvements. Nous avions un vrai préjudice d’image, nous avons donc choisi de faire payer 5 euros à partir du 3e rejet dans un premier temps, puis 10 euros à partir du 2e aujourd’hui. Contre 20 euros dès le premier pour les banques traditionnelles. »

Les banques se sont récemment engagées à plafonner les frais d’incidents pour les clients fragiles. Pensez-vous qu’elles vont tenir parole ?

H.L.B. : « Elles ont intérêt à le faire, c’est une question d’éthique et d’image. »

Nickel a-t-il vocation à sortir des frontières françaises ?

H.L.B. : « Le chantier est ouvert, il n’y a pas grand chose à en dire de plus dans l’immédiat. On regarde effectivement si l’on peut reproduire l’alchimie Nickel dans un autre pays d’Europe. »

(1) Fichier central des chèques (FCC), fichier des incidents de remboursement des crédits des particuliers (FICP), fichier national des chèques irréguliers (FNCI).