Le 3 janvier 2018, le monde de l’investissement financier bascule dans l’ère de la directive « MIF 2 ». Un changement purement technique, sans aucun impact pour le grand public ? Faux ! Les épargnants constateront rapidement une première évolution : les CGPI vont perdre leur « i ». Explications.

Longtemps, les conseillers en gestion de patrimoine (CGP) ont insisté sur le « i » de CGPI… Une manière de prouver leur indépendance vis-à-vis des établissements financiers dont ils distribuent les produits. La donne change en 2018 avec l’entrée en vigueur de la directive européenne MIF 2, pour « marchés d’instruments financiers », dans sa 2e évolution.

L’encadrement des rémunérations des CGP

« A compter de 2018, la plupart des CGPI ne seront plus indépendants au sens de la loi, suite à l’entrée en vigueur de MIF 2 », expliquait cet été David Charlet, président de l’Anacofi (association nationale des conseils financiers). « Ceux qui voudront conserver le qualificatif d’indépendant ne pourront plus être rémunérés qu’en honoraires. Les autres, communément appelés CGP, pourront être décrits comme des courtiers conseil. » En effet, le modèle économique des CGP repose « majoritairement sur les commissions » reversées par les fournisseurs de produits (sociétés de gestion, banques, assureurs, etc.).

« Le conseil indépendant, au sens de la sémantique bruxelloise, ne permet plus de toucher des rétrocessions »

Voilà donc la mesure emblématique de la directive MIF 2 : « Le conseil indépendant, au sens de la sémantique bruxelloise, ne permet plus de toucher des rétrocessions », explique Benoist Lombard, président du syndicat professionnel CNCGP. Cette directive entraîne un « changement culturel », ajoute Guillaume Dolidon, avocat au sein de Dolidon Partners : « Actuellement, les clients paient leurs conseils mais de manière indirecte. Désormais, les CGP indépendants devront expliquer pourquoi ils doivent être rémunérés directement, en honoraires. »

Dans les faits, il est surtout probable que les conseillers indépendants soient réduits à la portion congrue. « Nous exercerons donc un conseil non-indépendant, toujours selon la sémantique bruxelloise », reconnaît sans ambiguïté Benoist Lombard. Le président de la CGCGP insiste ainsi sur le fait que les conseillers en gestion de patrimoine ne deviendront pas plus dépendants des assureurs et sociétés de gestion : « Nous restons tout de même indépendant au sens capitalistique du terme. Et nous continuerons de travailler avec plusieurs partenaires. Les CGP ont promus la multi-gestion, MIF 2 ne la tuera pas. »

Les catégories de CGP

La directive européenne va renforcer les frontières déjà existantes entre quatre exercices différents de la profession :

  • Le conseiller en gestion de patrimoine salarié dans la banque de détail ou banque privée.
  • L’agent lié, mandaté par un établissement pour vendre uniquement ses produits (exemple : l’agent général d’assurance).
  • Le CGP « non-indépendant » : la situation la plus courante. Il se rémunère essentiellement grâce aux commissions, ponctuelles ou régulières, sur les produits qu'il a vendus.
  • Le CGP « indépendant » : avec l’entrée en vigueur de MIF 2, il devra être exclusivement rémunéré pour ses conseils, facturés à ses clients sous forme d'honoraires.

Si la profession de « conseiller en gestion de patrimoine » recouvre des réalités si différentes, c’est parce qu’il s’agit d’un terme générique : « Le métier de CGP n’a pas de définition juridique », explique Benoist Lombard, de la CNCGP. « Pour pouvoir l’exercer, il faut disposer de plusieurs statuts : CIF pour les produits financiers, courtier en assurance pour l’assurance-vie, la carte T pour l’immobilier, et IOBSP si l’on veut proposer du financement bancaire. »

Pour le statut de CIF (conseiller en investissements financiers), Benoist Lombard espère encore éviter un changement trop soudain au 3 janvier 2018 : « Les CIF, bénéficiant d’un régime allégé, devraient pouvoir disposer d’un délai supplémentaire nécessaire à la transposition opérationnelle des modalités de MIF 2. J’ai demandé un report de 6 mois, l’Autorité des marchés financiers (AMF) devrait se prononcer avant Noël sur ce sujet. »

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Une transparence totale vis-à-vis des clients

Les incidences de cette directive vont bien au-delà de la seule question de l’indépendance ou non des CGP. Elle leur impose aussi une véritable transparence sur leur rémunération, dans tous les cas ! « Les rétrocessions devront être détaillées avant la souscription de tout produit d’investissement, et pendant la vie du produit », explique le président de la CNCGP, lequel y voit, « en filigrane », une reconnaissance du mode de fonctionnement des CGP : « Bruxelles reconnaît que notre service ne se conçoit que dans la durée : notre rôle commence en amont du produit et se poursuit en aval de sa souscription. »

« Les rétrocessions devront être détaillées avant la souscription »

Du point de vue de l’épargnant, MIF 2 enclenche un « cercle vertueux » pour l’avocat Guillaume Dolidon, même si « le client final ne va pas forcément se rendre compte immédiatement de tous ces changements ». Les nouvelles règles redistribuent les cartes en cas de contentieux, explique ainsi Brice Cotteret, avocat du même cabinet : « MIF 2 clarifie devoirs et obligations du CIF prodiguant des conseils en investissements, et renforce donc sa responsabilité. Dans un contentieux, les clients pourraient plus facilement obtenir une réparation à hauteur du préjudice. »

Une directive en cache une autre

L’entrée en vigueur de MIF 2 précède l’arrivée d’une autre directive, sur la distribution d’assurance (DDA), à l’automne prochain, puis de nouvelles notices d’informations de l’assurance-vie, à l’horizon 2020 pour l’ensemble des supports. Tous les distributeurs de produits financiers entrent très clairement dans l’ère de la transparence. D’où certaines peurs : les clients vont-ils négocier les frais ? Vont-ils comparer plus aisément ? Y aura-t-il une augmentation des litiges ?

« Les banques et assurances ont tout intérêt à ce que les CIF soient ''en règle'' : leur rôle est crucial »

Les acteurs du marché s’accordent sur le fait que les CGP ne sont pas encore prêts à entrer dans cette nouvelle ère, pourtant annoncée depuis des années… Selon l’avocat de Dolidon Partners, Brice Cotteret, la pression n’est toutefois pas là où l’on croit : « Les compagnies d’assurance et autres établissements financiers ont tout intérêt à ce que les CIF soient ''en règle'' : leur rôle est crucial pour la collecte de l’épargne. » C’est donc dans les banques, sociétés de gestion et compagnies d’assurance « que l’on s’active pour que toutes les documentations, à destination des CGP-CIF comme des particuliers, soient à jour ».

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