Les épargnants français n’ont pas encore massivement parié sur l’assurance-vie à frais réduits, distribuée par les banques et courtiers en ligne, comme le montre une étude de Deloitte pour WeSave. Comment s'expliquent ces réticences ?

Seulement un quart de la population sondée a entendu parler de « l’épargne digitale »… Comment expliquer cette faible notoriété ?

Baudoin Choppin de Janvry (directeur industrie financière chez Deloitte) : « Le concept reste récent. Pour rappel, les premières banques en ligne sont été créées à la fin des années 1990, à l’origine avec une activité de courtage. En 2017, environ 10% des Français ont un compte dans une banque en ligne, mais ils ne sont que 2% ou 3% à en faire leur banque principale. Il a fallu plus de 17 ans à ING Direct pour atteindre le million de clients, tous types de produits confondus ! Pour qu’un nouvel usage se démocratise, et pour marquer les esprits, cela prend du temps ! Le concept d’épargne digitale est bien plus récent… »

L’accélération du développement des banques en ligne et néobanques devrait toutefois favoriser les fintechs de l’épargne…

« Il a fallu plus de 17 ans à ING Direct pour atteindre le million de clients ! »

B.CdJ. : « Ces fintechs vont en profiter, en effet. Mais la cible est aussi plus restreinte que pour les comptes bancaires. »

Hugues Magron (associé conseil secteur assurances chez Deloitte) : « Le client type sur l’épargne digitale, aujourd’hui, c’est plutôt un homme d’âge intermédiaire, citadin, parisien, avec un niveau de revenus supérieur. »

Votre étude (1) se concentre sur l’assurance-vie en ligne. Pourquoi ne pas inclure les livrets en ligne, le trading boursier ou le crowdlending ?

H.M. : « En effet, nous avons choisi de nous concentrer sur les distributeurs d’assurance-vie, qui sont déjà nombreux. Car ce produit est de loin celui qui draine la majeure partie de l’épargne en France. Et parce que les livrets en ligne ou le crowdlending restent des marchés confidentiels au regard des volumes brassés par l’assurance-vie. »

Votre étude montre un important écart entre le poids de l’assurance-vie en ligne dans la collecte, 3%, et le nombre d’épargnants patrimoniaux possédant un contrat, plus de 10%...

H.M. : « En effet. A l’image de la banque en ligne, l’assurance-vie en ligne reste pour l’heure un contrat de rang deux, en complément d’un autre contrat détenu chez un acteur traditionnel, banque ou assureur. Actuellement, pour beaucoup d’épargnants, nous sommes encore dans une phase de test de l’offre des distributeurs en ligne. On valide la confiance… »

L’assurance-vie, n’est-ce pas justement l’un des produits qui nécessite le plus d’accompagnement ?

Si Bercy le décide, « le marché de l’épargne digitale se développerait bien plus vite »

H.M. : « L’assurance-vie est plus un moyen d’épargner qu’une finalité : on ne se dit pas ''tiens, si j’ouvrais une assurance-vie'', mais plutôt ''comment épargner au mieux''. C’est pourquoi les Français sont souvent accompagnés avant la souscription. Le principal problème de l’assurance-vie, pour que le marché devienne plus fluide, c’est l’absence de transférabilité. Si un jour Bercy décide de rendre ce placement portable, le marché de l’épargne digitale se développerait bien plus vite. »

Les sondés qui n'ont pas souscrit sur ces plateformes perçoivent-ils l’argument des frais réduits ?

H.M. : « C’est le premier critère qui attire les clients vers ces plateformes, l’élément central dans l’offre des pure players ! Les frais et le rendement, ce sont les critères qui permettent aux épargnants de choisir. Alors que la disponibilité des fonds a longtemps été l’élément le plus important pour les épargnants, on voit une inversion dans l’échelle de valeurs actuellement : le rendement arrive désormais dans les premiers critères de choix, juste derrière la sécurité du placement et donc devant la disponibilité. »

Comment les plateformes réussiront-elles à combler ce manque de notoriété ?

« Les banques s’adapteront » à la demande des épargnants

H.M. : « Les clients qui les utilisent découvrent de nouvelles approches de la gestion de l’épargne, avec un profil de risque mis à jour, des objectifs qui évoluent, éventuellement une gestion financière pilotée, etc. Ces usages vont petit à petit entrer dans les mœurs. »

B.CdJ. : « C’est compliqué pour des fintechs de s’attaquer à un marché si cadenassé, dominé par les banques. Les lignes pourraient bouger si un gros réseau intégrait l’une de ses nouvelles offres d’assurance-vie en ligne dans son catalogue. »

Mais une banque ne casserait pas les prix sur les frais de versements…

H.M. : « Tout dépend de l’évolution du marché. A l’image de ce qui se passe sur le marché du compte courant, avec l’arrivée des néobanques. Quand les grands acteurs doivent réagir, alors ils lancent des offres défensives attractives en matière de tarification, comme Eko au Crédit Agricole. Lorsque les épargnants rechercheront massivement des assurances-vie nouvelle génération et à frais réduits, les banques s’adapteront… »

(1) « Les Français et l'épargne digitale », WeSave-Deloitte, sur la base d'un sondage réalisé par internet auprès de 1 681 épargnants français de 25 à 75 ans, du 18 au 30 octobre 2017.