Produit d’épargne emblématique, le Livret A est pour quelques Français leur unique compte bancaire. Zoom sur cette facette méconnue.

Sans frais. Possiblité d’effectuer des virements ou des prélèvements. Retraits d'espèces par carte... Vous pensez qu'il s'agit d'un nouveau compte bancaire en ligne ? Vous n'y êtes pas. Ce sont les opérations bancaires qui peuvent être réalisées avec un Livret A. Et le dernier rapport de l’Observatoire de l’épargne réglementée vient rappeller que des détenteurs du produit d’épargne le plus répandu en France, l'utilisent comme… un compte courant.

Une opération par mois sur les « petits » livrets

Démonstration en chiffres. Parmi les 61,1 millions de Livrets A en France, 27,5 millions disposent de moins de 150 euros au 31 décembre dernier. Parmi eux, l'observatoire recense 13,8 millions de comptes « dormants », inactifs depuis un an (1). Les autres 14 millions de Livrets A ont donc un encours de moins de 150 euros tout en étant « actifs ». Or, c'est sur ces livrets que le nombre d'opérations est le plus important : près de une par mois (soit un peu moins de 5 versements et 7 retraits sur l’année 2015), alors que l'ensemble des Livrets A « actifs » enregistrent moins de quatre opérations par an.

Autre constat : ces mêmes Livrets A de moins de 150 euros affichent un taux de rotation (2) de 31,9%, contre 4,3% pour les livrets de moins de 750 euros, et 2,1% pour ceux de moins de 1.500 euros. Commentaire de l’Observatoire de l’épargne réglementée dans son rapport 2015 : « La rotation nettement plus élevée [pour ces livrets], en partie mécanique, souligne aussi un mode d’utilisation qui se rapproche dans une certaine mesure de celui des comptes courants. » Lors de la conférence de présentation de cet observatoire, le directeur général des statistiques de la Banque de France, Jacques Fournier, a confirmé cette utilisation très active des Livrets A de faible montant : « Cela concerne des personnes très modestes, notamment ceux qui ont ouvert un Livret A à la Poste. »

Quelles opérations avec un simple Livret A ?

En effet, les ménages n’ayant pas de compte courant peuvent effectuer quelques opérations bancaires avec leur Livret A, si celui-ci est détenu à la Banque Postale. Pourquoi ? Dans le cadre de sa mission d’accessibilité bancaire, l’enseigne permet l’ouverture d’un Livret A à toute personne physique, sans autre condition de déposer et maintenir sur le livret la somme de 1,50 euro. La filiale de la Poste accepte aussi tout retrait, en bureau de poste et donc sans carte, de 1,50 euro ou plus. Pour plus de facilité et de fluidité aux guichets, elle peut fournir une carte de retrait – gratuitement – associée à ce livret.

La mission confiée à la Banque Postale va plus loin en l’obligeant à accepter le virement des prestations sociales des collectivités publiques ou organismes de sécurité sociale directement sur le Livret A, ainsi que le prélèvement de l’impôt sur le revenu, de la taxe d’habitation, ou encore des quittances d’eau et d’énergie. Dans les autres établissements, le montant minimum des dépôts et retraits est de 10 euros, et ces banques ne sont pas tenues d’accepter les virements et prélèvements.

Lire aussi : Livret A : la mission de la Banque Postale remise en cause ?

Beaucoup de livrets concernés à la Banque Postale

Le phénomène des Livrets A utilisés comme des comptes courants, est-il si répandu en France ? « Le nombre de Livrets A de faible montant et présentant un nombre important de mouvements serait de l’ordre de 2,5 millions à la Banque Postale », lit-on dans le rapport 2015 de l’bservatoire. Ce qui n'est pas négligeable. Difficile, toutefois, de connaître le nombre de Livrets A qui « remplacent » un compte courant, à la Poste comme dans les autres banques d'ailleurs. Dans son rapport 2014, l’Observatoire de l’inclusion bancaire évoquait ces « livrets de petit montant » utilisés « comme comptes à vue de substitution », sans se risquer à les dénombrer. Mais ce rapport soulignait que « 20% des retraits » réalisés sur ces livrets étaient « effectués en numéraire », « ce qui suggère une utilisation accrue du livret comme outil de gestion, y compris de protection contre le vol de la monnaie fiduciaire détenue (billets, pièces) lorsque les montants sont faibles ».

Le Crédoc s’était, lui aussi, intéressé au même phénomène en 2010 (3). Le rapport était venu nuancer le propos, en soulignant le faible nombre de ménages possédant un Livret A sans détenir un compte courant : « 5% des ménages pauvres ayant un compte de Livret A déclarent verser leurs revenus réguliers sur leur livret et non sur leur compte de dépôt », soulignait l'institut d'études économiques. Avant de préciser : « 42% possèdent une carte de retrait associée à ce livret. » Pour résumer, le Livret A « compte courant » existe mais, même utilisé comme tel, il est le plus souvent le complément d'un compte-chèques.

Des intérêts calculés par quinzaine

Sur un Livret A, les intérêts sont calculés par quinzaine. Ainsi, l’alimenter de 100 euros en début de mois pour retirer la même somme dix jours plus tard ne génère aucun intérêt, ce qui devrait dissuader de multiplier les mouvements. Toutefois, pour les personnes utilisant le Livret A comme un compte courant, « la rémunération est évidemment marginale, quel que soit le taux », comme le souligne Jacques Fournier, de la Banque de France, puisque le montant de l’épargne est faible.

(1) Les Livrets A « inactifs » sont dans l’immense majorité recensés dans les « réseaux historiques », c’est-à-dire ceux qui en commercialisaient avant 2009 (Caisse d’Epargne, la Poste).

(2) Le taux de rotation « correspond au nombre de fois où le solde se renouvelle dans l’année », explique l’OER.

(3) « Les conditions d’accès aux services bancaires des ménages vivant sous le seuil de pauvreté », rapport du Crédoc pour le Comité consultatif du secteur financier (CCSF), en février 2010.