Présidé par le ministre des Finances, le Haut conseil de stabilité financière, ou HCSF, aura bientôt un droit de veto, temporaire et exceptionnel, lui permettant de bloquer les mouvements sur les contrats d’assurance-vie. Cette mesure, intégrée au projet de loi Sapin II, repasse devant l’Assemblée cette semaine.

Le HCSF ? Une institution récente (créée en 2014) et jusqu’à présent discrète. Rassemblant les dirigeants des régulateurs financiers, AMF et ACPR, de la Banque de France, et quelques économistes, sous la présidence de Michel Sapin, il publie chaque trimestre un communiqué délivrant des recommandations d’ordre général aux établissements financiers. Toutefois, depuis juin dernier, le HCSF est aussi au cœur d’une petite polémique dans le monde de l’assurance-vie. La cause ? Un amendement au projet de loi Sapin II lui permet d’intervenir à deux niveaux : d’une part sur la rémunération, d’autre part sur les mouvements sur les contrats.

Lire à ce propos : Taux de l'assurance-vie : le pouvoir de Bercy bientôt renforcé ?

L’article controversé (1) est issu d’un amendement, en première lecture, du député PS Romain Colas, rapporteur pour avis de la commission des Finances. Depuis, il a été aménagé au Sénat, puis amendé la semaine passée en commission des Finances de l’Assemblée en suivant les recommandations des sénateurs, avant d’être adopté par cette même commission. Si le texte est voté en l’état, quels seront donc les pouvoirs du HCSF ?

L’impossibilité de verser ou retirer de l’argent

Concernant la rémunération, l’article controversé permet à ce Haut conseil de « moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices ». Cette PPB permet déjà aux assureurs de moduler les rendements d’une année sur l’autre, mais dans un cadre établi : ils ne peuvent « stocker » qu’un maximum de 15% des bénéfices financiers et lequels doivent être restitués aux assurés dans les 8 ans. « Sur proposition du gouverneur de la Banque de France », le HCSF pourrait donc assouplir ces règles.

Lire aussi : Comment les assureurs stockent des bénéfices avec la PPB

Concernant les mouvements, le projet de loi Sapin II permet au HCSF de « limiter temporairement (…) l’acceptation de primes ou versements », ou encore de « suspendre, retarder ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d’arbitrages ou le versement d’avances sur contrat ». En clair : stopper les mouvements sur les contrats.

Un recours déclenché « qu’en cas de menace grave »

D’où certaines craintes, notamment relayées en commission des finances par le député LR Eric Woerth : « Ce dispositif mérite d’être retravaillé. Je n’en conteste pas l’objectif – éviter les crises systémiques –, mais il faut également rassurer les épargnants. »

Romain Colas a justement profité du passage en commission des finances, avant la deuxième lecture du projet de loi à l’Assemblée, pour adapter les conditions d’application : en cas de « risques représentant une menace grave et caractérisée pour la situation financière » d’un ou plusieurs assureurs. Le député PS a par ailleurs limité à 3 mois (renouvelable) la durée de ces « mesures de sauvegarde », contre 6 mois précédemment, et ce « en concertation avec les sénateurs et à l’issue d’une discussion franche avec le gouvernement ».

Un outil « en cas de hausse brutale des taux »

Le rapport du Sénat relatif à la loi Sapin II s’attarde lui aussi sur les motivations de cette mesure polémique. Il rappelle qu’il s’agit de pouvoirs dont le régulateur banque-assurance, l’ACPR, dispose déjà mais de manière ciblée, en l’étendant au HCSF pour que ces restrictions puissent concerner l’ensemble d’un secteur économique, autrement dit tous les assureurs. La limitation des mouvements sur les contrats « permet notamment d'offrir un outil de régulation au HCSF en cas de hausse brutale des taux », précisent les sénateurs dans leur rapport. Un tel rebond mettrait en péril la « compétitivité des fonds euros » et pourrait donc provoquer « un rachat massif de la part des souscripteurs ». C’est ce cas de figure, potentiellement fatal à certains assureurs, que ce dispositif exceptionnel doit prévenir.

En commission des Finances, le rapporteur PS Romain Colas concède indirectement que ce nouveau pare-feu suscite des craintes : « Il est sans doute nécessaire de travailler avant la séance publique afin d’apporter des réponses à ceux qui nous ont sollicités », a-t-il souligné, avant d’appuyer à nouveaux sur « le caractère exceptionnel et temporaire de ces mesures ».

Une mesure adoptée par le Parlement et validée par les Sages

Mardi 8 novembre, le projet de loi Sapin 2 a été définitivement adopté à l'Assemblée nationale. Lors de la navette parlementaire, quelques nuances ont toutefois été apportées à cette mesure polémique. Ainsi, en deuxième lecture, les députés ont voté un amendement imposant au HCSF « de tenir compte des intérêts des assurés, des adhérents et des bénéficiaires des contrats d'assurance dans l'exercice des nouveaux pouvoirs qui lui sont confiés ». En séance, Michel Sapin avait par ailleurs évoqué la possibilité d'autoriser des retraits de petit montant. Enfin, dans le texte définitif, la durée de restriction des retraits a été limitée à 6 mois maximum : la période de 3 mois prévue initialement n'est donc renouvelable qu'une seule fois.

Saisi - notamment - sur ce point par les députés et sénateurs LR, le Conseil constitutionnel n'a pas censuré l'article étendant les pouvoirs du HCSF. La loi Sapin 2 a donc été promulgée le 9 décembre 2016 et publiée le lendemain au Journal officiel, dans une version intégrant la faculté de restriction temporaire des retraits sur l'assurance-vie.

(1) Article 21 bis au projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.