Pour beaucoup, le futur de la banque sera ouvert, ou ne sera pas. L’open banking, c’est-à-dire l’obligation pour les banques de partager les données de paiement des clients qui le souhaitent avec des services tiers, annonce un profonde transformation de l’écosystème bancaire. Qu’aurons-nous à y gagner, en tant qu’usager ? Et qu’ont à y perdre les banques ?

De temps à autre, un nouveau mot - souvent un anglicisme - fait son apparition dans l’univers bancaire et s’annonce comme la prochaine révolution. Il en a été ainsi, ces dernières années, de la Fintech - contraction de finance et technology, ensemble des startups opérant dans le champ des services financier - ou encore de la blockchain - « chaîne de blocs » en français, registre virtuel décentralisé permettant de sécuriser l’historique d’une transaction -, entre autres exemples.

Ces derniers temps, le concept en vogue semble être celui d’open banking, qu’on peut traduire par « service bancaire ouvert ». Une expression contre-intuitive : dans l’imaginaire collectif, la banque reste en effet assimilée au coffre-fort, ce lieu sûr et fermé où mettre son argent pour le protéger. Pourquoi donc faudrait-il ouvrir la banque ? Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’avons nous à y gagner, en tant qu’usager bancaire ? Et n’y a-t-il pas là un danger ? Nous avons posé ces questions à deux spécialistes de la transformation numérique du secteur bancaire, Bruno Cambounet, président des solutions banque-finance d’Axway, et Olivier Thirion de Briel, Directeur Marketing Monde des solutions d’identité et de gestion des accès chez HID Global.

Qu’est-ce que l’open banking ?

Bruno Cambounet : « Il y a deux dimensions dans l’open banking. La première renvoie à la notion plus générale d’open data, ou données ouvertes, c’est-à-dire à la mise à disposition de données non personnelles, librement utilisables. Dans le cas de la banque, cela peut être par exemple la localisation d’agences ou de distributeurs. La seconde dimension de l’open banking, c’est l’ouverture à des tiers, sous certaines conditions évidemment, de données clients, et particulièrement des opérations de paiement, détenues par une banque. »

Quels nouveaux services pour les usagers ?

« Les clients vont y gagner une meilleure expérience utilisateur et un meilleur service »

Olivier Thirion de Briel : « On peut compter sur la créativité des fintechs pour développer leurs services en s’appuyant sur la mine d'or que constituent les données bancaires, qui permettent une connaissance très fine de l’utilisateur, de ses goûts, de ses besoins. Elles vont aussi développer des services autres que financiers, avec l’objectif de récupérer encore de nouvelles données. »

Bruno Cambounet : « Bill Gates, le fondateur de Microsoft, l’avait annoncé : ''Nous avons besoin de services bancaires, nous n’avons plus besoin de banques'' (1). Et les services bancaires ont d’autant plus de valeur qu’ils sont ouverts à des services extra-bancaires. Un bon exemple se situe en Grande-Bretagne, où les usagers bancaires ont la possibilité de comparer les tarifs des banques en se basant, non pas sur des profils de consommation prédéfinis, mais sur leur consommation réelle de produits et services. Couplé à un dispositif efficace d’aide au changement, cet outil permet de fluidifier le marché et d’encourager la compétition entre enseignes. De la même façon, l’usage des données bancaires dans des services d’agrégation et de coaching, à l’image de Linxo en France, permet d’optimiser ses frais bancaires et son épargne. »

Olivier Thirion de Briel : « L’open banking va secouer les banques, les obliger à réagir et les clients vont y gagner une meilleure expérience utilisateur et un meilleur service. »

Y a-t-il un danger à ouvrir les données des banques à des tiers ?

« L’inquiétude des banques est justifiée »

Olivier Thirion de Briel : « L’inquiétude des banques sur la sécurité des données est justifiée. Il y a une hausse de la fraude, une cybermenace endémique et de plus en plus palpable. Avec cette ouverture à l’extérieur, il y a effectivement un risque que n’importe qui s’engouffre dans la brèche. »

Bruno Cambounet : « La protection des données est un enjeu véritable. Mais les banques ont tendance à l’instrumentaliser pour freiner le changement, comme elles l’ont fait par le passé sur le SEPA (2). »

Olivier Thirion de Briel : « Chacun est dans son rôle. Les banques veulent garder le contrôle sur leurs données et sur les usages qui en sont faits. Pour des questions de sécurité, mais aussi pour limiter l’essor des nouveaux entrants. Les services tiers, eux, veulent être indépendants, ne pas être bloqués par les banques. »

L’open banking risque-t-il de fragiliser les banques ?

« Une opportunité incroyable pour les banques »

Olivier Thirion de Briel : « Cela dépend d’elles, avant tout, de leur capacité à réagir et s’adapter au nouveau paradigme. Comme l’industrie musicale avant elle, par exemple, elles ont d’abord été dans le déni, puis ont tenté de se recroqueviller sur leurs modèles économiques. Elles doivent maintenant s’ouvrir et accepter le changement. »

Bruno Cambounet : « L’open banking risque en effet de les priver de certaines rentes, de les mettre en position de challenge permanent, alors que le contexte économique et réglementaire est déjà défavorable à leurs activités de détail. On peut comprendre que certaines avancent sur cette voie le couteau dans les reins, et qu’elles se contentent, dans l’immédiat, de réduire leurs coûts. Mais elles doivent prendre conscience que ce nouveau paradigme est aussi l’opportunité de dégager de nouveaux revenus. »

Olivier Thirion de Briel : « Les banques, grâce à leurs données, à leur connaissance des clients, à la confiance qu’on leur accorde, ont l’opportunité d’être au cœur du monde connecté. Elles vendent de la confiance, c’est une opportunité incroyable pour elles. En plus de gérer de l’argent, elles peuvent gérer des identités. C’est une nouvelle source de revenus potentielle pour elles. »

La DSP2, un puissant accélérateur de l’open banking

Si l’open banking concentre aujourd’hui autant l’attention, c’est en raison de la mise en place prochaine d’une nouvelle réglementation. La DSP2, révision de la directive européenne sur les services de paiement, va en effet contraindre les banques, à compter de 2018, à donner un accès aux données de leurs clients, avec l’accord de ces derniers, à des services tiers dûment agrémentés, soit en tant que service d’information sur les comptes, soit en tant qu’initiateurs de paiements. Une évolution qui promet de modifier durablement la relation des clients avec leurs banques.

Lire aussi : Bras de fer entre les fintechs et les banques sur la DSP2

(1) « We need banking. We don’t need banks anymore. » La phrase a été prononcée en 1997. (2) Le SEPA, ou espace unique de paiements en euros, a harmonisé les moyens de paiements (virements et prélèvements notamment) dans les pays de l’espace économique européen.