En reportant le lancement de sa banque mobile, prévue aujourd’hui 6 juillet, d’au moins deux mois, Orange a préféré décevoir les plus impatients de ses futurs clients, plutôt que de prendre le risque d'un lancement désastreux. Pourquoi le n°1 français des télécoms n’a pas réussi à tenir ses délais ?

C’est aujourd’hui, jeudi 6 juillet, qu’aurait dû être lancé Orange Bank, la très attendue banque mobile d’Orange. Las, ce lancement historique - l’opérateur télécom français va devenir le premier acteur extra-bancaire d’envergure à se lancer dans la banque de détail - a été reporté « à la rentrée », sans plus de précisions. Interrogé par Les Echos, Stéphane Richard entretient le flou : « ce sera cette année », explique-t-il. En septembre ? En décembre ? On verra.

Annoncer une date de lancement aussi précise. Puis reporter à la dernière minute - l’annonce en a été faite le 29 juin - sans reprogrammer une date : la crédibilité d’Orange Bank en prend un sacré coup. D’autant qu’il ne s’agit pas du premier report.

Des retards à répétition

Mars 2015 : Orange présente son plan stratégique Essentiels2020 et dévoile à cette occasion son projet de lancer une banque « 100 % digitale et 100 % innovante », « en partenariat avec un acteur du secteur ». Ce partenaire est dévoilé en janvier 2016 : il s’agit de Groupama Banque, dont Orange annonce acquérir 65% du capital. L’opérateur se donne alors un an pour développer et lancer son offre bancaire. Mais en janvier 2017, il est encore loin du compte. Certes, le 16 janvier, Groupama Banque est officiellement renommée Orange Bank. Mais le lancement de la nouvelle offre, prévue en février, est reportée au printemps. « Le chantier a pris un peu de retard », confie alors une source syndicale.

Le printemps arrive, et toujours rien. En mars, le directeur général de Groupama annonce un lancement mi-mai dans le réseau de boutiques Orange. Puis l’opérateur finit par lâcher une date fin avril, à l’occasion de sa keynote annuelle : ce sera pour le 6 juillet. Encore raté.

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Un bêta test a minima

Pour justifier ce nouveau report, Orange a joué la transparence. « Les tests menés avec des salariés depuis le mois de mai ne sont pas encore à la hauteur des standards et des critères d'excellence en termes de qualité et de fiabilité attendues par le groupe », a expliqué l’opérateur dans un communiqué, amenant Stéphane Richard à la décision de « prolonger et élargir la phase de test et de reporter le lancement d'Orange Bank auprès du grand public ». En résumé, Orange Bank et son application mobile sont encore perclus de bugs.

A la décharge d’Orange, ce qu’il s’apprête à faire - se lancer dans un nouveau métier aussi complexe que la banque de détail - est sans précédent. « A ma connaissance, on est le premier opérateur télécom à lancer une banque à cette échelle-là, dans le monde », plaide ainsi Stéphane Richard dans Les Echos.

Pour autant, cela n’explique pas pourquoi l’entreprise n’a réellement commencé ses tests qu’à la mi-mai. Et auprès de seulement 120 collaborateurs dans un premier temps, puis 2 000 supplémentaires environ depuis le mois de juin. Une bêta a minima donc, si on la compare avec ce qui se fait en général dans le domaine. Société technologique s’il en est, Orange a pourtant une certaine expérience dans le domaine. Pourquoi alors a-t-elle choisi de donner un date précise de lancement, et de se laisser aussi peu de marge ? Mystère.

Le rachat de Groupama banque, une fausse bonne idée

Outre les bugs, il semble y avoir une autre explication au calendrier perturbé du lancement d’Orange Bank : l’opérateur a toute simplement sous-estimé la difficulté à mettre en place un service bancaire à destination du grand public.

Il pensait pourtant avoir fait le plus dur en rachetant une banque, qui lui permettait de mettre la main, d’un seul coup, sur une licence d’établissement de crédit, un cœur informatique opérationnel et une expertise en matière de réglementation et de conformité bancaire. Mais ce qui semblait être le choix le plus rationnel s’est avéré une fausse bonne idée : l’opérateur, qui pensait gagner du temps, en a finalement perdu. A tel point que si le choix avait dû se faire aujourd’hui, il aurait sans doute été différent.

Premier contretemps : l’agrément. Confronté au cas inédit d’un acteur extra-bancaire géant rachetant une petite banque, le régulateur du secteur financier, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), a demandé à Orange de constituer un nouveau dossier d’agrément bancaire. Deuxième contretemps : le cœur informatique de Groupama a vite montré ses limites face aux exigences d’Orange Bank, service mobile basé sur l’instantanéité des opérations. Troisième contretemps enfin : pourtant aguerri à la réglementation sur les télécoms, pas la moins contraignante, Orange a découvert l’hyper-complexité de la réglementation bancaire. L’une ajoutée à l’autre ont constitué, de source proche, un véritable « enfer ».

Eviter l’accident industriel

Dans ce contexte, Orange a pris une décision sans doute difficile, mais raisonnable : retarder le lancement plutôt que de risquer l’accident industriel en sortant un produit imparfaitement fini, comme en leur temps Mercedes - la Classe A qui ne tient pas la route - ou Samsung - le Galaxy Note qui prend feu.

Ce faisant, Orange Bank a entamé une petite partie de son crédit, déçu les plus impatients, s’est s’exposé aux quolibets mais a évité le crash. Elle s'est aussi ajouté un supplément de pression : le jour J, ses (futurs) clients n'attendront rien moins qu'un service en tout cas irréprochable.