ING Direct, Orange Bank, N26 : de plus en plus de banques exerçant en France se passent des services de CB, le réseau national de paiement par carte, pour s'adresser directement à MasterCard ou Visa, opérateurs internationaux. Quels sont les enjeux cachés derrière ce choix ?

MCO, pour MasterCard Only. Trois lettres qui, dans le jargon bancaire, désignent une carte bancaire fonctionnant uniquement sur le réseau de paiement international de la société américaine MasterCard. Un cas de figure encore rare en France.

C’est en effet une spécificité française : l’immense majorité des cartes en circulation y sont « cobadgées ». C’est-à-dire qu’elles peuvent fonctionner simultanément sur deux réseaux de paiement : CB, l’opérateur français géré par un groupement d’intérêt économique, le GIE Carte bancaire (GIE CB), et MasterCard ou Visa selon les cas. Pour faire simple : lorsque vous achetez en France, c’est CB qui traite le paiement ; lorsque vous achetez à l’étranger, c’est MasterCard ou Visa.

L’intérêt pour l’usager est évident : une seule carte suffit pour payer partout, près de chez soi comme à l’autre bout du monde, et ce quelle que soit la banque du commerçant.

Les cartes MCO gagnent du terrain

Ces derniers temps, les cartes MCO ont pourtant tendance à gagner du terrain. Plusieurs acteurs lancent, ou ont lancé, ce type de carte « non cobadgée » sur le marché français. Parmi les plus connus, citons des néobanques comme Compte Nickel ou N26, mais aussi une banque installée, ING Direct, qui renouvelle actuellement l’intégralité de son parc pour des cartes MCO.

Pourquoi ces acteurs choisissent-ils de se passer de CB ? Sans doute d’abord parce que ça ne porte pas beaucoup à conséquence pour leurs clients. Le GIE Carte Bancaire assure en effet aux cartes non cobadgées un accès au réseau interbancaire français de paiement par carte, moyennant le paiement d’une commission supplémentaire. Une pratique qui « pose la question d'une éventuelle entrave à la concurrence », s'interroge un spécialiste.

« MCO, plus rapide, moins coûteuse »

Pour des questions d’agilité et de coût ensuite. « Pour notre lancement, la solution MasterCard Only nous est apparue comme plus rapide et moins coûteuse à déployer », témoigne Arnaud Giraudon, directeur général du Compte Nickel, plus de 700 000 clients revendiqués en France. Un choix qui est plus généralement celui des néobanques françaises (C-zam, Morning, Lydia, etc.).

Ce qui pose la question de la capacité de CB à répondre aux besoins de ces fintechs. « Ces start-ups ne viennent pas toujours spontanément nous voir », reconnaît Loÿs Moulin, directeur du développement de CB. « Nous devons les convaincre que pour la sécurité, la lutte contre la fraude, les coûts, ils ont tout intérêt à travailler avec le système interbancaire CB en France. »

Penser à l’échelle européenne

Mais le choix de se passer de CB peut être également une question d’échelle. C’est le cas pour ING Direct. La filiale française de la banque néerlandaise, qui distribue des cartes dans l’Hexagone depuis 2009, a bien été membre de CB. Pour sa carte en cours de déploiement en France, elle a toutefois choisi l’option MCO. Et pour cause : il s’agit d’un produit conçu nativement pour l’international, dont le développement a été piloté depuis la Pologne et qui a vocation à être distribué sur plusieurs marchés européens. Dans ce cadre, y apposer le logo CB n’avait pas de sens.

La problématique est d’ailleurs la même pour N26 ou Revolut, deux néobanques qui proposent la même carte, que ce soit en France ou dans de nombreux pays européens. Avec ces nouveaux acteurs, le marché des paiements - et même de la banque en général - est donc en train de changer d’échelle.

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Fluidifier le marché

Cette explosion du cadre national ne doit rien au hasard. C’est le produit de deux phénomènes conjoints : le premier technologique - l’entrée de la banque dans la nouvelle économie numérique, pour faire court -, le second réglementaire : la volonté des institutions européennes de fluidifier le marché de la banque, d’y encourager la concurrence afin de stimuler l’innovation et de faire baisser les prix.

Résultat : CB a perdu depuis 2016, et l’entrée en vigueur d’un règlement européen (1), son monopole sur le traitement des paiements par carte effectués dans les points de vente physiques en France. Parmi les mesures contenues dans ce règlement figure en effet la possibilité pour les consommateurs de choisir, y compris en magasin, le réseau qui traitera leur paiement.

Au choix du consommateur

Lorsque vous achetez en ligne, l'e-commerçant vous demande de choisir entre CB, Visa, MasterCard, voire American Express. Ici, ce n'est pas la marque de votre carte bancaire qui est demandée, mais bien le réseau qui traitera le paiement et sera rétribué pour cela.

Les consommateurs peuvent faire de même dans les points de vente physiques. Dans les faits pourtant, c’est le plus souvent le commerçant qui a présélectionné un réseau. Pour en changer, le consommateur peut théoriquement en faire la demande au moment du règlement.

CB fragilisé ?

Conséquence de ce règlement : CB se retrouve désormais en concurrence beaucoup plus frontale avec MasterCard et Visa. Et ces derniers sont logiquement tentés d’en profiter.

Le réseau domestique français dispose d’arguments. Sa proximité historique avec les banques bien sûr. Et ses coûts, généralement inférieurs à ceux des grands réseaux internationaux. Ces derniers sont en effet des opérateurs privés qui ont des actionnaires à satisfaire et des coûts marketing à assumer. Pas le GIE CB, de part sa structure juridique et son absence de communication de marque.

« Les banques ont intérêt à maintenir grâce à CB une concurrence active »

MasterCard - qui n’a pas donné suite à nos sollicitations - dispose toutefois d’une force de frappe commerciale sans commune mesure avec celle de CB, et n’hésite pas à s’en servir. « MasterCard est capable de faire des efforts sur ses tarifs pour éviter que des clients MCO passent cobadgés », souligne ainsi un spécialiste de la monétique. Une bonne nouvelle à court terme pour ceux qui peuvent profiter de cette concurrence entre les réseaux.

Mais qu’en sera-t-il à plus long terme ? « Les banques ont intérêt à maintenir grâce à CB une concurrence active face aux deux schèmes américains, qui risqueraient d'imposer leurs tarifs en cas de duopole », s’inquiète ainsi un banquier de la place. Les consommateurs aussi, qui paieraient au final l'addition.

Une première carte Visa Only chez Orange Bank

Si les cartes MasterCard Only ont tendance à se multiplier, Visa reste de son côté plutôt en retrait sur le sujet. La conséquence, sans doute, du passage sous pavillon américain de Visa Europe, racheté en juin 2016 par Visa Inc., et des réorganisations qui s’en sont suivies. Une première carte Visa Only vient toutefois d’apparaître sur le marché français, chez Orange Bank.

(1) Le Règlement relatif aux commissions d’interchange pour les opérations de paiement liées à une carte, adopté par le Parlement européen en 2015, est entrée en vigueur en deux vagues, en décembre 2015 et en juin 2016.