Pourquoi, dans une banque, les assurances-vie « grand public » rapportent-elles moins que les contrats « gestion privée » ? Leurs fonds en euros sont-ils gérés séparément ? Non ! Une enquête CLCV illustre en quoi « les taux servis ne se constatent pas mais se décrètent ».

Comme chaque année, de la fin décembre à la mi-février, les annonces de rendement des fonds en euros de l’assurance-vie vont se succéder. Une tradition qui permet souvent, dès la fin janvier, de pointer les assureurs les plus généreux, ainsi que les bonnets d’âne. Pourtant, comme le souligne Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet Facts & Figures, « chez certains assureurs, le taux affiché dans la presse n’est que très ponctuellement accessible à l’épargnant, la faute à des conditions de versement en unités de compte, des plafonds de versement, etc. » Les assureurs mettent ainsi en avant le ou les quelques taux les plus favorables, sur leurs fonds « star ». Et certains rendements, notamment ceux servis sur les contrats les plus anciens ou d’entrée de gamme, sont passés sous silence.

Un pot commun, de multiples rendements

Même le régulateur banque-assurance, l’ACPR, a pointé la multiplication des taux servis : les plus gros assureurs appliquent chacun « plus de vingt taux de revalorisation différents » pointe l'ACPR dans une étude. L’association de consommateurs CLCV s’est aussi penché sur le sujet. Dans une étude dévoilée fin novembre, elle y dénonce « la grande loterie » des rendements servis aux assurés.

Offres ponctuelles sous condition, bonus de rendement, frais de gestion… Plusieurs éléments expliquent ces différences de traitement. Mais la principale raison vient du mode de détermination des taux servis. « L’argent d’un contrat d’assurance vie est intégré dans un portefeuille réunissant le plus souvent d’autres contrats », explique la CLCV dans son enquête. Dans le jargon des assureurs, il s’agit de l’« actif général ».

Les règles de distribution des rendements

Un même « actif général », et de multiples fonds en euros… Les règles de distribution des rendements sont certes encadrées par le code des assurances. Mais la législation se révèle plutôt souple.

  • Première règle : chaque année, l'assureur a pour obligation de distribuer 85% minimum des bénéfices financiers de son actif général aux assurés. Le reste peut constituer la marge de la compagnie.
  • Deuxième règle : la part du rendement revenant ainsi aux assurés peut elle-même se scinder en deux. D'un côté la participation aux bénéfices (PB) servie directement aux assurés ; de l'autre la provision pour participation aux bénéfices (PPB) que l'assureur peut conserver en réserve, à condition de la reverser aux assurés dans les 8 ans.
  • Troisième règle, soulignée par la CLCV : « Les modalités de répartition de la participation aux bénéfices entre les contrats ne sont pas fixées, ce qui laisse une marge d’appréciation au professionnel ».
  • Enfin, des frais de gestion, qui varient selon les contrats, vont rogner une partie de cette participation aux bénéfices.

Dans ces conditions, sur leur fonds en euros, les assurés ne peuvent jamais obtenir 100% du rendement de l’actif général de l’assureur… Surtout en cette période de taux bas, les assureurs dotant au maximum leur PPB pour se parer en cas de remontée.

Mille questionnaires, 232 réponses

La CLCV a interrogé les assureurs sur les performances de leur actif général et sur les rendements servis aux assurés. Premier constat : pour 1 009 questionnaires, soit le nombre de contrats recensés par l’association sur la période 2000-2017, la CLCV n’a obtenu que 232 réponses. La Caisse d’Epargne, la Banque Postale, la MIF, la Maif ou encore ACMN Vie se distinguent par leur totale transparence. Allianz ou le Crédit Agricole n’ont eux que partiellement répondu. Et ACM (Assurances du Crédit Mutuel) ou Suravenir n’ont pas donné suite à la demande de la CLCV. L’étude, partielle, ne permet donc pas de distribuer les bons et mauvais points de façon exhaustive. Mais elle illustre la politique des assureurs.

Moins de 60% de la performance globale sur certains fonds !

CNP Assurance-Caisse d’Epargne. Le cas de l’Ecureuil est l’un des plus parlants. Pour huit contrats récents, l’actif général a réalisé une performance de 30,47% sur la période 2009-2016. Mais six rendements différents ont été servis aux assurés. Tout en bas, le contrat 100% fonds euros Garantie Retraite Euros et son rendement de 17,14% sur 8 ans. Tout en haut, le contrat patrimonial Nuances Privilège et la performance cumulée de 26,47% sur la même période. La CLCV convertit ces rendements en taux de redistribution : le meilleur fonds s’est vu reverser 86,9% de la performance de l’actif général, le moins bon seulement 56,3%.

ACMN Vie. L’actif général de la filiale assurance-vie du Crédit Mutuel Nord Europe a rapporté 35,51% sur 8 ans. Les détenteurs du contrat ACMN Horizon Patrimoine, accessible à partir de 50 000 euros, ont profité d’une redistribution de 69,2%. En revanche, les détenteurs du bien plus accessible Plan Jinko, destiné à « préparer l’avenir de vos enfants » n'ont eu le droit qu'à 57,8% de la performance du même actif.

Les taux déterminés selon des « considérations marketing »

Ces pratiques sont totalement légales. Mais la CLCV s’appuie sur son enquête pour montrer que les taux servis « se décrètent » : ainsi, « des considérations marketing » conduisent les assureurs « à privilégier tel ou tel contrat en fixant des taux plus attractifs sur les contrats dont on veut pousser la commercialisation ». Souvent, les fonds euros des assurances-vie les plus accessibles, « grand public », sont ainsi défavorisés face à ceux de segments plus concurrentiels : les assurances-vie distribuées en gestion privée, par les conseillers en gestion de patrimoine ou par les courtiers web.

Le cabinet Facts & Figures dissèque chaque année les rendements par catégorie de distributeur. Résultat, pour les rendements 2016 : un rendement moyen de 1,67% en moyenne sur les fonds euros des contrats d’entrée de gamme, et de 2% pour ceux des contrats gestion privée. Le même cabinet met aussi en avant l’écart de rendement entre les vieux contrats (1,66%) et les assurances-vie les plus récentes (1,93%).

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Mutuelles et associations : les bons élèves

A l’inverse, la CLCV souligne que « certains professionnels font une redistribution identique pour tous les contrats ». La Mutuelle d’Ivry-La Fraternelle (MIF) se distingue ainsi par un taux de redistribution de 78,3% homogène sur tous les contrats référencés. Et à l’image de Gaipare (82,9% de redistribution), les associations d’épargnants ont historiquement une politique égalitaire : le fonds euros du contrat associatif étant cantonné, les bénéfices ne peuvent être reversés qu’aux titulaires de ce même contrat.

Au-delà de la « loterie discrétionnaire » des rendements, la CLCV regrette dans son étude que « l’information initiale » fournie sur ce sujet aux épargnants soit si « faible ». L’association réclame ainsi des politiques égalitaires et une meilleure information.

Des épargnants peu au fait des frais de leur contrat

L’association a aussi réalisé un sondage auprès de ses abonnés. Parmi les 442 détenteurs d’assurance-vie interrogés, près de la moitié ne sait pas si leur contrat prévoit des frais d’arbitrage, et près de 40% avouent leur ignorance face aux frais de gestion ou, pire, pensent qu'ils n'en paient pas alors que l’absence de ces frais est rarissime.

La CLCV a d’ailleurs calculé la moyenne des principaux frais des contrats étudiés :

  • Frais sur versement : 2,62%.
  • Frais de gestion : 0,70% sur le fonds euros, 0,81% sur les unités de compte.

Voir aussi notre comparatif d'assurances-vie : frais, rendements...