Depuis le 7 février dernier, les Français sont censés pouvoir changer plus facilement de banque grâce au mandat de mobilité issu de la loi Macron. Mais dans les faits, le nouveau dispositif affiche de nombreux dysfonctionnements, liés notamment à l’impréparation de certaines banques et à l’imprécision des règles d’application. Explications avec Etienne Jaouen, manager au sein du cabinet de conseil Ailancy.

Etienne Jaouen, quelle est la situation deux mois après le lancement de la mobilité bancaire Macron ?

Etienne Jaouen : « Les choses s’améliorent petit à petit, mais certains problèmes persistent. A date, plus de 25 banques ne sont toujours pas connectées à Aigue-Marine (1), majoritairement des acteurs bancaires étrangers ayant de faibles activités de banque de détail en France. Certaines banques ont également des difficultés à respecter le format des messages, tel qu’il a été défini par le CFONB [Comité français d’organisation et de normalisation bancaire, NDLR]. Enfin, les règles opérationnelles, qui doivent guider les banques dans l’application de la loi, ne sont pas toutes très claires et entraînent des dysfonctionnements. »

Quels sont ces dysfonctionnements ?
« Des règles pas toujours très claires »

E.J. : « Certains viennent du non-respect des règles opérationnelles, d’autres trouvent leur origine dans l’absence de règles. Un exemple : dans le cas où un mandat de mobilité indique une date pour la fermeture du compte, mais pas de date pour l’arrêt des opérations récurrentes, il n’y a pas de règle précise. Certaines enseignes vont donc choisir de stopper ces opérations la veille de la fermeture du compte. Mais d’autres vont préférer rejeter la demande de mobilité. »

Comment réagit le secteur bancaire face à ces dysfonctionnements ?

E.J. : « La messagerie interbancaire Sepamail et le CFNOB travaillent à mettre en place des règles supplémentaires, qui devraient entrer en vigueur en juin 2017. La Fédération bancaire française (2), de son côté, a lancé le 8 mars dernier le Plan d’action mobilité, destiné à encourager les banques à être plus souples sur les délais, à donner la priorité aux demandes des nouveaux clients et à communiquer, le cas échéant, entre elles, sans passer par Aigue-Marine. »

Qu’est-ce qui explique ces difficultés de mise en œuvre ?
« Un véritable big bang pour les banques »

E.J. : « La loi Macron a été un véritable big bang pour les banques, et la période de préparation n’a sans doute pas été suffisamment longue. Aigue-Marine n’a pas été suffisamment testée par les banques. Et certains prestataires de services de mobilité n’étaient pas prêts. La FBF et le CFNOB auraient sans doute pu mieux anticiper les difficultés possibles sur les règles opérationnelles, notamment sur les délais de réponse. »

Certaines enseignes profitent-elles de la situation pour détourner l’esprit de la loi, ou pour éviter de l’appliquer ?

E.J. : « Je n’ai pas recueilli de témoignages précis. Mais je lis la presse, et certains comportements ont été rapportés : des banques d’arrivée qui forcent la clôture des comptes d’origine sans l’assentiment du client ; des banques de départ qui dépassent sciemment le délai de 5 jours pour rendre le mandat caduc. Le Plan d’action mobilité de la FBF devrait apporter un peu de souplesse et améliorer la situation. »

Face à cette situation, pensez-vous que le régulateur doive taper du poing sur la table ?

E.J. : « Il pourrait le faire, en cas de persistance des dysfonctionnements. Mais pas à court terme, pas avant l’automne je pense. »

Dans ce contexte, peut-on encore conseiller aux usagers d’utiliser le mandat de mobilité ?
« Eviter de clore immédiatement le compte d'origine »

E.J. : « Les dysfonctionnements ne sont heureusement pas systématiques. Les clients des grandes enseignes françaises qui souhaitent par exemple partir vers une banque en ligne ont de bonnes chances que cela fonctionne. On peut toutefois leur conseiller de ne pas clore le compte d’origine, et d’en surveiller l’activité pendant quelques mois. Car les problèmes ne viennent pas seulement des banques d’arrivée et de départ, mais aussi des émetteurs de virements et de prélèvements. Certains ne sont pas prêts à mettre en application la loi Macron, d’autres n’y sont pas contraints parce qu’ils se situent hors de France. »

La mobilité Macron est-elle suffisante ? Ne faudrait-il pas mettre en place une véritable portabilité bancaire, comme cela existe dans la téléphonie mobile ?

« Cette évolution a fait l’objet d’un travail de préfiguration en France, qui a répondu non à cette question, estimant que la portabilité serait difficile à mettre en place. Pourtant, elle existe dans d’autres pays comme la Suède et les Pays-Bas. L’impulsion pourrait venir des institutions européennes. Une réflexion sur le sujet est en cours, mais elle n’aboutira pas avant septembre 2019, pour une application éventuelle en 2020 ou 2021. Ce n’est donc pas pour demain. »

La loi Macron, une incitation à changer

Malgré les difficultés de mise en œuvre, la mobilité bancaire Macron a fait son trou dans l’opinion. Selon un récent sondage Simon-Kucher/Research Now (3), un tiers des Français, qui n’envisageaient pas de le faire, se posent la question de changer de banque suite à l’entrée en vigueur de la loi, et 15% vont changer de façon certaine.

(1) Aigue Marine est une application développée par la messagerie interbancaire Sepamail pour permettre l’échange automatique des informations concernant les opérations récurrentes du client. Lire : Loi Macron : les banques dévoilent leur solution d'aide au changement de banque. (2) La FBF est l’association professionnelle représentative du patronat bancaire. (3) Etude online Simon-Kucher - Research Now menée sur un échantillon de 1.054 Français âgés de 18 à 65 ans en février 2017