Les gestionnaires d’assurance-vie font petit à petit évoluer la composition de leurs fonds euros. Objectif : limiter la baisse de rendement et, surtout, éviter des actifs trop pénalisants pour les années à venir. Résultat : l’équation « assurance-vie égal emprunts d’Etat » appartient au passé. Cyrille Chartier-Kastler, fondateur de Good value for money, explique pourquoi.

Cyrille Chartier-Kastler, vous venez de publier une analyse de la composition financière des fonds en euros sur votre site Good value for money. Fin 2015, les fonds euros classiques restent investis à plus de 82% en obligations, mais celles-ci sont de plus en plus privées et non plus émises par des Etats…

Cyrille Chartier-Kastler : « Nous constatons des évolutions, progressives, dans la composition des fonds euros. Deux éléments expliquent ces orientations : l’entrée en vigueur de Solvabilité II [normes visant à garantir la solidité financière des assureurs, NDLR] au 1er janvier 2016 et la baisse des taux obligataires. Les obligations souveraines, en particulier, deviennent très chères : aujourd’hui, pour les assureurs, investir dans les emprunts d’Etat, c’est faire entrer des pertes dans l’actif général. »

Les assureurs limitent les obligations souveraines, dans les fonds en euros, pour éviter de perdre de l’argent ?

C.C-K. : « D’après nos calculs, pour qu’un assureur-vie évite les pertes, il doit pouvoir acheter des actifs rapportant 1,20% ou 1,50% au minimum. Or les OAT [obligations assimilables au Trésor français, NDLR] à 10 ans sont actuellement sous les 0,60%. Et les obligations souveraines allemandes, à 10 ans, sont négatives ! Avec ce type de taux, l’assureur ne peut pas tenir ses engagements : la garantie en capital pour les assurés, sa marge de solvabilité, les dividendes à verser aux actionnaires, etc. »

Les obligations privées, ou « corporate », affichent des rendements plus élevés ?

C.C-K. : « Le taux dépend de la notation de l’entreprise : pour aller chercher du rendement, il faut se diriger vers les sociétés dotées d’un triple B ou BBB+, plutôt que A. Ces sociétés sont certes moins bien notées que les Etats, mais le risque ne s’avère pas nécessairement plus important. Les agences de notation jugent plutôt durement certaines entreprises par rapport aux Etats. Donc, les assureurs-vie peuvent obtenir des rendements de 1,50% ou 2% avec des obligations corporate sans prendre de risque inconsidéré. »

Pour résumer, les assureurs-vie s’assoient, en partie, sur leur ratio de solvabilité afin de chercher un meilleur rendement futur pour leur fonds en euros ?

C.C-K. : « Tout à fait. Solvabilté II pénalise les obligations corporate vis-à-vis des emprunts d’Etat. Mais les assureurs peuvent jouer avec d’autres éléments pour garantir leur solvabilité. La provision pour participation aux bénéfices (PPB), censée lisser les rendements dans le temps, leur permet avant tout de soigner leur solvabilité afin de diversifier les investissements de leurs fonds en euros. Chez les principaux assureurs français, la réserve atteint désormais environ 2,40% des encours de l’assurance-vie en euros [contre 1,41% fin 2012, NDLR] : cela leur permet de prendre plus de risques : obligations corporate, immobilier, etc. »

Du point de vue de l’épargnant, cette évolution est donc plutôt positive…

C.C-K. : « En effet. »

Et cela va s’amplifier ?

C.C-K. : « Oui car les assureurs n’achètent plus de titres souverains. En revanche, ils conservent les obligations souveraines achetées voici plusieurs années, qui restent rémunératrices. La part des emprunts d’Etat s’amenuise progressivement dans les fonds en euros, au fur et à mesure que les assureurs achètent de nouvelles obligations d’entreprise. »

L’idée répandue selon laquelle « l’assurance-vie, c’est la dette des Etats » serait donc à ranger aux oubliettes ?

C.C-K. : « La dette souveraine constitue un tiers des obligations présentes sur les fonds en euros, soit environ 28% de l’ensemble de ces fonds euros. Or, voici quelques années, nous étions proches de la moitié. »

Peut-on avoir une idée des entreprises qui se cachent derrière ces obligations « corporate » ?

C.C-K. : « Difficilement. Certains assureurs détaillent ces informations, d’autres pas. Ce sont des sociétés notées de BBB à A+ : donc d’importantes sociétés industrielles, des organismes financiers, etc. »

Est-ce le seul moyen d’amortir la baisse de rémunération des fonds en euros ?

C.C-K. : « Les assureurs assument de plus en plus la limitation des flux entrants sur les fonds en euros. Notamment en créant de nouvelles conditions, en poussant vers les supports en unités de compte, etc. Ils demandent un droit d’entrée, car les fonds euros deviennent une denrée rare ! Une compagnie qui freine ainsi la collecte de son fonds en euros sera plus en capacité de préserver ses rendements qu’une compagnie qui engrange d’importantes collectes chaque année. Cette dernière risque en effet de diluer ses actifs en achetant des titres peu rémunérateurs. »

Votre étude montre aussi que les fonds euros « dynamiques » (1), souvent accessibles sous conditions, sont investis à 19% en actions, mais surtout à 28% en immobilier contre 22% fin 2014. Sont-ils réellement « dynamiques » ?

C.C-K. : « Pour moi, avec les fonds dynamiques, nous arrivons à la limite du fonds en euros. Ces fonds disposant d’une importante poche d’actions doivent être pilotés comme le lait sur le feu ! En cas de chute sur les marchés financiers, le gestionnaire doit tout de même assurer au moins du 0%, à cause de la garantie en capital. D’où la volatilité, dans les rendements, de ces fonds diversifiés. Dans le contexte actuel, 18% à 20% d’actions dans un fonds en euros, je trouve cela suffisamment audacieux. »

(1) S’entendent par fonds dynamiques les fonds euros à l’allocation diversifiée comme Suravenir Opportunités, Eurocit’ chez AG2R la Mondiale, ou NéoEuro Garanti chez Spirica. Dans l’analyse de Good value for money, ils sont classés séparément des « fonds euros immobiliers ».