« Mal adaptée », « coûteuse », « inéquitable »... La fiscalité des héritages fait l'objet de critiques récurrentes en France, de la part des économistes comme des contribuables. Mais une réforme paraît aujourd'hui peu probable, s'agissant d'un sujet politiquement sensible.

« Peut-on éviter une société d'héritiers ? » : voilà un an, un rapport de France Stratégie jetait un pavé dans la mare en appelant à revoir « en profondeur » l'imposition appliquée aux successions et donations pour lutter contre « l'apparition d'une société à deux vitesses ». Parmi les griefs mis en avant par le laboratoire d'idées public : le manque de « redistributivité » de la fiscalité française, accusée de favoriser la concentration du patrimoine « entre les mains des plus aisés » et de « figer les inégalités » entre héritiers et non-héritiers.

L'impôt sur les successions, en théorie, comprend des barèmes progressifs selon la somme héritée, avec des tranches allant jusqu'à 60% en cas de lien de parenté éloigné. Mais de nombreux abattements ont été mis en place, qui permettent aux transmissions d'être faiblement taxées. En outre, le système n'incite pas à la transmission vers les jeunes générations, le taux d'abattement étant identique pour les successions et pour les donations. « Il n'y a aucun intérêt fiscal à transmettre de son vivant », soulignait alors France Stratégie.

Pour mettre un terme à cette situation, l'organisme public – alors dirigé par Jean Pisani-Ferry, proche d'Emmanuel Macron – proposait plusieurs pistes, dont la mise en place d'un système « construit du point de vue des héritiers ». Dans ce schéma, le taux d'imposition augmenterait en fonction du montant de patrimoine global hérité par le contribuable, pour faire en sorte « que celui qui reçoit plus paie un taux plus élevé », justifiait France Stratégie.

« Sujet sensible »

Un an après, aucune réforme n'a vu le jour et le rapport semble être tombé aux oubliettes, alors que la tendance en Europe est à la suppression pure et simple des droits de succession et de donation, motivée notamment par le faible rendement de cet impôt.

La fiscalité des héritages « est un sujet sensible » et donc « compliqué » sur le plan politique, explique Thibault Gajdos, chercheur au CNRS, qui souligne que les prélèvements sur les successions sont souvent perçus comme « confiscatoires », alors qu'« ils sont très faibles ».

Selon un sondage publié jeudi par France Stratégie, seuls 40% des Français sont favorables à la prise en compte de l'ensemble des sommes déjà perçues par donation ou héritage pour déterminer la taxation – la quasi totalité d'entre eux jugeant par ailleurs le niveau d'imposition trop élevé. « L'idée selon laquelle les individus qui ont peu de patrimoine ou peu de chances d'hériter seraient plus favorables à un niveau élevé de taxation des transmissions ne se vérifie pas », ajoute l'organisme public.

« Options réalistes »

Le gouvernement pourrait-il décider, malgré ces obstacles, de s'attaquer au sujet ? Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait promis de lutter contre la rente, disant vouloir favoriser l'enrichissement par le travail plutôt que par l'héritage. Mais aucune mesure relative aux droits de succession n'est aujourd'hui à l'ordre du jour, le gouvernement insistant au contraire sur la nécessité d'une « stabilité fiscale », au-delà des mesures votées dans le cadre de la loi de finances 2018.

« Pourtant, une réforme est nécessaire », insiste André Masson, professeur à l'Ecole d'économie de Paris, qui juge la « frilosité des responsables politiques et de l'administration fiscale regrettable ». « L'héritage est aujourd'hui perçu de plus en plus tard, et concentré sur une petite partie de la population. C'est mauvais pour l'égalité des chances mais aussi pour la croissance, car les individus ne le perçoivent pas au moment où ils en ont le plus besoin », ajoute-t-il.

Un message relayé le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), organisme rattaché à la Cour des comptes, qui a regretté jeudi dans un rapport que « la taxation de la transmission du capital » n'ait « pas suivi les évolutions sociales et démographiques ». Il faut « adapter les transmissions du patrimoine à l'allongement de la durée de vie », estime ce document, qui propose de « rehausser l'impôt sur les successions » et d'alléger en retour « celui sur les donations », de façon ciblée sur les jeunes générations. Des options qualifiées de « réalistes » par le président du CPO Didier Migaud, qui a invité les responsables politiques à « s'emparer du débat ».