Le Livret A, produit d’épargne le plus détenu en France, fête cette année ses 200 ans. Retour sur l’histoire d’un produit emblématique de l’épargne populaire en France, dont l’avenir se dessine désormais en pointillés.

83,4 % : c’est le pourcentage des Français qui détenaient, fin 2016, un Livret A, ce qui en fait sans conteste l’emblème de l’épargne populaire en France. En termes d’encours, il est largement dominé par l’assurance-vie (1 685 milliards fin janvier 2018 contre 275 milliards d’euros sur le Livret A), qui concerne toutefois moitié moins d'épargnants (37% environ en 2015 selon l'Insee).

Une question d’ancienneté sans doute. Le Livret A fête cette année ses 200 ans, rappelle Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne, dans un récent article (1). C’est en effet par une ordonnance royale datée du 29 juillet 1818 - nous sommes alors sous la seconde Restauration et le règne de Louis XVIII - qu’est créée à Paris la première Caisse d’Epargne et de Prévoyance. Elle reçoit en même temps l’autorisation d’émettre un « Livret d’épargne », dont la distribution débute réellement en octobre 1818.

L’objectif de ce nouveau produit est double. Prévoyance d’abord : il s’agit d’encourager les classes populaires, mais surtout les moyennes émergentes, à mettre de l’argent de côté pour mieux anticiper les coups durs. Le concept d’épargne de précaution est né. Finances publiques ensuite : la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui va gérer l’encours du Livret A, est en effet née en 1816, avec la mission de relever des comptes exsangues après la Révolution et les guerres napoléoniennes. Le futur Livret A servira donc à financer de la dette publique.

Garantie du capital et exonération fiscale, les leviers du succès

Dans ses premières années, toutefois, le Livret d’épargne ne rencontre pas le succès escompté. Pour améliorer son attractivité, il va donc bénéficier d’un premier avantage, destiné à rassurer les épargnants : la garantie de l’Etat. Une ordonnance de 1829 instaure ainsi le remboursement intégral des sommes placées. L’autre grand avantage du Livret apparaît en 1914. Alors qu’est créé l’impôt général sur le revenu, le législateur choisit de ne pas y soumettre les intérêts du Livret A, car « ils constituent moins une source de revenus qu’un mode de formation de petits capitaux », rappelle Philippe Crevel, citant le Journal officiel de l’époque.

Cette exonération, toutefois, n’a jamais fait l’unanimité. Y compris pour certains gouvernements tentés de gonfler leurs rentrées fiscales en la supprimant. C’est le cas par exemple en 1932 du gouvernement dit du « second cartel des gauches » dirigé par Edouard Herriot : il dépose un projet de loi qui soumet les revenus des Livrets des Caisses d’Epargne à un impôt de 16%. Projet finalement abandonné après la levée de bouclier des Caisses d’Epargne mais aussi de certains partis politiques (la SFIO notamment) et d’une partie de la presse.

Pourquoi le Livret « A » ?

Pendant près d’un siècle et demi, le Livret A restera le « Livret d’épargne », l’unique. Ce n’est qu’à partir de 1965 que son nom va évoluer. En octobre de cette année, le ministre de l’Economie et des Finances de l’époque, un certain Valéry Giscard d’Estaing, crée en effet un nouveau livret, fiscalisé celui-là, et le désigne comme « Livret B ». C’est ensuite, au fil des années, que l’usage de l’expression « Livret A » pour désigner le Livret d’épargne originel et défiscalisé s’impose progressivement, avant d’être officialisé par une circulaire en 1973. La Caisse d’Epargne attendra toutefois 1999 pour déposer la marque « Livret A » à l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI).

Une exclusivité combattue par les banques commerciales

Les banques commerciales, elles aussi, ont combattu l’existence du Livret A, ses caractéristiques, mais aussi et surtout l’exclusivité de sa distribution par les Caisses d’Epargne. Leur argument : la distorsion de concurrence en faveur de ce produit défiscalisé et souvent rémunéré au-dessus des taux du marché.

Pourtant, le secteur bancaire n’a jamais eu la peau du Livret A. Il a en revanche obtenu des pouvoirs publics qu’ils ouvrent des brèches dans l’exclusivité de sa distribution par la Caisse d’Epargne. En autorisant d’abord les services financiers de la Poste à le distribuer (en 1966), puis les Crédits Mutuels à proposer le Livret Bleu (en 1975). En créant ensuite deux produits d'épargne réglementée distribués par l’ensemble des réseaux, le Plan d’épargne populaire en 1982, puis le Codevi (futur Livret de développement durable) en 1983.

Mais ce n’est finalement que début 2009 que l’exclusivité disparaîtra. La loi du 4 août 2008 instaure en effet le Livret A tel qu’on le connaît aujourd’hui, distribué par tous les établissements de crédits, qui en conservent une partie des fonds et centralisent le reste à la Caisse des dépôts et consignations pour financer en priorité le logement social.

Le plafond, un choix politique

On l’a vu, c’est à partir de 1829 que l’Etat devient le garant des sommes placées sur le Livret A. C’est aussi à cette date qu’il devient compétent pour en fixer le plafond de versement, 2 000 francs à l’époque. Dans un premier temps, jusqu’à la première guerre mondiale, ce plafond va évoluer successivement à la hausse et à la baisse, selon les choix des gouvernements. Dès 1829, le plafond concerne les versements sur le livret, les intérêts eux pouvant comme aujourd’hui être accumulés de manière illimitée. Ce ne sera pas toujours le cas : certains plafonds seront fixés capital et intérêt compris, d’autres seront accompagnés d’un second plafond intérêt compris.

A partir des années 1940, le plafond augmente rapidement, dans un contexte de forte inflation : 25 000 francs en 1941, 100 000 en 1946, 200 000 en 1948, 500 000 en 1953, 1 million en 1958… Il est fixé à 10 000 le 1er janvier 1960, avec l’instauration du nouveau franc, puis remonte progressivement jusqu’à 100 000 francs en 1991. Le 1er janvier 2002, le plafond du Livret A passe à l’euro : 15 300 euros. Il va rester à ce niveau jusqu’à l’élection de François Hollande en 2012, qui choisit de le relever à deux reprises : 19 125 euros le 1er octobre 2012, puis 22 950 euros, son niveau actuel, depuis le 1er janvier 2013.

De 0,75% à 8,5%

Comme son exonération fiscale ou l’exclusivité de sa distribution, la fixation de plafonds trop élevés suscitent des critiques. Dans son article déjà cité, Philippe Crevel rappelle que dès « après la Première guerre mondiale, des voix se font entendre pour souligner que le Livret des Caisses d’Épargne correspond de moins en moins à de l’épargne de précaution ». Il note aussi que « les grandes banques commerciales (…) éprouvent des difficultés à assurer une rémunération nette d’impôt aussi élevée ».

Historiquement, la fixation du taux du Livret A est en effet une autre chasse gardée du ministère de l’Economie et des Finances. Selon les époques, le taux du Livret A a ainsi oscillé au gré des choix politiques de 5% à ses débuts, à 8,5% à la fin des années 1970, jusqu'à 0,75% aujourd'hui. Car ce n’est qu’en 2004 qu’est instaurée une formule de calcul automatique. Objectif à l’époque : « Déconnecter la fixation de considérations d’ordre politique et (…) protéger les intérêts des épargnants en particulier de l’inflation ». Au final, ce sera rarement le cas.

Evolution du taux du Livret A de 1818 à 2018
L'évolution du taux du Livret A

Le pouvoir exécutif a en effet conservé la possibilité de déroger à la règle de calcul et s’en est souvent emparé pour lisser l’évolution du taux, à la hausse comme à la baisse. Jusqu’au gouvernement Philippe actuel, qui a décidé de geler le taux à 0,75% jusqu’en janvier 2020, afin de stabiliser le coût de cette ressource pour le secteur du logement social, et notamment les organismes HLM.

Quel avenir pour le Livret A ?

Résultat : à l’heure actuelle, le Livret A n’est plus en mesure de protéger l’épargne des Français de l’inflation. Même lissée sur 6 mois, conformément à la nouvelle formule de calcul initiée en novembre 2016, la hausse des prix est depuis le début de l’année 2017 supérieure à 0,75%. Le « rendement réel » du produit est donc actuellement négatif, et le Livret A comme bouclier contre l’inflation semble avoir vécu : sa future réforme, prévue pour 2020, pourrait en effet gommer cette référence pour ne retenir comme seul indice que le niveau des taux monétaires.

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Cette réforme à venir pourrait également s’attaquer au plafond du Livret A, et à son exonération fiscale. En janvier dernier, le Conseil des prélèvements obligatoires, organisme associé à la Cour des comptes, a ainsi proposé d’abaisser les plafonds de versement des livrets d’épargne réglementée (…) en reconsidérant le niveau cumulé de défiscalisation ». Actuellement, un épargnant peut en effet placer en cumulé près de 35 000 euros sur un Livret A et un LDDS, plus 7 700 euros sur un Livret d’épargne populaire (LEP) s’il est peu imposé et 1 600 euros sur un Livret jeune s’il a moins de 25 ans. Sans compter les 61 200 euros des PEL de 12 ans et moins ouverts, qui restent exempts d'impôt sur le revenu s'ils ont été ouverts avant le 1er janvier 2018.

Malgré ces nuages qui s’amoncellent, le Livret A reste un symbole fort. Certains annonçaient sa mort après la banalisation de sa distribution en 2009 : cela n’a pas été le cas, bien au contraire. Il a ainsi réussi au cours des 10 dernières années ses meilleures collectes nettes. L’actuel exécutif prendra-t-il le risque de s’attaquer à ce symbole de l’épargne populaire ? Réponse l’an prochain.

A consulter : tout savoir sur le Livret A

(1) « Le Livret A, 200 ans d’histoire bien remplie » par Philippe Crevel, Le Cercle de l’épargne, mars 2018.