Fréquemment accordées en France, les autorisations de découvert font débat. Certains y voient une pratique obsolète et une rente pour les banques. D’autres les considèrent au contraire comme indispensables pour éviter les incidents de paiement.

C’est un des piliers de l’équipement bancaire des Français. Les banques hexagonales accordent en effet fréquemment des autorisations de découvert, y compris à des clientèles ne disposant pas de revenus réguliers comme les jeunes. Ce qui représente un feu vert pour placer leur compte courant en position débitrice - en dessous de zéro - sans pour autant déclencher d’incidents de paiement, avec certaines limites de montant et de durée (30 jours en général).

Autoriser les consommateurs à dépenser plus que ce dont ils disposent sur leur compte courant est-il vraiment dans leur intérêt ? Ou plutôt dans celui de leur banque ? A l’heure de la banque mobile et du temps réel, le découvert est-il toujours pertinent ? N’existe-il pas des solutions alternatives moins coûteuses ou risquées pour le client ? Voici les questions que se posent certains observateurs.

Une survivance du passé

Le découvert, une pratique obsolète. C’est l’opinion de Patrice Bernard, fin observateur des innovations bancaires sur son blog C’est pas mon idée. « Le découvert était une nécessité technique à l’époque où le chèque était le moyen de paiement dominant et où les comptes étaient tenus à la main ou sur des ordinateurs centralisés », rappelle-t-il. Cet impératif, toutefois, tend à disparaître : la carte bancaire supplante désormais largement le chèque, le virement instantané arrive, les banques améliorent leurs systèmes informatiques, les clients utilisent leur mobile et consultent plus fréquemment le solde de leur compte… C’est tout l’écosystème bancaire qui, de plus en plus, fonctionne en temps réel.

« La transparence, c’est ce qu’attendent les clients à l’âge de la banque digitale »

Pourquoi le découvert bancaire, lui, n’évolue-t-il pas en conséquence ? « Soit les banques ont la volonté d’entretenir ce qui est devenu au fil des années une rente, soit elles considèrent que ce n’est pas prioritaire. Dans les deux cas, c’est un mauvais calcul », estime Patrice Bernard. A titre de contre-exemple, le blogueur cite le cas de HSBC. En 2014, la banque a mis en place au Royaume-Uni un système d’alertes informant ses clients non seulement du passage de leur compte dans le rouge - ce que font désormais certaines banques françaises - mais aussi des frais engendrés quotidiennement par ce découvert. Elle leur laisse également un délai de grâce de quelques heures pour rétablir la situation. Résultat : 40% des destinataires des alertes ont immédiatement réagi en renflouant leur compte. Patrice Bernard en est persuadé : « Cette transparence, c’est ce qu’attendent les clients à l’âge de la banque digitale, et ce qui permettrait d’améliorer l’image du secteur en général ».

Combien coûte un découvert autorisé ?

Dans le cadre de l’autorisation de découvert, les banques françaises appliquent des taux débiteurs très contrastés : selon les relevés effectués par cBanque, ils vont aujourd'hui de 7% (BforBank, Boursorama, Fortuneo) à plus de 16% (Crédit Agricole Sud Méditerranée). Mais elles sont aussi nombreuses à faire preuve d’une certaine opacité, en affichant dans leurs brochures tarifaires des taux indexés sur leur « taux de base bancaire » (laissé à la discrétion de chaque banque), sur le taux de l’usure... voire en n'affichant aucun taux !

A consulter : les taux des découverts autorisés ou non autorisés

Une facilité indispensable mais mal utilisée

« Ce n’est pas parce qu’il est mal utilisé qu’il faut supprimer le découvert », estime de son côté Maxime Pekkip, chargé de mission au sein de Crésus, fondation qui lutte contre le surendettement. Pour lui, permettre aux clients bancaires de « disposer d’une somme d’argent disponible à court terme pour faire face à une dépense imprévue ou à un décalage de trésorerie » reste indispensable.

« Les banques ne prennent pas la peine de calculer correctement le montant du découvert autorisé »

Utile sur le principe, le découvert peut parfois devenir dangereux. Lorsqu’il est détourné de sa fonction d’abord. « Quand le découvert est constant, sur une durée longue, qu’il est de fait utilisé comme un crédit, il devient problématique », estime Maxime Pekkip. Lorsqu’il est mal calibré ensuite, ce qui est souvent le cas selon le spécialiste : « Les établissements de crédit ne prennent pas la peine de calculer correctement le montant d’un découvert autorisé. Ils se basent en général sur les seuls flux créditeurs, alors qu’il faudrait passer du temps avec le client pour ajuster le montant en fonction de ses besoins ou de ses envies. » Résultat : si le montant de l’autorisation de découvert est trop important, le client risque d’avoir du mal à repasser dans le vert en temps et en heure. S’il ne l’est pas assez, il expose le client à des dépassements, et donc à l’avalanche de frais d'incidents (commissions d’interventions, frais d’impayés) qui va avec.

L’enjeu de la connaissance client

Mieux analyser les habitudes et les besoins de leurs clients aurait un autre avantage : cela permettrait aux banques de leur proposer des alternatives au découvert traditionnel. « Dans certains cas, une carte à débit différé, une autorisation de caisse non permanente ou un recours au crédit conso ou à l'épargne peuvent s’avérer des solutions plus pertinentes », note le représentant de Crésus.

A défaut, elles s’exposent à la concurrence de nouveaux acteurs : nombre de fintechs - citons entres autres Bankin’, Linxo, FinFrog ou Fastoche - proposent en effet aux usagers bancaires de les aider à éviter les fins de mois dans le rouge.