Une collecte qui grimpe en flèche, des taux de défaut en hausse, plusieurs rachats de plateformes… En ce début d’été 2017, le paysage des prêts participatifs aux PME n’a rien à voir avec celui du printemps 2016, ni même avec celui de l’automne dernier. Comment les cartes ont été redistribuées, en un an seulement.

Avril 2016. Première surprise sur un marché jusqu’alors en phase d’amorçage : Lendix rachète Finsquare. A l’époque, Finsquare fait figure de n°4 du marché. Et Lendix est la plateforme de prêts aux PME profitant de la plus forte dynamique de progression. Lendix conteste alors sérieusement le leadership du marché à l’historique Unilend, cette dernière ayant été lancée en novembre 2013, plus d’un an avant toutes les autres.

Puis la belle histoire a été égratinée : Finsquare affichait en septembre dernier plus d’un quart des projets en défaut de remboursement. « Le rachat de Finsquare nous a permis de convertir une partie de leur communauté en prêteurs Lendix », raconte Olivier Goy, président de Lendix, sans regret. « Nous avons même converti quelques sceptiques en ambassadeurs de notre enseigne ! Et nous avons appris le recouvrement. » Cette première opération de consolidation sur un secteur encore florissant apparaît désormais bien lointaine après les actualités de la semaine passée : fin juin 2017, la Banque Postale a racheté Lendopolis puis Tikehau Capital a fait l’acquisition de Credit.fr. Dit autrement, deux poids lourds de l’industrie financière ont mis la main sur deux « poids lourds » du crowdlending (voir tableau ci-dessous).

« La Banque Postale et Tikehau crédibilisent le secteur »

Du côté du pionnier Unilend ou du leader Lendix l’arrivée de ces groupes à forte capacité financière est plutôt vue avec bienveillance : « L’arrivée de la Banque Postale et de Tikehau Capital crédibilise le secteur », réagit Olivier Goy, de Lendix. « La consolidation du secteur a démarré », juge tout simplement Nicolas Lesur, président d’Unilend, avant de poursuivre : « Le secteur se sépare en trois groupes désormais, de mon point de vue : les deux principaux acteurs, Lendix et nous, puis Lendopolis et Credit.fr avec leurs nouveaux actionnaires, et une kyrielle de petits acteurs ou d’acteurs de niche. » Look&Fin et Lendosphère, qui apparaissent parmi les leaders en matière de collecte, peuvent en effet être vus comme des cas particuliers : Look&Fin réalise plus de la moitié de ses dossiers en Belgique et Lendosphère s’est spécialisé sur un marché bien spécifique, les projets liés aux énergies renouvelables.

« La consolidation du secteur a démarré »

La Banque Postale ayant acquis l’ensemble du groupe KissKissBankBank, avec la plateforme éponyme, Lendopolis et Hellomerci, la filiale bancaire de La Poste ne s’est pas encore exprimée spécifiquement sur ses ambitions pour Lendopolis. Du côté de Credit.fr, c’est un spécialiste du marché de la dette privée aux grandes entreprises qui devient principal actionnaire, Tikehau Capital. Après avoir fait très fortement progressé ses statistiques de collecte, depuis l’automne 2016, Credit.fr parvient ainsi à s’inscrire sur la durée grâce à ces nouveaux propriétaires. Le communiqué d’annonce se veut timide sur les nouvelles ambitions de la plateforme mais le CEO Thomas de Bourayne évoque un « partenaire idéal » pour « se développer en France et à l’international », laissant entendre une volonté de franchir les frontières hexagonales.

Classer les sites en fonction de la collecte, « un biais »

Finsquare effacé du paysage, la Banque Postale et Tikehau qui s’y invitent… Le secteur du crowdlending n’a pas seulement été chamboulé au niveau capitalistique, mais aussi sur le rapport de force entre les plateformes. Crowdlending.fr publie chaque mois un palmarès du « crowdlending entreprise » et, si la montée en puissance de Lendix est durable, Credit.fr s’est invité de plus en plus régulièrement sur le podium ces derniers mois, repoussant Unilend de plus en plus loin des premières places qu’il occupait autrefois.

Montant prêté en 2017Montant prêté depuis le lancement
Lendix31,4 millions d’euros97,3 millions d’euros
Lendosphère6 millions d’euros17,3 millions d’euros
Credit.fr5,8 millions d’euros12,3 millions d’euros
Look&Fin3,8 millions d’euros15,4 millions d’euros (dont 2/3 en Belgique)
Unilend3,5 millions d’euros25,9 millions d’euros
Lendopolis2,2 millions d’euros11,2 millions d’euros
Sources : Crowdlending.fr et statistiques des plateformes à fin juin 2017

« Mesurer les rapports de force en fonction du seul montant financé induit un biais », se défend Nicolas Lesur. « Unilend réunit la plus grosse communauté de prêteurs, avec près de 40 000 membres pour 13 000 prêteurs actifs. » Il affirme avoir fait évoluer son modèle depuis 2 ans, en privilégiant « la qualité à la quantité » pour les projets proposés, tout en soulignant que les montants brassés restent globalement stables en 2017 par rapport à 2016. « Depuis le début, nous enrichissons en permanence notre scoring et, depuis deux ans, nous tenons nos objectifs en matière de coût annuel du risque. »

Des prêteurs particuliers et institutionnels

Quant à Lendix, qui brasse des montants défiant toute concurrence, Olivier Goy assume totalement son « mix entre prêteurs particuliers et institutionnels », qui lui permet de maintenir cette progression exponentielle. Mais la critique est récurrente, de la part des autres acteurs du marché : les prêteurs « grand public » ne pèsent que 17% de la collecte, pour 14% d’investisseurs avertis, 34% de family offices et 35% d’institutionnels. De quoi mettre à mal l’idée originelle du financement par la foule. « Cette mixité rassure aussi les investisseurs particuliers », coupe Olivier Goy.

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Plusieurs plateformes ambitionnent de réaliser un même mix particuliers-institutionnels, avec un dosage souhaité en faveur des particuliers. Le lancement des minibons à l’automne 2016, qui permettent le prêt entre entreprises, vise d’ailleurs à autoriser ce mix.

Des taux de défaut jetant l’opprobre sur le secteur ?

Un élément pourrait toutefois freiner les envies des épargnants pour prêter aux PME : de nombreux défauts de remboursement de la part des entreprises emprunteuses. En septembre dernier, les taux de défaut étaient encore peu représentatifs. Désormais, une plateforme comme Lendopolis affiche 2 ans et demi d’ancienneté et un taux de défaut avoisinant les 10%.

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Un risque pour l’image et l’attractivité du secteur ? Nicolas Lesur, d’Unilend, qui affirme avoir fortement fait évoluer le tri des dossiers sur sa plateforme, incite à « prendre un peu de recul » : « Au risque de choquer, j’estime que les défauts ne sont pas le vrai sujet pour le secteur du prêt participatif ! Le véritable sujet de comparaison entre les plateformes, ce sont les performances nettes. Car espérer 6% à 8% d’intérêts sans risque, c’est impossible ! Les défauts de paiement sont consubstantiels au prêt participatif, sinon, nous ne pourrions proposer que des prêts à 1%. » Les plateformes travailleraient conjointement à de nouvelles normes statistiques, notamment pour communiquer uniformément sur les rendements, comme pour d’autres familles de placement.

Un paysage encore plus resserré en 2018 ?

Reste à savoir combien de plateformes subsisteront en 2018, ou par la suite, sur ce marché qui reste une niche à l’échelle de l’épargne des ménages français, avec un encours se comptant en centaines de millions d’euros quand l’assurance-vie en pèse environ 1 600 milliards.

« Il faut être capable de montrer un certain volume de prêts pour donner envie à un repreneur »

Les présidents d’Unilend comme de Lendix fixent leur seuil de rentabilité à environ 100 millions d’euros financés par an, mais, à ce jour, l’un comme l’autre priorisent le gain de parts de marché à la rentabilité. Pour mieux se vendre, à l’image de Lendopolis et Credit.fr ? « Nous avons déjà été approchés mais, aujourd’hui, nous ne sommes pas dans cette optique », répond Olivier Goy, de Lendix, qui souligne que d’autres opérations sont « possibles » sur le marché du crowdlending, avant de tempérer : « Il ne reste pas 50 plateformes d’envergure non plus. Il faut être capable de montrer un certain volume de prêts pour donner envie à un repreneur. » « Je ne suis pas en train de négocier une vente », coupe pour sa part Nicolas Lesur, d’Unilend. « Nous avons les moyens de rester indépendant encore un certain temps. » Rendez-vous dans un an.