Dans une étude, Emmanuel Constans, président du Comité consultatif du secteur financier, passe au crible l’augmentation des frais de tenue de compte ces dernières années, et tente d'expliquer le choix des banques.

Une « extension sensible en deux temps », d’abord au début des années 2010, puis depuis le début de l’année 2016, aboutissant désormais à une « quasi-généralisation » : l'étude (1), publiée conjointement au rapport 2016 de l’Observatoire des tarifs bancaires, prend acte de cet « événement majeur dans le paysage français des frais bancaires ». Désormais, selon les enseignes, 10% à 50% de la clientèle bancaire (2) s'acquitte chaque année d'une vingtaine d’euros en moyenne, et jusqu’au 150 euros dans certains cas, pour disposer d’un compte courant. Une rupture de la tradition française qui voulait jusqu’ici que la tenue de compte soit un service fourni gratuitement par les banques, en échange des dépôts qu’elles recevaient de leurs clients.

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Comment expliquer cette évolution ? Les clients, en tout cas, peinent à comprendre. Logique : le rapport note « qu’à quelques notables exceptions près, la généralisation des frais de tenue de compte n’a pas été accompagnée d’une information adaptée des clients par les établissements ». Sans doute parce que les banques ont estimé qu’expliquer était potentiellement plus dommageable pour elles que garder le silence…

Des frais qui ne correspondent pas à une amélioration du service…

Le rapport le montre en effet : l’extension des frais de tenue de compte ne s’est pas accompagnée de l’apparition de nouveaux services. Tout juste le texte pointe-t-il une augmentation des charges liées aux systèmes informatiques, dans un contexte d’explosion de l’usage des canaux bancaires numériques, sur web et mobile. Des dépenses qui n’auraient pas été totalement compensées par les économies réalisées grâce à la réduction des réseaux physiques.

En effet, « outre les questions d’emploi, il semblerait que, même s’ils les utilisent peu, les consommateurs sont très attachés à disposer de services de proximité », explique Emmanuel Constans. « Certains établissements ont confirmé que la fermeture d’agences entraînait souvent une diminution de l’activité commerciale dans la zone par fermeture de comptes et une difficulté de recrutement de nouveaux clients. » Même sous-utilisée, l’agence reste ainsi une vitrine dont les enseignes traditionnelles ne savent pas encore se passer.

… mais à une baisse des revenus

De fait, constate le rapport, l’explosion des frais de tenue ne s’explique pas par une hausse des charges mais par une baisse des revenus des banques de détail, qu’il s’agissait de compenser. Une baisse liée à l’évolution du contexte macroéconomique et réglementaire.

L’évolution qui coûte le plus cher aux banques est l'érosion des « marges d’intérêt ». « L’ensemble des banques européennes sont en effet confrontées », explique le président du CCSF, « à une situation dans laquelle leur rentabilité souffre de la politique de la BCE et ses conséquences sur la rémunération des dépôts obligatoires des banques. » En résumé, le contexte de taux bas diminue la rentabilité d’une des activités de base de la banque, qui consiste à transformer les dépôts en crédits.

Commissions d’intervention et comptes inactifs

Mais la BCE n’est pas la seule à faire des misères aux banques européennes. C’est aussi le cas, si l’on en croit les banquiers interrogés par Emmanuel Constans, de l’Union européenne et des pouvoirs publics français. La première a en effet entrepris de limiter le montant des commissions d’interchange, payées par les commerçants (et donc au final par les consommateurs) à l’occasion des paiements par carte. L’argument, toutefois, ne porte pas vraiment en France, où ces commissions avaient déjà beaucoup baissé sous l’impulsion de l’Autorité de la concurrence. Les seconds, eux, ont encadré les commissions d’intervention, payées par les clients en situation de dépassement de découvert autorisé, et a contraint les banques à s’attaquer au problème des comptes inactifs.

Au final, « c’est l’accumulation de ces nouvelles charges et de ces baisses de produits qui a rendu nécessaire la recherche de nouvelles ressources pour les banques », conclut le rapport. Elles n’ont pas eu à aller les chercher bien loin : elles se sont simplement servies sur les comptes courants de leurs clients.

Que propose le CCSF ?

Au terme de son rapport sur les frais de tenue de compte, Emmanuel Constans fait des propositions pour améliorer les « conditions de mise en œuvre de cette nouvelle ligne de frais ». La première n’est pas la plus simple à concrétiser : définir la tenue de compte. A défaut d’une liste de services précis, le CCSF demande aux banques de « préciser les principales fonctions des frais de tenue de compte pour une bonne compréhension par l’ensemble des consommateurs ».

Autre impératif : mieux informer sur ces frais, sur leur coût et sur les éventuels moyens d’échapper à leur facturation. Le CCSF demande notamment aux banques de prendre en compte les « coûts réels du service pour la fixation du niveau des frais de tenue de compte afin que ceux-ci n’apparaissent pas comme une simple variable d’ajustement pour combler tout ou partie de l’écart entre les produits et les charges des établissements ».

Enfin, le CCSF recommande aux usagers de comparer le prix de cette ligne tarifaire dans les différentes enseignes et de faire jouer la concurrence, en profitant notamment du nouveau dispositif de mobilité bancaire, qui entrera en vigueur en février 2017.

Voir également le comparatif des frais de tenue de compte

(1) « L’extension des frais de tenue de compte. Constat et perspectives. », rapport d’Emmanuel Constans président du Comité consultatif du secteur financier, Octobre 2016

(2) La majorité des clients bancaires sont, selon le rapport, exonérés du paiement direct des frais de tenue de compte, soit parce qu’ils respectent certaines conditions d’exonération posées par les banques, soit parce qu’ils ont souscrit une offre groupée de services.