Ces derniers mois, tous les regards se sont tournés vers la flat tax, qui va effectivement chambouler la fiscalité de l’épargne en 2018. Mais un autre chantier se prépare pour l’assurance-vie. Gouvernement et assureurs sont déjà à pied d’œuvre.

Les assureurs n’ont pas caché leur opposition à la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique (PFU) dans l’assurance-vie. Ils ont tenté d’amender le projet. En vain. Cependant, en octobre, le Premier ministre puis le gouverneur de la Banque de France ont fait un pas vers les assureurs : il s'agissait sans ambiguïté d’un appel du pied pour esquisser une réforme de l’assurance-vie. Non pas sur le plan de la fiscalité mais sur l'offre de supports disponibles : fonds en euros, unités de compte, etc.

Objectif : le projet de loi Pacte du printemps 2018

Edouard Philippe s’est contenté d’un communiqué laconique début octobre suite à son entretien avec les représentants de la Fédération française de l’assurance (FFA) : « Une réflexion commune, en lien avec [Bercy], sera engagée sur les innovations possibles en matière d’assurance (…), tout en dynamisant leur épargne dans un contexte de taux historiquement bas. »

Edouard Philippe : « Une réflexion commune sera engagée »

Fin octobre, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, s’est voulu plus concret à l’occasion d’une conférence internationale. Il invite les assureurs à imaginer de « nouvelles formes d’assurance-vie », répondant à une « triple compatibilité » : « Les taux d’intérêt bas, le besoin de financement par fonds propres de notre économie, les attentes des Français. » Pour réinventer l’assurance-vie, l’échéance est connue : le projet de loi « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » (Pacte) que Bruno Le Maire doit présenter au printemps.

Le plan des assureurs : retour de l’euro-croissance ?

Le problème de l’assurance-vie, à entendre François Villeroy de Galhau, c’est que le placement aux 1 600 milliards d’euros d’encours se partage en deux grandes familles de supports : l’une avec une protection en capital, le fonds en euros, dont le rendement baisse chaque année ; l’autre avec de meilleures perspectives de performance, mais plus risqué, le support en unités de compte (UC). « Le développement des unités de compte n’est pas une réponse suffisante », a argumenté le gouverneur de la Banque de France : « Il faut plutôt encourager l’euro-croissance qui doit être rénové et amplifié. »

Banque de France : « L'euro-croissance doit être rénové et amplifié »

Le support euro-croissance… Annoncé en 2013 comme le futur « 3e pilier » de l’assurance-vie, aux côtés du fonds euros et des UC, opérationnel fin 2014, il n’est présent que sur 139 000 contrats d’assurance-vie fin 2016, et a stagné à 1,8 milliard d’euros d’encours sur l’année 2017. Censé résoudre l’équation performance-sécurité, grâce à une garantie en capital acquise au mieux au bout de 8 ans, l’euro-croissance a « connu un succès mitigé » de l’aveu même d’Arnaud Chneiweiss, de la Fédération française de l’assurance.

Lire l’interview du délégué général FFA sur la flat tax et les pistes de réforme

Au-delà de l’échec commercial, l’image de l’euro-croissance est écornée par la polémique suscitée par les transferts de richesse des fonds euros vers l’euro-croissance. Il n’empêche : « D’une façon ou d’une autre, c’est dans cette direction qu’il faut aller », veut croire Arnaud Chneiweiss. Le gouverneur de la Banque de France le rejoint entièrement sur ce point : « Je sais que là-dessus, certains professionnels ont des idées. Je forme le vœu qu’elles avancent, vite. »

Une « V2 » de l'euro-croissance difficilement viable à court terme

Les pouvoirs publics ayant demandé aux assureurs d’établir des propositions en vue du projet de loi Pacte, tout indique qu’une nouvelle mouture de l’euro-croissance est à l’étude. Problème, comme l’explique Gildas Robert, directeur métier actuariat conseil chez Optimind Winter : « L’euro-croissance sera intéressant, pour les épargnants, quand les taux obligataires 10 ans remonteront au-dessus de 2% ou 3%. De manière générale, si le produit est jugé parfois trop complexe, le principe de base conduisant à la suppression de la garantie en capital à tout moment, en contrepartie d’une garantie partielle ou totale à un horizon long est très pertinent. »

Séduit par le concept, Gildas Robert reconnaît en revanche que l’environnement de taux bas ne permettra pas une relance de l’euro-croissance sous sa forme actuelle à court terme : « Je conseille aux assureurs de se préparer dès aujourd’hui à cette solution d’avenir, pour la mettre en avant au moment idoine. »

Le fonds en euros n’est pas mort…

Même en élaborant une nouvelle mouture et en changeant de nom, l’euro-croissance aura du mal à convaincre les sceptiques. Cyrille Chartier-Kastler, fondateur de Good value for money, incite ainsi les assureurs à travailler dans une autre direction : « Plutôt que de relancer l’euro-croissance, je conseillerais aux pouvoirs publics d’assouplir les règles prudentielles de Solvabilité 2 [exigences européennes en matière de fonds propres, NDLR], afin de laisser plus de latitudes aux assureurs dans leur gestion financière. Des discussions sont déjà en cours, au niveau européen ».

Le fonds euros « aura à nouveau traversé une crise »

Le chantier Solvabilité 2 peut permettre de relancer la compétitivité des fonds en euros, support numéro 1 de l’assurance-vie. « On a annoncé la mort du fonds en euros », rappelle Cyrille Chartier-Kastler. « On va rapidement se rendre compte que ce n’était pas le cas : il est juste convalescent ! Il va ainsi rapidement retrouver sa réputation, car il aura à nouveau traversé une crise. »

Transition douce vers les unités de compte

Sans attendre une nouvelle loi, plusieurs assureurs proposent des fonds euros à garantie en capital partielle à leurs clients : c’est le cas d’Apicil avec Euroflex ou de Nortia avec EuroActifs #2, notamment. D’autres imaginent des supports en UC avec garantie en capital, sous condition, comme CNP et sa garantie au bout de 4 ans. Un euro-croissance light en somme.

En parallèle, les offres de gestion pilotée, qui permettent de déléguer l’investissement en UC à des experts, se multiplient, se démocratisent et semblent séduire un public de plus en plus nombreux. A la fin 2016, les mandats d’arbitrage en unités de compte représentent plus de 14 milliards d’euros d’encours, bien plus que le 1,8 milliard d’euros investi en euro-croissance. Mais, pour les épargnants, la comparaison des offres de gestion sous mandat reste délicate… Une piste de réforme ?

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