Seuls les salariés des grandes entreprises profitent de l'épargne salariale : une idée reçue ? Pas totalement puisque seul un salarié de TPE sur dix peut en profiter. Cette question épineuse est au menu du projet de loi Pacte. Entretien avec Guy Bonnet, ex DG adjoint de Crédit Mutuel CIC épargne salariale, désormais consultant chez Factorielles et membre du think-tank IPS.

L’Institut de la protection sociale (IPS) a édité un livre blanc « pour simplifier et démocratiser l’épargne salariale ». Pourquoi l’avoir publié après la consultation « loi Pacte » ?

Guy Bonnet : « Nous souhaitions développer une vision globale et cohérente de l’épargne salariale. Car, trop souvent, nous sommes dans le ''un sujet, une mesure'' sans qu’il n’y ait de cohésion globale dans les réformes. Pour le projet de loi Pacte, j’ai trouvé la démarche de la consultation publique extrêmement vertueuse, car longue et pédagogique, mais les participations et propositions restaient selon nous très précises et répondant à des besoins particuliers. D’où l’idée de ce livre blanc, où nous avançons 10 grandes propositions [lire l’encadré plus bas] avec un axe majeur : faciliter et simplifier l’accès à l’épargne salariale dans les entreprises de moins de 50 salariés. Cela passe nécessairement par le chef d’entreprise dans ces sociétés, où il n’y a souvent pas de DRH : donc il faut éviter toutes les lourdeurs. Avant la publication du livre blanc, nous avons d’ailleurs intégré nos propositions à la consultation publique. »

Prenez-vous part aux tractations avec le gouvernement ?

« Matignon et Bercy sont très réceptifs à la notion de simplification de l’épargne salariale »

G.B. : « L’IPS a l’habitude de gérer les discussions en direct avec les cabinets ministériels. Nous avons été reçus à Matignon, nous le serons bientôt à Bercy puis au ministère du Travail. Nous avons aussi sollicité une entrevue avec Aurélien Taché [député LREM vice-président du Copiesas (1), NDLR] mais ce comité devrait axer son travail sur la participation et les plus grandes entreprises. »

Y a-t-il une marge de manœuvre sur les propositions initiales du gouvernement ?

G.B. : « Matignon et Bercy sont très réceptifs à la notion de simplification de l’épargne salariale. Ira-t-on au bout de la démarche ? Je ne sais pas mais je suis agréablement surpris par la qualité d’écoute du gouvernement. Et, une fois les arbitrages rendus, nous pourrons aussi porter nos idées lors des débats parlementaires. »

Lire, à propos des propositions gouvernementales : Ce qui pourrait changer pour l’épargne salariale en 2019

Comment réussir à développer l’épargne salariale dans les TPE et PME ? C’était déjà un objectif de la loi Macron en 2015…

G.B. : « Déjà en menant ce travail de simplification : l’accès à l’épargne salariale plafonne à 10% dans les TPE. Oui, la loi Macron visait déjà à développer l’épargne salariale mais ce volet était limité à quelques lignes dans un très large projet de loi. Cette fois, l’intéressement et la participation, c’est un des piliers du projet de loi Pacte ! »

Plus concrètement, quelles mesures vont permettre d’atteindre les petites entreprises ?

« Laisser la possibilité de moduler la répartition de l'intéressement »

G.B. : « Cela se résume par les ''4 S'' : simplicité, sécurité, souplesse et stabilité. Et, dans les petites entreprises, cela passe surtout par une évolution de l’intéressement. Aujourd’hui, tous les salariés touchent l’intéressement mais de manière uniforme [ou de façon proportionnelle selon le salaire ou le temps de présence, NDLR] : il faut que chacun en profite mais il faut laisser la possibilité de moduler cette répartition en introduisant dans les accords la notion de collèges [différentes catégories de salariés, NDLR]. Le chef d’entreprise est en capacité de juger de l’implication des salariés, ou de distinguer les collaborateurs clés, et de moduler l’intéressement selon ses critères. »

Au delà de cette modulation, comment simplifier les règles de l’intéressement ?

G.B. : « En créant des règles simples. Notamment en permettant au chef d’entreprise de le mettre en place par le biais d’une décision unilatérale, laquelle se matérialise par une simple déclaration pré-remplie en ligne. Aujourd’hui, tout accord d’intéressement passe par un vote qui doit recueillir les deux tiers des suffrages, puis l’employeur doit envoyer un dossier à la Direccte : bien souvent cette procédure décourage. »

Une mise en place de façon unilatérale sous-entend-t-elle aussi le retrait de l’intéressement de façon unilatérale ?

Un intéressement par « décision unilatérale »

G.B. : « L'employeur ne peut pas suspendre un accord en cours mais il peut choisir de ne pas le renouveler. L'accord enclenche un accord sur 3 ans à l’issue duquel le chef d’entreprise n’est pas tenu de maintenir l’intéressement. »

La loi Macron avait harmonisé certains aspects de l’intéressement et de la participation, incité à la gestion pilotée en Perco, etc. Et pourtant le nombre de plans d’épargne salariale baisse…

G.B. : « En effet, seul le Perco sauve la donne au niveau de la collecte. Comment expliquer ce recul ? Selon moi, les employeurs ont de longue date perdu confiance. Le passage du forfait social à 20% (2) en a refroidi plus d’un. Et les règles changent trop souvent : aujourd’hui, il y a trois niveaux de forfait social différents : 8%, 16% et 20% ! C’est pour cela que nous insistons aussi sur la stabilité des règles. Et, concernant le forfait social, pour inciter les petites entreprises à mettre en place l’intéressement, notre position est claire : il ne faut pas de forfait social pour tous les entreprises de moins de 50 salariés ! Cela serait d’ailleurs quasiment neutre pour les finances publiques car les accords d’intéressement sont à ce jour extrêmement rares dans ces entreprises. »

Espérez-vous qu’il s’agisse de la dernière loi concernant l’épargne salariale avant longtemps ?

G.B. : « On a du moins le sentiment que c’est la volonté du gouvernement. Pour qu’elle soit efficace, cette loi doit être ambitieuse et audacieuse. Il ne faut pas d’une loi corrigée dès l’année suivante. »

Les principales propositions de l’IPS
  • Démocratiser l’épargne salariale via l’intéressement : privilégier l'intéressement dans les PME.
  • Donner plus de souplesse aux chefs d’entreprise : permettre de moduler plus aisément les montants versés aux différents salariés.
  • Simplifier les formalités de mise en place des accords : mise en place d'un accord d'intéressement par décision unilatérale de l'employeur.
  • Simplifier les formalités de dépôt : mise en place via une déclaration pré-remplie en ligne.

(1) Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié, animé par Christophe Castaner en 2014-2015 pour la loi Macron.

(2) Le forfait social est une contribution à la charge de l'employeur. Son taux est passé de 8% à 20% en 2012.