Les virements en temps réel, ou paiements instantanés, promettent de chambouler l’industrie des paiements dans les années à venir. Pourtant, les banques françaises brillent actuellement par leur absence.

Imaginez un virement SEPA disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, y compris les week-ends et jours fériés, et permettant au bénéficiaire de disposer de l’argent sur son compte en moins de 10 secondes, contre 2 à 3 jours aujourd’hui ? Révolutionnaire, non ? Eh bien, ce nouveau moyen de paiement - le « premier (…) créé depuis les années 70 et l’avènement de la carte de paiement », estime l’expert en systèmes de paiement Philippe Coiffard - existe déjà. Il a même un nom : Instant Payment, ou « paiement instantané ».

Fruit d’une initiative du Conseil européen des paiements (EPC, pour European Payments Council), le paiement instantané est déjà entré en phase active : depuis le 21 novembre dernier, le schéma européen permettant d’exécuter les ordres entre les différents pays de la zone est opérationnel. A cette date, 585 fournisseurs de services de paiement - des banques essentiellement - se sont officiellement lancés : des établissements autrichiens, allemands, espagnols, italiens, néerlandais, lituaniens… Mais aucun français.

L’infrastructure de paiement française est prête

Absents au lancement, les établissements français ne semblent pas prêts de rattraper leur retard. Rares sont ceux, en effet, qui ont déjà communiqué sur le sujet. Citons Natixis, filiale du groupe BPCE, ou le service de paiement Morning, qui annoncent tous deux une disponibilité au printemps 2018. Les autres ? Silence radio.

Qu’est-ce qui freine les Français ? Des problèmes techniques ? Stet, qui gère l’infrastructure de paiement domestique française, est pourtant capable de traiter les virements en temps réel depuis novembre dernier et affiche même l’ambition de devenir un « système paneuropéen de traitement des flux de paiement électroniques ». Ne croient-ils pas dans l’avenir de l’Instant Payment ? Les institutions européennes, elles, misent fortement sur lui : à défaut d’avoir su contrer la domination des grands émetteurs états-uniens - Visa et MasterCard - sur la carte bancaire, elles comptent bien être à la pointe sur ce moyen de paiement prometteur.

Une remise en cause du modèle économique de la carte bancaire

Le problème se situe sans doute ailleurs, et notamment dans l’interrogation des banques françaises sur le modèle économique qu’elles vont pouvoir mettre en œuvre pour le paiement instantané. La principale raison de leur tiédeur tient ainsi en 3 lettres, estime l’expert Philippe Coiffard dans une récente newsletter : CMI, pour « commission multilatérale d’interchange ».

La CMI, c’est la rémunération versée sur chaque transaction par carte par la banque du commerçant à la banque du porteur de la carte. Elle est certes plafonnée à 0,20% pour les cartes de débit et 0,30% pour les cartes de crédit par un règlement européen, mais représente une énorme source de revenus - plusieurs milliards d’euros annuels - pour les banques françaises. Toutefois, elle « n’a plus lieu d’être » avec le paiement instantané, explique Philippe Coiffard qui développe : « La CMI s’entend dans le sens où l’instruction de paiement est échangée en interbancaire par la banque du créancier vers la banque du débiteur. Avec l’instant payment, l’échange interbancaire est à l’initiative de la banque du payeur/débiteur vers la banque du créancier. »

Des développements en cours

Résultat, poursuit l’expert en systèmes de paiement : « C’est bien le modèle économique de la carte de paiement qui pourrait être sérieusement remis en cause, voire disparaître, grâce à l’émergence de l’instant payment. Et de cela, actuellement, les banques françaises n’en veulent pas. »

Le modèle économique du paiement instantané, lui, reste encore relativement flou. Ce virement en temps réel, qui ouvre la porte à toute une série de nouveaux services à valeur ajoutée, sera-t-il facturé ? Probablement. Combien ? Pour quels usages ? Et à qui ? C'est plus difficile à dire. Les banques françaises ont désormais quelques mois pour répondre à ces questions, en observant ce qui se passe dans les pays qui ont déjà basculé.

Une chose est certaine : elles ne pourront durablement jouer la politique de la chaise vide. Et elles le savent : des développements ont déjà commencé pour permettre au paiement instantané de débarquer en France. Le secteur bancaire a ainsi annoncé, mais seulement à horizon 2019, une offre de virement de personne à personne en temps réel. Elle travaille également, selon Les Echos, à « une solution interbancaire de paiement instantané pour les transactions en ligne ».