Si le contrat à durée indéterminée (CDI) reste la norme, le marché du travail en France fait une place de plus en plus importante à d’autres formes d’emploi, souvent plus précaires, parfois subies, parfois choisies. Comment les banques ont-elles adapté leurs critères d’octroi de crédit immobilier à cette nouvelle donne ?

En France, le CDI reste la norme pour près de 9 salariés sur 10. Mais de plus en plus de Français travaillent hors du champ de ce salariat traditionnel. Nombre d’entre eux sont de jeunes actifs : en 2017, selon des chiffres de la Dares (1), 87% des nouvelles embauches se font en contrat à durée déterminé (CDD). Surtout, ces CDD sont de plus en plus courts - moins d’un mois dans 8 cas sur 10 - mais se transforment de plus en plus lentement en contrat durable : seuls 20% des CDD sont devenus des CDI au bout d’un an, contre 50% en 1982, selon des chiffres de France Stratégie.

Certains travailleurs font aussi le choix de s’extraire du salariat. C’est le cas par exemple dans certaines professions dynamiques - le conseil, le développement informatique, le marketing - où l’offre d’emploi dépasse la demande. Soulagés de la crainte du chômage, ces travailleurs ont parfois la tentation de devenir leur propre patron.

Ces nouvelles formes de précarité, qu’elles soient contraintes ou choisies, ont toutefois des inconvénients. Parmi eux, l’accès au crédit. Historiquement, les banques françaises ont en effet fait de la sécurité de l’emploi le sésame ultime pour accéder au prêt immobilier, et donc à la propriété. Face à la mutation du marché du travail, ont-elles changé leur fusil d’épaule ? Pas vraiment.

Le CDI, « condition sine qua non » pour l’accès au crédit

« Le CDI reste la condition sine qua non pour accéder au crédit immobilier », tranche Sandrine Allonnier, directrice de la communication du courtier spécialisé VousFinancer. « Les banques ont assoupli leurs critères d’octroi sur certains points, en acceptant de prêter sur des durées plus longues, et parfois sans apport. Mais sur le contrat de travail, elles ne bougent pas ».

Si prêter sans CDI est clairement plus risqué, la quasi-impasse faite par la plupart des enseignes sur ces profils n’est pas sans conséquence. « Les banques donnent l’impression de ne pas se préoccuper du problème, alors que c’est un véritable phénomène de société », poursuit Sandrine Allonnier. « Il y a là une injustice à l’égard des jeunes actifs, qui sont contraints de reporter leurs projets immobiliers et risquent ainsi de ne pas pouvoir profiter des taux bas. » En moyenne, l’âge du premier achat immobilier est de 33 ans, alors celui du premier emploi sérieux est de 22 ans et demi.

Chez VousFinancer, 13% des emprunteurs hors CDI

87% des emprunteurs et 75% des co-emprunteurs qui ont utilisé les services du courtier spécialisé VousFinancer au 1er semestre 2018 sont en CDI. Les autres sont des travailleurs non salariés (6%), des retraités (2%) et parfois des CDD (1,7%). Les inactifs et les chômeurs représentent, eux, moins d’1% des emprunteurs clients du courtier.

Chômeurs et CDD, dans le même panier

Considérés comme des formes de précarité subies, le chômage et les CDD restent clairement les parents pauvres du crédit immobilier. Sandrine Allonnier ne connaît « pas de banque qui prête aux chômeurs », même indemnisés, en tant qu’emprunteur seul mais aussi en tant que co-emprunteur. Les très rares contre-exemples concernent principalement des demandeurs d’emploi qui possèdent d’importantes sources de revenus annexes, par exemple d’origine foncière.

Démontrer une continuité dans les revenus

Il a un peu plus de nuances dans les politiques des prêteurs à l’égard des salariés en CDD. Certaines enseignes leur ferment la porte par défaut, a fortiori lorsque le marché est dynamique, comme c’est le cas actuellement, et que les clients ne manquent pas. Mais d’autres sont plus ouvertes aux profils atypiques. Interrogée, La Banque Postale (LBP) confirme par exemple étudier chaque dossier « au cas par cas ». Outre le type de contrat de travail, « d’autres critères sont pris en compte comme, par exemple, le fait qu'un emprunteur en CDD emprunte avec un emprunteur en CDI ». « Le point important par rapport à la situation de l'emprunteur, notamment les CDD et les intérimaires », poursuit la communication de LBP, « est le fait que celui-ci puisse démontrer une continuité dans sa situation professionnelle et la perception de revenus réguliers ».

Des revenus réguliers indispensables

De l’avis de Sandrine Allonnier, les intérimaires et les travailleurs intermittents - du spectacle notamment - sont un peu mieux servis par les banques que les CDD. « A condition que ce soit un choix de vie, et pas un statut contraint » précise la porte-parole de VousFinancer. Dans ce cas de figure, les banques acceptent notamment de prendre en compte dans leurs critères d’octroi les allocations perçus en relais des revenus directement issus du travail, à condition toutefois que les seconds soient globalement supérieurs aux premiers.

L’autre enjeu, qui concerne plus généralement les travailleurs non salariés - et donc également les freelances, les commerçants et artisans - est d’être capables de faire la preuve de leur capacité à engranger régulièrement des revenus. « Il faut pouvoir présenter au moins 3 ans de bilan », précise Sandrine Allonnier. La banque s’appuie alors sur le revenu mensuel moyen touché sur la période. Sauf dans les cas de rentrées très irrégulières, où c’est généralement le revenu mensuel le plus faible qui est retenu.

Cautions, cagnottes : des nouvelles solutions ?

Reste une question : les banques vont-elles finir par adapter leur usages à ces nouvelles clientèles ? A court terme, Sandrine Allonnier ne le croit pas : « Le taux de défaut en France est particulièrement bas, 0,5%. C’est un marché très sécurisé et elles ne veulent pas que ça change, car cela leur permet notamment de se refinancer à des taux très bas. Elles n’ont aujourd’hui aucun intérêt à aller chercher des profils à risque ».

Il existe toutefois des pistes pour améliorer la situation de ces profils atypiques. « L'octroi d'un crédit immobilier à des CDD ou intérimaires n'est pas uniquement lié à la politique de risques de La Banque Postale », explique ainsi la communication de LBP, « mais également à l'écosystème autour en termes de garantie du prêt, d'assurance, etc. ». Alors, comment rendre cet écosystème plus favorable ?

Un système de caution spécial CDD ?

Des jeunes pousses s’intéressent au sujet. Une d’entre elles, Devenez Proprio, vient par exemple de lancer une plateforme de don, permettant à un emprunteur de solliciter ses proches pour l’aider à se constituer un apport. Mais la piste la plus sérieuse se situe du côté des cautions. Déjà, les cautions familiales permettent d’améliorer les chances d’emprunter en CDD. Mais Sandrine Allonnier estime que les banques pourraient aller plus loin, « avec un système de caution spécifique pour les CDD : une commission supplémentaire serait ainsi intégrée dans le coût de leur prêt, qui pourrait être remboursée à l’emprunteur lors de son passage en CDI. »

(1) Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques