Plus de 15 ans après l’apparition des premières enseignes, les banques en ligne ne touchent toujours pas le grand public et perdent de l’argent. Pour atteindre la rentabilité, vont-elles devoir revoir leur modèle économique, en renonçant par exemple à la gratuité ?

Où vont les banques en ligne ? Alors que les plus anciennes s’approchent tranquillement des 20 ans d’existence, les enseignes à distance n’ont pas encore massivement converti les Français : selon une étude publiée en septembre 2017 par Arcane Research, seuls 9% d’entre eux sont aujourd’hui clients d’une banque en ligne pure player.

Conséquence : elle restent en phase active de conquête de nouveaux clients, à coup d’offres de bienvenue - les 80 euros, en échange de l’ouverture d’un compte courant, sont la norme - et de promesse de gratuité sur la carte bancaire et les opérations du quotidien. Un modèle généreux pour le client, mais qui coûte cher aux enseignes. « Plus d’un tiers de notre base de coûts est liée à des frais marketing, dont 80% sont des frais d’acquisition », expliquait en février Benoît Grisoni, le patron de Boursorama, à L’Agefi. Résultat : en 2016, les banques en ligne ont cumulé plus de 80 millions de pertes, dont 24 millions pour la seule Boursorama.

Objectif 2 millions de clients

Pourquoi, dans ce cas, ne pas lever le pied sur ces frais d’acquisition ? Le secteur y pense. « Dans quelques années, nous ne serons plus nécessairement obligés ni d’acquérir autant de clients, ni à ces conditions », expliquait ainsi récemment Benoît Grisoni. Mais en attendant, le phase de conquête à tout prix se poursuit, avec un objectif : atteindre un nombre de clients suffisant pour devenir rentable.

Mais où placer cette ligne de flottaison ? « Un lieu commun veut que le seuil de rentabilité d’une banque de détail se situe autour de 2 millions de clients », explique Guillaume Alméras, éditeur de Score Advisor, site spécialisé en stratégie bancaire. Deux millions, c’est en effet l’objectif affiché par Boursorama (à l’horizon 2020), mais aussi par Orange Bank (d’ici 10 ans). « Mais en réalité, c’est le flou artistique », poursuit Guillaume Alméras. « Dans le cas des banques en ligne, ce seuil se situe probablement bien au-delà des 2 millions, pour une raison simple : la plupart des clients ne payent rien. »

La gratuité, un âge d’or qui touche à sa fin ?

Les chiffres fournis par les principales intéressées le confirment : en 2017, 59% des clients de Boursorama et 54% de ceux de Fortuneo n’ont payé aucuns frais. « C’est un modèle qui tourne à vide », juge l’éditeur de Score Advisor.

Dans ce contexte, les banques en ligne vont-elles devoir revoir leur modèle économique et demander à leurs clients de mettre la main à la poche ? Ou pour le dire autrement, l’âge d’or de la gratuité touche-t-il à sa fin ? Certains signes peuvent le laisser penser, comme la disparition, dans certaines publicités, des promesses de « cartes bancaires gratuites à vie ». Pour Guillaume Alméras, l’heure n’est toutefois pas encore venue. « Avec l’arrivée des néobanques dans le paysage concurrentiel, ce n’est probablement pas le meilleur moment pour cela », estime-t-il.

En remettant en cause la gratuité, les banques en ligne risqueraient notamment de s’aliéner le cœur de leur clientèle actuelle : des cadres d’âge moyen, aisés, urbains et très sensibles au prix. Des clients qui connaissent leur valeur pour les banques et qui ne voient donc pas pourquoi ils devraient payer.

Fidéliser sous la contrainte

Bloquées sur les prix, les banques en ligne disposent-elles de scénarios alternatifs pour améliorer leur rentabilité ? Oui. Le premier, déjà mis en œuvre par certaines enseignes, consiste à conditionner la gratuité à une utilisation régulière du compte. Ou, pour le dire autrement, à fidéliser sous la contrainte, en imposant par exemple, sous peine de frais, une utilisation minimum de leur carte bancaire (Orange Bank, Fortuneo, BforBank) ou un flux minimum de dépôts sur leur compte (ING Direct). Objectif : générer plus de dépôts et plus de paiements par carte, donc plus de revenus. Mais cette stratégie a ses limites, en particulier dans le contexte actuel de taux bas et de plafonnement des commissions d’interchange.

Autre piste explorée : faire payer de nouveaux services à valeur ajoutée. Mais lesquels ? « De ce point de vue, on reste sur notre faim », tranche Guillaume Alméras. « Les banques en ligne ne proposent rien de vraiment nouveau ». La tendance est néanmoins à l’élargissement de l’offre, notamment dans la prévoyance et les crédits, deux activités particulièrement rémunératrices.

La niche plutôt que la masse

Une autre option, en revanche, est moins utilisée dans l'immédiat : faire évoluer la cible visée. Aujourd'hui, la communication d'enseignes comme Boursorama, Hello bank ou Orange Bank s'adresse ouvertement aux jeunes actifs urbains et créatifs. « Ces enseignes devraient peut-être plutôt cibler les jeunes seniors, comme le fait BforBank », juge l'éditeur de Score Advisor. La filiale du Crédit Agricole attire aujourd'hui une clientèle dite mass influent, sensible au prix mais disposée à s’équiper en produits d’épargne, de prévoyance, voire en crédits. C’est aussi le cas de Fortuneo, seule banque en ligne à ne pas afficher de pertes en 2016. La niche, donc, plutôt que la masse.

A consulter : le classement des banques les moins chères