Les rendements de l'assurance-vie baissent inexorablement depuis plus de 10 ans. L'inflation progresse elle depuis plusieurs mois. Les fonds en euros pourront-ils encore préserver votre pouvoir d'achat en 2018 ? Nous avons posé la question à Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet Facts & Figures, qui a publié son baromètre annuel de l’épargne-vie.

Contrairement à l’habitude, vous n’avancez pas d’estimation précise de rendement 2018 pour les fonds en euros. Pourquoi ?

Cyrille Chartier-Kastler : « A cause des nombreuses incertitudes économiques : plusieurs facteurs influençant les taux servis sont mouvants et s’intensifient actuellement. Les fonds en euros peuvent bénéficier des dynamiques positives de leurs poches actions, mais on relève aussi la persistance de taux obligataires très bas. La BCE pourrait elle être tentée par la remontée des taux, mais la situation incertaine de l’Italie apporte un gros bémol ! L’inflation remonte, mais cette hausse n’est due qu’au pétrole… Nous percevons ainsi de nombreux éléments contradictoires. Et, à ce stade, la performance brute des fonds en euros est exactement la même en 2018 qu’en 2017. Si bien que les assureurs eux-mêmes sont dans l’incertitude. »

Peut-on dire qu’une remontée des taux est envisageable dès 2018 ?

« Les assureurs pourraient opter pour des politiques de taux très variables »

C.C-K. : « Envisageable oui, tout autant qu’une nouvelle baisse. Les assureurs devraient faire un point sur l’ensemble des éléments macro-économiques en fin d’année et arrêter leur politique de taux entre le 15 novembre et le 15 décembre. Si la situation reste instable, les assureurs pourraient aussi opter pour des politiques très variables : une légère hausse pour l’un, une légère baisse pour l’autre, etc. »

La remontée de l’inflation, à 2% actuellement selon l’Insee, change-t-elle la donne ?

C.C-K. : « Pour l’épargnant cela ne change rien : les Français visent en priorité les placements sans risque et la hausse de l’inflation ne devrait pas influer sur leur comportement car les taux restent bas pour toutes les familles de placements sécurisés. En revanche, ce qui est clair, c’est qu’en 2018 le rendement net d’inflation des fonds en euros sera négatif ! Le rendement moyen net d’inflation était à 1,7% en 2016, 0,5% en 2017, il passera désormais durablement en dessous de zéro. En un sens, nous allons sortir d’une situation atypique où des placements à capital garanti rapportent plus que l’inflation… »

Cette hausse de l’inflation peut-elle avoir un impact financier, via les taux de la BCE par exemple ?

« Le rendement moyen net d’inflation passera durablement en dessous de zéro »

C.C-K. : « S’il s’agissait d’une ''bonne'' ou véritable inflation, qui représente réellement la hausse du coût de la vie, oui, cela pourrait pousser la BCE à remonter ses taux directeurs. Mais il s’agit d’une ''fausse inflation'', uniquement portée par les matières premières, ce qui pourrait inciter la BCE à l’attentisme. »

Y a-t-il un enjeu pour les assureurs à positionner leur taux au-dessus de l’inflation ?

C.C-K. : « Je ne pense pas. Ils limitent les flux vers les fonds en euros, notamment en modérant leurs rendements. Si l’inflation augmente, les assureurs n’ont aucune raison de modifier leur politique actuelle. La conséquence de la baisse des performances des fonds en euros et des incitations à l’investissement en unités de compte, c’est que l’assurance-vie devient de plus en plus clairement un produit patrimonial et de gestion privée, de moins en moins un produit populaire. Notre étude (1) pointe que l’épargne standard est pour la première fois en 5 ans en décollecte en 2017 ! Alors que les segments plus haut de gamme, patrimonial et banque privée, ont réalisé des collectes nettes positives. »

Comment expliquer que les assureurs bancaires ont freiné leur baisse de rendement en 2017 ?

« L’assurance-vie devient un produit patrimonial et de gestion privée, de moins en moins un produit populaire »

C.C-K. : « Effectivement, à l’exception de Suravenir, les bancassureurs ont annoncé des performances globalement stables. D’une part la pression des autorités de tutelle était plus forte en 2016 qu’en 2017, d’autre part le marché reste très concurrentiel : les assureurs limitent les flux sur les fonds en euros mais ils ne veulent pas perdre leurs clients ! Il s’agissait probablement d’envoyer un signal positif à leurs assurés. »

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Les réserves (PPB) des fonds en euros sont désormais conséquentes. Cela offre-t-il une marge aux assureurs pour leur politique de taux ?

C.C-K. : « Grâce à cette hausse de la PPB, les assureurs peuvent diversifier leurs actifs tout en respectant leurs obligations prudentielles. Ces réserves sont donc potentiellement synonymes de meilleurs rendements ! Par ailleurs cette PPB leur permet d’encaisser d’éventuels chocs financiers, hors scénario extrême de type guerre internationale, ce qui apparaît plus improbable. »

Le projet de loi Pacte transforme l’euro-croissance. L’objectif de 20 milliards d’euros d’encours en 2 ans est-il envisageable ?

« Les planètes ne sont pas alignées pour l’euro-croissance »

C.C-K. : « A nouveau, les planètes ne sont pas alignées pour l’euro-croissance avec les taux obligataires au plus bas et les actions au plus haut : d’un point de vue financier, c’est le pire scénario pour relancer ce produit ! Tout dépendra de la mise en œuvre. En cas de transfert d’actifs forcé de la part des assureurs des fonds en euros vers l’euro-croissance, cet objectif reste envisageable. »

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Le projet de loi Pacte permet la portabilité de l’épargne-retraite. Quelle famille de produit en profitera ? Le Perp ? Le Perco ?

C.C-K. : « Je pense surtout que les particuliers vont rassembler leurs contrats. Plutôt que d’avoir dix contrats éparpillés, un Perp, un Madelin, plusieurs Perco, etc., un particulier peut regrouper l’ensemble de ses avoirs dans un seul de ces contrats. Cela ne sera pas forcément pour déplaire aux assureurs qui pourront gérer des contrats d’épargne-retraite plus conséquents. J’entends que cela devrait favoriser l’épargne salariale mais, sur un Perco, il n’y a pas de fonds en euros, et les fonds monétaires affichent des rendements négatifs… Or les épargnants sont toujours en quête de sécurité, y compris pour des contrats d’épargne-retraite. »

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(1) Baromètre 2018 de l’épargne-vie individuelle, 9e édition, par Facts & Figures.