Près de deux ans après son lancement aux Etats-Unis, Apple Pay va débarquer cet été en France, tandis que Paylib, le portefeuille électronique développé par cinq banques françaises, va proposer le paiement mobile dès la fin 2016. Revue des forces en présence.

A ma droite, l’Américain Apple Pay, deux ans d’âge en octobre prochain, champion du monde du paiement mobile avec plusieurs dizaines de millions d’usagers dans le monde (1). A ma gauche, Paylib, l’outsider français lancé en septembre 2013, environ 500.000 usagers actuellement. Sur le papier, le combat apparaît déséquilibré. Son issue, toutefois, est plus incertaine qu’il n’y paraît.

Apple Pay, le favori

Marque la plus puissante au monde, Apple bénéficie partout où elle passe d’une force de frappe marketing sans équivalent et de l’enthousiasme de ses clients, souvent les premiers laudateurs de « la » Pomme. Cela s’est encore vérifié avec Apple Pay, qui a donné le la du paiement mobile partout où le service a été lancé : aux Etats-Unis d’abord, puis en Chine, en Grande-Bretagne, en Australie et au Canada, entre autres.

La France va-t-elle succomber à son tour ? Le service est en tout cas très attendu, si on en croit la couverture médiatique qui a suivi l’annonce de son arrivée dans l’Hexagone, y compris sur cBanque. Pour autant, plusieurs obstacles se dressent sur son chemin. Le premier, c’est la part de marché relativement faible de l’iPhone. Vendu au minimum 489 euros neuf, il ne représente que 20% environ des ventes de smartphones, les Français lui préférant les modèles du concurrent Samsung, moins chers. Sachant, par ailleurs, que seuls les trois dernières versions de l’iPhone (6, 6S et SE) sont compatibles avec Apple Pay, le nombre de consommateurs ayant potentiellement accès au service s'avère donc limité.

L’autre obstacle, ce sont les banques françaises. Depuis la création en 1984 du groupement d'intérêt économique des cartes bancaires CB, dont elles sont actionnaires, elles ont pris l’habitude de collaborer dans le secteur des paiements. Une démarche qui a ses avantages - les cartes bancaires françaises, co-badgées, sont acceptées partout, y compris à l’étranger - mais aussi ses inconvénients - une certaine résistance au changement. L’enjeu est également économique : Apple Pay prélève en effet une commission - 0,15% du montant payé aux Etats-Unis - à chaque paiement, ce qui vient réduire d’autant le gain pour la banque du client.

Résultat : dans l’immédiat, seule deux enseignes ont annoncé qu’elles proposeraient Apple Pay dès cet été : Carrefour Banque et Banque Populaire-Caisse d’Epargne (BPCE). HSBC France devrait suivre rapidement. Toutes ont un point commun : elles ne sont pas partie prenante du projet Paylib.

Paylib, l’outsider

Paylib, c’est la réponse du groupement des cartes bancaires CB à l’évolution des usages de paiements à l’ère du e-commerce et du mobile. Lancé il y a près de 3 ans par BNP Paribas, la Société Générale et la Banque Postale, le portefeuille électronique (ou wallet dans le langage de la high-tech) a reçu depuis le renfort du Crédit Agricole et du Crédit Mutuel Arkéa. Son marché potentiel est donc bien supérieur à celui d’Apple Pay : 2 Français sur 3 sont clients de ces marques, soit 40 millions de porteurs de cartes.

Toutefois, Paylib va devoir se faire connaître. Le service reste dans l’immédiat cantonné au paiement d’achats en ligne et n’a convaincu, selon un communiqué diffusé fin mai, qu’un peu « plus d’un demi-million de consommateurs », dont on aimerait savoir combien l’utilisent réellement. Certes, il va passer la surmultipliée dans les mois à venir, avec le lancement d’une offre de paiement sur mobile, promise pour la fin 2016, puis du paiement entre particuliers, fin 2017. Mais le timing lui semble défavorable.

Dans d'autres pays, des solutions nationales (Twint en Suisse, Swish en Suède notamment) ont été plus véloces et ont su s'emparer du marché, alors même que l'ogre Apple Pay n'est pas encore arrivé. Ce ne sera pas le cas de Paylib, qui débarquera donc six mois après la Pomme. Trop tard ? Cela dépendra de la réaction des consommateurs français qui, en s’emparant d’un service plutôt que d'un autre, décideront de l’issue du combat.

Les autres prétendants

Et puis, Apple Pay et Paylib ne sont pas les seuls en lice. Un service de paiement mobile a déjà été déployé en France, en octobre dernier, et revendique environ 100.000 utilisateurs : il s’agit d’Orange Cash, lancé par l’opérateur mobile national n°1. Un peu à la surprise générale, ce dernier a toutefois porté allégeance à Apple Pay, qui sera intégré à Orange Cash avant la fin de l’année 2016.

Outre BPCE, une autre grande enseigne de banque de détail n’a pas souhaité intégrer Paylib : le Crédit Mutuel-CIC, qui a fait le choix de développer son propre service de paiement mobile, Fivory. Ce dernier vient de recevoir le renfort du groupe Auchan et de sa filiale bancaire, Banque Accord, et sera prochainement disponible dans les hypermarchés de la marque. Cela suffira-t-il à l’imposer ? Rien n’est moins sûr.

Enfin, Apple n’est pas le seul géant high-tech à s’intéresser au paiement mobile. C’est également le cas de Samsung et de Google, ses deux principaux concurrents sur le marché des smartphones et des services numériques. Le premier a lancé l’an passé Samsung Pay, déjà disponible en Corée du Sud, aux Etats-Unis, en Chine et en Espagne. Le second peaufine actuellement Android Pay, déjà présent aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et à Singapour. La guerre des wallets ne fait donc que commencer.

(1) Apple ne communique pas de chiffres précis sur le nombre d’usagers du service. Lors du lancement en Chine, en février 2016, 30 millions de cartes bancaires avaient été enregistrées en 24 heures.