« Les banques ne prêtent qu'aux riches ! » L'adage a tout du cliché. Et pourtant... s'il est excessif, il présente bel et bien une part de vérité. La preuve, en 3 points, pour ce 8e épisode de notre série d'été « les clichés sur l'argent ».

« Pour devenir propriétaire, il faut gagner plus de 5 000 euros par mois ! » Changez le montant d'une année à l'autre et vous retrouvez ce type d'affirmation dans une ribambelle d'articles. A chaque fois, la phrase s'appuie sur une étude du type « portrait-robot de l'emprunteur » publiée par un courtier ou un établissement spécialisé, lequel s'appuie sur les dossiers traités par son enseigne. Des études étayées et parfaitement légitimes, mais le revenu moyen mis en avant est rapidement identifié comme un seuil d'accès... Dans l'exemple cité, les 5 000 euros nets par mois représentent le revenu moyen des ménages (avec deux emprunteurs le plus souvent) qui souscrivent un crédit immobilier. En aucun cas le revenu minimum pour pouvoir emprunter !

1. Pourquoi ce n'est pas (totalement) vrai

Ce type d'étude, ainsi reprise, peut décourager les potentiels emprunteurs qui retiennent : « Je ne gagne pas assez d'argent pour emprunter ! » Ce qui se transforme vite en : « Les banques ne prêtent qu'aux riches ! »

Le gendarme bancaire, l'ACPR (1), livre une estimation du revenu moyen des emprunteurs en s'appuyant sur les statistiques des différents réseaux bancaires. Tout d'abord, le résultat est totalement différent selon la région, avec des revenus plus plus élevés en Ile-de-France, et selon le type de projet : premier achat ou non, investissement locatif, résidence principale ou secondaire... Ensuite, au global, le gendarme bancaire livre la moyenne suivante : 33 346 euros par an, soit 2 778 euros par mois par ménage (couple ou célibataire) signant un crédit, en 2019. Des statistiques moins décourageantes que le 5 000 euros évoqué plus haut !

Surtout, l'élément le plus important d'un dossier d'emprunt n'est pas le revenu en lui-même mais le revenu rapporté aux mensualités. Bref, le taux d'endettement. La règle, dans le secteur bancaire, est d'éviter que l'échéance mensuelle ne dépasse un tiers (33%) des revenus du ménage. Ainsi, un couple ne disposant « que » de 3 000 euros par mois peut théoriquement emprunter près de 230 000 euros dans les conditions actuelles, en s'endettant sur 25 ans et à condition de disposer d'un apport suffisant pour couvrir a minima les frais de notaire.

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2. Pourquoi ce n'est pas (totalement) faux

Les banques ne prêtent donc pas qu'aux plus riches. Mais elles ne prêtent effectivement pas (ou peu) aux plus pauvres. Car leur objectif reste de se faire rembourser, raison pour laquelle elles veillent à ne pas dépasser ce fameux taux d'endettement de 33% : elles limitent le risque de surendettement (pour l'emprunteur) et celui d'un défaut de remboursement (pour la banque). Conséquence de ce risque d'impayé : les banques se montrent plus exigeantes envers les travailleurs non-salariés et accordent plus difficilement des prêts aux CDD, intérimaires ou chômeurs.

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L'actualité récente du crédit immobilier renforce même cette idée reçue. Fin 2019, face à la conjoncture persistante de taux bas, le HCSF (2), « conseil des sages de la finance » présidé par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, a tapé du poing du la table. Ce Haut conseil a rappelé les bonnes pratiques du crédit immobilier : 33% d'endettement maximum, et pas plus de 25 ans de remboursement. Certes, les banques peuvent « s'écarter des critères recommandés » pour « une partie de la production », mais Bercy a clairement resserré le robinet du prêt immobilier.

« Suite aux recommandations du HCSF, il est clair que les banques ont recentré leur activité sur les emprunteurs présentant les meilleurs dossiers », confirme Bruno Risser, directeur du développement du courtier Cafpi. Traduction : les profils d'emprunteurs « moyens » ou « aisés ». Attention, les emprunteurs modestes n'ont pas pourtant autant été écartés du crédit, comme le souligne Bruno Risser, mais ils ne sont plus au cœur de la cible bancaire. Plus concrètement, les dossiers à la limite des 33% d'endettement, ou nécessitant un prêt sur 25 ou plus, sont bien plus difficilement acceptés.

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3. Pourquoi les plus aisés obtiennent de meilleurs taux

Les ménages aisés et modestes peuvent emprunteur, du moins tant qu'ils respectent cette fameuse règle des 33%. Mais empruntent-ils dans les mêmes conditions ? Non. C'est clairement sur les conditions de financement que se situe le plus forte inégalité entre emprunteurs aisés et modestes.

Les grands réseaux bancaires ne livrent évidemment pas leur grille de taux et les profils correspondants. Mais les simulateurs des banques en ligne permettent de deviner certains critères : les taux les plus avantageux sont réservés selon les cas à ceux qui dépassent un certain seuil de revenus (5 000 euros par exemple) et qui empruntent les montants les plus imposants. Surtout, disposer de revenus confortables offre une marge financière qui, in fine, permet d'optimiser les conditions d'emprunt et d'achat.

Cette inégalité s'est-elle là aussi creusée suite aux recommandations du HCSF fin 2019 ? Non, coupe Pierre Chapon, le fondateur de Pretto, fintech de courtage en crédits : « Les gros revenus sont effectivement ceux pour lesquels les banques font le plus d'effort. Mais ce sont justement eux qui pouvaient pousser leur taux d'endettement aux niveaux les plus élevés, à 40% voire plus de 50%. Car leur reste à vivre était important même s'ils s'endettaient trop fortement. Avec les nouvelles contraintes du HCSF, les banques ne peuvent plus se permettre de tels écarts avec la règle des 33%. » En clair, les ménages aisés vont toujours réussir à négocier des taux très bas, mais les banques ne leur accordent plus de crédits XXL.

Un bémol, enfin, à cette vision binaire « riches / pauvres » : tant qu'il respecte la règle des 33% de taux d'endettement, un couple en début de carrière achetant pour la première fois reste une cible stratégique. Car leurs revenus peuvent grimper, car ils peuvent ouvrir des produits d'épargne pour leurs enfants, car ils vont petit à petit se constituer un patrimoine... Raison pour laquelle certaines banques régionales disposent d'une offre de « crédit à taux zéro » de 10 000 à 30 000 euros, en complément du prêt immobilier classique. Les « riches » ne sont donc pas les seuls « chouchous » des banquiers !

Voir aussi le baromètre des taux immobiliers

(1) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui a publié l'étude « Le financement de l'habitat en 2019 », publié en juillet 2020. La méthodologie utilisée par l'ACPR est totalement différente d'un sondage puisque le régulateur part du montant de la mensualité, recoupé au taux d'effort moyen, pour réaliser son estimation de revenus moyen et médian.

(2) Haut conseil de stabilité financière.