Les taux de défaillance vont actuellement de 0% à 6% sur les différentes plateformes de crowdlending en France ! Ce risque d’impayés était connu mais il se concrétise de plus en plus. Faut-il s'en inquiéter ?

Des rendements de 4%, 6% voire 8% ou plus : les taux d’intérêt sont alléchants sur les plateformes de prêt participatif aux PME. Mais il ne s’agit que d’une promesse, à cause du risque d’impayés. D’où l’obligation pour les plateformes de communiquer un taux de défaut. Que représente-t-il ? C’est le décret encadrant le financement participatif (1) qui détaille le mode de calcul. Les plateformes de crowdlending sont tenues de mettre à jour « trimestriellement » un « taux de défaillance » portant sur 3 ans. Le décret réclame à la fois un taux en nombre de projets avec impayé, et un taux en montant. Ce dernier est calculé ainsi : « la somme du capital restant dû des crédits (…) présentant une échéance impayée depuis plus de deux mois (…) sur la somme du capital restant dû de l’ensemble des prêts ». Autrement dit, ce taux est censé pointer la proportion de crédits douteux en portefeuille.

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Des statistiques encore peu révélatrices

L’enjeu est important. Car chaque plateforme répète à l’envi qu’elle est la plus sélective. « Maîtriser le coût du risque, c’est le sujet n°1 », répète encore aujourd’hui Fabien Michel, fondateur de PretUp. Mais cette transparence imposée par le législateur est-elle efficace, 2 ans après la publication de ce fameux décret ?

Un coup d'œil aux statistiques des plateformes montre à quel point la comparaison reste périlleuse. Parmi les dix principales plateformes, sept affichent « 0% ». Or, bien évidemment, ces sites finiront par enregistrer des impayés. Créées pour la plupart courant 2015, ces plateformes n'ont pour l'heure mené qu’une poignée de remboursements à leur terme. Seul un site peut revendiquer une ancienneté suffisante pour que le taux de défaut soit révélateur : Unilend, créée en novembre 2013, avec 12 crédits remboursés dans leur intégralité. Ici, le taux de défaillance dépasse nettement les 5%. Mais Nicolas Lesur affirme que sa plateforme a passé sa période d’« apprentissage » : « Aujourd’hui, notre coût du risque a été divisé par deux ou trois ! »

Taux de défaut des 10 principales plateformes au 31 août 2016
PlateformesCréationMontant prêtéTaux de défaut en montant *
Lendixmars 201533.542.534 euros0% (mais 0,74% en nombre de projets)
Unilendnovembre 201320.437.150 euros5,65%
Lendosphèredécembre 20149.373.950 euros0%
Lendopolisnovembre 20147.367.500 euros2,80%
Credit.frmars 20154.196.000 euros0%
PretUpjuin 20151.139.265 euros0% (mais 1,85% en nombre de projets)
Prexemmai 20151.129.000 euros2,44%
Boldenavril 2015740.000 euros0%
Tributile **juin 2015471.750 euros0%
Les Entreprêteursavril 2016274.937 euros0%
* Selon les statistiques publiées par les plateformes sur leurs sites. Le taux de défaut mentionné est celui sur les incidents de plus de 2 mois comme le veut la réglementation.
** Statistiques au 30 juin 2016

Autre illustration de la faible représentativité actuelle de ces taux : Lendix classe ses projets par niveau de risque, de A à C. Paradoxalement, le premier défaut est intervenu dans la catégorie A, la moins risqué : « Quand la plupart des projets seront à maturité, dans 3 à 5 ans, les taux de défaut seront logiquement plus en phase avec notre classification A, B et C », affirme Olivier Goy, fondateur de Lendix. « A terme, et dans un cycle économique normal, nous visons un taux de défaut annuel global entre 2% et 3% maximum. » Fabien Michel, de PretUp donne lui rendez-vous « fin 2017 » pour un taux révélateur de sa « première génération de prêts ». Objectif : « rester sous les 5% ».

« Deux personnes à temps plein sur le recouvrement et le contentieux »

Ces deux plateformes, Lendix et PretUp, ont la particularité de présenter un taux de défaut de 0% en montant mais de 0,74% et 1,85% en nombre de prêts. Pourquoi ? Car les impayés ont finalement été restitués aux prêteurs. Olivier Goy, de Lendix, n’hésite d’ailleurs pas à casser l’image bienveillante du crowdlending : « En cas d’impayé, il faut être intransigeant. Nous avons deux personnes à temps complet sur le recouvrement et le contentieux. » Les autres plateformes interrogées ont pris de pareilles dispositions, notamment en faisant appel à des sociétés de recouvrement. « Souvent, c’est juste un problème de délai ou de vigilance », poursuit Olivier Goy. « Mais, en cas de problème, nous prévenons immédiatement les prêteurs, par email, et nous appliquons des pénalités à l’emprunteur. »

Une comparaison parfois trompeuse

Autre problème pour comparer les taux de défaut : les plateformes ne livrent pas toutes le même niveau de détail dans leurs statistiques. Les plus petits acteurs, à l'image de Bolden ou Tributile, se contentent d’indiquer « 0% ». Les plus gros acteurs livrent les taux réglementaires des impayés « depuis plus de deux mois » mais aussi les taux des impayés « à date ». Ce qui permet de constater l’existence d’un retard de paiement récent chez Lendix, tout comme chez Lendopolis.

Unilend, pour sa part, utilise un mode de calcul légèrement différent de la formule réglementaire (2). Et la plateforme n’indique pas le taux de défaut en nombre de projets, en préférant lister les causes des incidents (liquidation ou redressement judiciaires, retard de paiement, etc.).

Des impayés dissimulés ?

Plus gênant, là encore pour comparer la fiabilité des plateformes : certaines auraient couvert les impayés des PME emprunteuses. « Oui, il y en a qui le font et c’est scandaleux quand ce n’est pas déclaré ! », confirme Olivier Goy, de Lendix, sans désigner les coupables. Et avant de nuancer : « Dans certains cas, c’était à l’insu des plateformes, parce qu’elles n’avaient pas pris en compte le délai de 5 jours pour un prélèvement SEPA. » Il fait là référence à Finsquare, plateforme rachetée par Lendix en avril dernier et dont une vingtaine de projets auraient enregistré des défauts de paiement selon le nouveau propriétaire, sans que l’assurance impayés n’ait pu être activée.

Ce type de péripétie n’est pas toujours caché. Faisant partie des sites ayant opté pour l’assurance défaillance, PretUp a fait ce choix suite à la liquidation judiciaire d’Afcall : « On a pris en charge les échéances impayées parce que c’était l’un des seuls projets lancés avant que l’on ait mis en place l’assurance », raconte Fabien Michel, le fondateur. « On ne voulait pas que les prêteurs en fassent les frais. Mais tout est ouvert : ils savaient ce qui se passait. »

Quel impact sur le rendement ?

Reste à savoir à partir de quel niveau le taux de défaut d'une plateforme est trop élevé. Premier constat : impossible de trouver une statistique bancaire comparable. La Banque de France chiffre à 0,4% le poids des défaillances des entreprises en termes de crédit. Hors sujet. « Les banques prêtent à des taux bien plus faibles », explique Nicolas Lesur, d’Unilend. « Nous, nous prêtons en moyenne à 8% à des PME. Certes c’est une activité risquée : il y a des impayés mais, en moyenne, depuis notre lancement en 2013, le taux de rendement net de défauts est de 4,50% par an », plaide-t-il.

« Les banques prêtent à des taux bien plus faibles »

Nicolas Lesur repousse aussi toute tentative de croisement de taux de défaut et rendement : « Le taux d’intérêt moyen est annualisé, et le taux de défaut se rapporte au stock. Schématiquement, si vous prêtez 100.000 euros à 8% sur 4 années, comme le taux d’intérêt est payé chaque année, il faudrait un taux de défaut total autour de 15% pour que vous perdiez de l’argent au final. »

Des pertes déductibles des impôts

Si les taux de défaut ne permettent pas encore de comparer les plateformes, ils ont le mérite de rappeler que le crowdlending est une solution d’épargne risquée. D’où l’importance de la diversification, comme le rabâchent toutes les plateformes. Bonne nouvelle : en cas de défaut sur un projet initié après le 1er janvier 2016, un investisseur-prêteur pourra toujours se consoler avec la déductibilité fiscale des pertes. Des pertes toutefois déductibles uniquement des intérêts générés sur d'autres prêts participatifs : une autre raison de diversifier.

Taux de défaut : les modalités de calcul remises en cause

« Même l’ACPR reconnaît que les ratios pris en compte ne sont pas optimaux ! », affirme Fabien Michel, de PretUp. Nicolas Lesur, d’Unilend, souligne lui aussi l’imperfection de ce taux de défaut : « Le dénominateur, c’est le capital restant dû. Donc même avec un montant de défaut inchangé au numérateur, le simple amortissement du capital fait monter le taux de défaut chaque mois ! De plus, selon le flux de collecte le taux de défaut est impacté. Réaliser une grosse collecte permet de le baisser, et il peut remonter si des crédits sans défaut arrivent en fin de remboursement. »

(1) Décret n°2014-1053 du 16 septembre 2014 relatif au financement participatif.

(2) Unilend prend en compte la « somme du capital en retard de paiement depuis plus de 2 mois et du capital restant dû par les sociétés en liquidation », quand le décret évoque plus simplement « la somme du capital restant dû des crédits (…) présentant une échéance impayée depuis plus de deux mois ». Précision : créée avant l’entrée en vigueur du cadre réglementaire du crowdfunding, la plateforme Unilend n’était à l’origine pas immatriculée en tant qu’intermédiaire en financement participatif (IFP). Or ce sont les IFP qui sont tenus de fournir des statistiques, avec le « taux de défaillance » décrit dans le décret. La société Unilend est toutefois immatriculée IFP depuis décembre 2015.