Sur les restes de Barclays France, cédée en 2017 au fonds d’investissement AnaCap Financial Partners, se construit une nouvelle banque privée, baptisée Milleis Banque. Entretien avec Philippe Vayssettes, ancien de Neuflize OB et directeur général de l’enseigne.

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Philippe Vayssettes, depuis le 15 mai dernier, Barclays France est officiellement devenue Milleis Banque. Quelle est la situation dont vous héritez ?

Philippe Vayssettes : « Nous comptons à l’heure actuelle autour de 100 000 clients et environ 9 milliards d’euros d’actifs sous gestion, dont 2 milliards d’euros de dépôts. Sur ces 100 000 clients, environ 45 000 se situent dans notre cible. »

En quoi la clientèle cible de Milleis est-elle différente de celle de Barclays ?

P.V. : « Barclays avait une tradition de politique commerciale tournée vers la banque de détail. Ce ne sera pas le cas de Milleis : nous allons travailler, en banque privée, avec des clients qui détiennent au moins 50 000 euros d’actifs financiers mobilisables à court terme.

Pourquoi délaisser le créneau de la banque de détail ?

P.V. : « Tout simplement parce que nous n’avons pas les moyens de lutter avec les grandes enseignes bancaires qui mènent déjà un combat de titans pour conserver ce marché et lutter contre les nouveaux entrants. Pour les clients qui ont quelques milliers d’euros, et qui ont besoin d’un compte, d’une carte et éventuellement d’un chéquier, il existe déjà des centaines d’offres, aussi efficaces et sans doute moins chères que la nôtre. »

Quid des anciens clients de Barclays Bank qui n’entrent pas dans la cible ?

« Les anciens clients ne seront pas jetés dehors ! »

P.V. : « Nous n’allons pas les jeter dehors ! Au contraire, nous allons continuer à les servir du mieux possible. A terme toutefois, les clients qui ne souhaitent ou ne peuvent pas apporter suffisamment d’actifs auront le choix entre fermer leurs comptes ou passer sur une relation client 100% web. »

L’objectif affiché est de doubler le nombre de clients, pour atteindre 200 000 d’ici 2024. Comment comptez-vous y parvenir ?

P.V. : « Pour commencer, je suis persuadé que nous pouvons reconquérir une partie des 55 000 clients qui se situent aujourd’hui hors de la cible. Certains se sont éloignés au fil des années, à mesure que Barclays délaissait sa filiale française. Nous allons les informer et tenter de les convaincre de nous confier leurs actifs, en leur proposant une relation durable avec un conseiller chef d’orchestre et une gamme de produits élargie, qui couvrira leurs besoins à tout moment de leur vie. »

Mais il vous faudra aussi capter l’attention de nouveaux clients…

« 2,3 à 2,5 millions de Français dans la cible »

P.V. : « Oui. Nous estimons entre 2,3 et 2,5 millions le nombre de Français disposant de 100 000 à 1 million d’euros d’actifs financiers mobilisables à relativement court terme. Parmi eux, certains n’intéressent plus les banques privées traditionnelles, qui ont tendance à relever leurs seuils d’entrée. A ceux-là, nous allons proposer des services de banque privée à part entière, avec une gestion patrimoniale de plein droit et un conseiller attitré. La plupart d’entre eux ont plus de cinquante ans, mais nous allons aussi viser une clientèle plus jeune, composée d’entrepreneurs, de cadres supérieurs et d’héritiers, qui ont tous besoin d’être accompagnés. Et bien sûr, nous ne nous interdisons pas d’accueillir des clients très riches, attirés par notre nouvelle marque et la simplicité de notre modèle. »

Qu’allez-vous conserver de la gamme de produits financiers de Barclays ?

P.V. : « Barclays disposait de très bons produits, mais dans une gamme trop limitée. Nous allons donc l’élargir. Sur l’assurance-vie par exemple, l’offre est déjà solide, mais nous allons ouvrir le champ des possibles sur la gestion pilotée et les produits qui pourront être intégrés à la partie UC. Barclays était aussi très bon sur la pierre papier. Nous allons renforcer l’offre de SCPI grâce à un partenariat exclusif avec iSélection. Plus généralement, nous allons travailler en architecture ouverte, en tissant des partenariats avec d’autres marques. »

Quid de la gamme des livrets d’épargne héritée de Barclays France ?

P.V. : « Les taux sont tellement bas aujourd’hui que les clients sont peu enclins à s’embarquer dans des systèmes de livrets trop sophistiqués. Nous allons donc nous concentrer sur un ou deux produits. Ce sera au programme du 3e trimestre 2018, au même titre que la refonte complète de notre tarification. »

Quel sera l’esprit de cette nouvelle tarification ?

« Une tarification compétitive, sans tomber dans le dumping »

P.V. : « Nous la souhaitons compétitive, sans tomber dans le dumping. C’est déjà ce que nous avons appliqué pour le crédit, une activité que Barclays avait abandonnée et que nous avons relancée fin 2017. »

Comment va évoluer le réseau d’agences hérité de Barclays ?

P.V. : « Nous avons actuellement 72 points de vente, il y aura une réduction significative dès 2018, avec des regroupement d’agences, et le développement du nomadisme de nos conseillers, qui pourront aller plus souvent chez le client. Nous sommes 1 000 salariés aujourd’hui, nous serons un peu moins dans les années qui viennent. Mais nous comptons maintenir les effectifs en ce qui concerne la force commerciale. »

Comme beaucoup de banques, vous parlez beaucoup d’agilité. Comment rendre plus agile une organisation bancaire comme Barclays Bank ?

« Nous avons la chance de ne plus être dans un groupe bancaire »

P.V. : « C’est vrai, l’agilité est devenu une notion un peu tarte à la crème. Mais il y a ceux qui disent et ceux qui font. Ceux qui survivront à la vague de transformation - qui ne fait que commencer - dans notre secteur industriel sont ceux qui parviendront à redevenir compétitifs. Les banques, de fait, sont devenus de plus en plus bureaucratiques, déresponsabilisantes, lourdes… Nous portons cet héritage mais nous avons aussi la chance de ne plus être dans un groupe bancaire ! En termes d’organisation, nous reconstruisons tout de zéro, afin de sortir du formalisme propre aux grandes banques et d’être capables de décider vite, sans compromis bien sûr sur les exigences réglementaires. »

Quel est votre point de vue sur l’évolution du marché de la banque privée ?

P.V. : « Il change très rapidement, comme les autres métiers de la banque, sous l’effet de la réglementation et du digital. Le règlement européen Mifid 2 a un impact énorme sur les marges, en imposant la transparence des frais à un secteur qui a été dominé par l’opacité. Et les nécessaires investissements dans le numérique pèsent lourd. Dans ce monde nouveau, la banque privée a tendance à supprimer des emplois, à déshumaniser le service et à jouer sur la segmentation. Ce n’est pas un hasard si plusieurs banques privées ont annoncé en même temps qu’elles réservaient le service sur mesure à une clientèle millionnaire. »