Certains cherchent des alternatives à l’assurance-vie, aux rendements sur la pente descendante ? Le regard se tourne parfois dans le rétroviseur, vers la tontine, placement ancestral profitant de la même fiscalité, mais avec une contrainte (très) forte : une épargne totalement indisponible pendant 10 ans minimum. Pari risqué ? Pour quelles performances ? Entretien avec Thibaut Cossenet, directeur financier du groupe le Conservateur, qui accapare 90% du marché en France.

Ce placement, vieux du 17e siècle, fonctionne-t-il toujours de la même manière ?

Thibaut Cossenet : « C’est Lorenzo Tonti, d’où le nom de tontine, qui a imaginé ce mode de fonctionnement en 1653. Depuis le principe de base, un placement de groupe de longue durée, est resté le même. Ce principe a tout de même été encadré (1) et modernisé, notamment depuis la création des associations Le Conservateur, en 1844, dont c'est le produit historique. Les principales contraintes sont l’aspect collectif, avec un minimum de 200 adhérents pour chaque tontine, et la durée de placement, de 10 à 25 ans : l’argent ne peut être réparti qu’au terme. Au Conservateur, nous lançons chaque année une tontine de 25 ans, nous disposons donc en permanence de 25 associations tontinières en cours. Les particuliers peuvent y adhérer au moment du lancement, ou en cours d’existence, à condition qu’il reste 10 ans minimum avant l’échéance. »

L’épargnant perd donc ses économies s’il décède avant le terme de la tontine ?
« L'argent ne peut être réparti qu’au terme »

T.C. : « Dans ce cas, les cotisations profitent à l’association. Nous proposons néanmoins une assurance décès facultative (2) afin de contourner cet aléa. Via cette assurance, en cas de décès de l’assuré, le capital assuré peut ainsi être transmis aux bénéficiaires désignés. »

Comment gérez-vous les fonds pendant les 25 années d’existence de chaque tontine ?

T.C. : « Pour chaque euro entrant dans l’association tontinière, nous connaissons la date de sortie. Grâce à cette absence de liquidité et cette durée connue et certaine, nous pouvons optimiser l’allocation de façon graduelle. Ainsi lors des 10 à 15 premières années de la tontine, nous plaçons l’argent majoritairement sur des actions, de l’immobilier, etc. Plus l’on se rapproche de la date de répartition, plus l’on sécurise. Lors de la toute fin de vie de l’association, nous sommes à 100% sur des obligations, avec des échéances cohérentes avec la date de répartition. »

Quelles sont les performances des tontines en cours ?
« 2% à 3% de mieux que l’inflation »

T.C. : « Pour les tontines lancées récemment, je suis incapable de prédire les performances des 25 prochaines années. Concernant notre historique, sur 70 ans, les performances des tontines font toujours 2% à 3% de mieux, en termes de rendement annuel, que l’inflation. Par exemple, pour la tontine qui est arrivée à échéance en 2016, nous affichons un rendement de 4% à 6% [net de frais, selon le Conservateur, NDLR] par an selon l’âge de l’adhérent et le montant investi. »

Au sein d’une même tontine, les rendements peuvent être différents ?

T.C. : « C’est ce que l’on appelle la capitalisation viagère. Il y a donc un rendement différencié selon la probabilité que l’on soit vivant ou non au terme de la tontine. »

Si deux personnes adhèrent à une association tontinière au même moment, c’est donc la plus âgée des deux qui aura un meilleur rendement…
« Un bonus à l’âge »

T.C. : « Oui, il y a un bonus à l’âge pour des durées équivalentes. »

Quid des frais ?

T.C. : « Ce sont les mêmes pour tous : 18,5% du versement à l’adhésion, puis plus aucun frais n’est prélevé ! Lorsque l’on ramène ce taux sur une quinzaine d’année, c’est moitié moins cher que sur beaucoup de contrats d’assurance-vie. »

Vous disposez de 130.000 clients « tontiniers ». A quel type de public convient la tontine ?

T.C. : « Une clientèle capable de bloquer une partie de son argent pendant au moins 10 ans. De fait, il s’agit donc d’un produit de diversification patrimoniale : nous conseillons d’y allouer 10%, 15% voire 20% grand maximum de son patrimoine financier. Notre clientèle opte pour la tontine avec plusieurs objectifs. Certains visent un complément de retraite. Dans ce cas, ils peuvent d’ailleurs souscrire à plusieurs tontines, de façon à se voir verser un capital chaque année pendant une période donnée. D’autres choisissent la tontine comme un outil de défiscalisation ISF, car ce placement est dénué de valeur de rachat pendant toute sa durée et ceci procure un avantage pour les sommes investies avant 70 ans. D’autres, enfin, l’utilisent pour transmettre de manière anticipée, par exemple pour les petits-enfants, afin que l’argent ne soit disponible qu’à un certain âge. »

Vous revendiquez une collecte en hausse. Comment l’expliquez-vous ?
« Un outil de défiscalisation ISF »

T.C. : « Indéniablement, ces dernières années, la collecte a progressé. Sur l’année 2016, nous serons en ligne avec 2015 autour de 180 ou 190 millions d’euros sur la tontine à prime unique. Nous profitons d’une part du contexte financier actuel, qui rend les horizons lointains plus pertinents pour obtenir du rendement. En 2016, nous profitons aussi de la problématique de blocage éventuel de l’assurance-vie avec la loi Sapin 2. Car avec la tontine, même si l’horizon est lointain, vous choisissez précisément quand vous pouvez bénéficier de votre capital. Surtout que la fiscalité en cas de vie est la même que pour une assurance-vie de plus de 8 ans (3). »

(1) Article R322-139 et suivants du Code des assurances.

(2) Assurance perte totale et irréversible d’autonomie (PTIA). Le tarif de cette assurance décès-PTIA « dépend de l’âge, de la durée et des options choisies (avec ou sans revalorisation du capital) » selon le Conservateur, sans plus de précision.

(3) Abattement (4.600 euros pour une personne seule), puis intégration au barème de l’impôt sur le revenu ou prélèvement forfaitaire de 7,5%.