Professeure de marketing à l’IPAG Business School, Ilaria Dalla Pozza a dirigé une large étude sur l’évolution de la relation entre les banques et leurs clients à l’heure du numérique. Elle nous explique comment les enseignes sont contraintes de reconstruire une nouvelle forme de proximité avec leurs clients.

Ilaria Dalla Pozza, quelle forme va prendre la « digitalisation » de la relation clients dans les banques de détail, et pourquoi est-elle devenue incontournable ?

Ilaria Dalla Pozza : « Les données parlent d’elles-mêmes : la fréquentation des agences est en baisse. La génération Y [les moins de 35 ans, NDLR], qui représente la clientèle majoritaire du futur, n'aime pas perdre son temps à se déplacer en agence, dont les horaires sont rarement adaptés. Toutefois, notre étude montre que le besoin d'avoir un interlocuteur privilégié, de confiance, qui nous connaît et connaît notre histoire, reste central. La génération Y, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n'utilise pas les réseaux sociaux pour se renseigner sur les produits de bancassurance, considérés comme complexes et anxiogène. Toutefois, elle reste accro au numérique. Donc, même si le contact humain reste capital, il sera réalisé avec des modalités très différentes de celles d’aujourd'hui. »

Vous incitez donc les banques à inventer une nouvelle forme de proximité avec leurs clients…

I.D.P : « En effet. Si le numérique n'a pas modifié le besoin de contact humain, il a changé le concept de proximité, qui est à repenser entièrement. La proximité ne sera plus simplement physique, mais aussi construite avec les nouveaux outils, comme le tchat ou la vidéoconférence, par exemple. La relation client-conseiller se fera de plus en plus à distance mais avec l'enjeu de reconstruire la même empathie que celle ressentie lors d’un contact physique. Nos recherches aujourd’hui se focalisent sur ce point : la redéfinition du concept de proximité à l’époque du digital, dans le cadre d’une relation à distance. Cette digitalisation du contact humain est incontournable car les clients du futur la demandent ! »

Quelle place vont prendre, selon vous, les banques 100% en ligne, quasi-gratuites, tournées vers le mobile et les services innovants ?

I.D.P. : « Les banques en ligne ont d’énormes possibilités devant elles. Aujourd'hui, elles souffrent encore d’offres plus limitées, ce qui oblige les clients à faire affaire avec plusieurs enseignes à la fois. Mais leurs business modèles sont dynamiques et en évolution, et elles viennent de plus en plus souvent concurrencer les banques traditionnelles sur certains produits - le crédit immobilier notamment - et certains segments de clientèles - les professionnels par exemple. L’enjeu désormais est de parvenir à recréer une proximité avec les clients. Plus ces nouveaux acteurs pourront concilier création de confiance, réduction de l'effort client, proximité et offre élargie, plus ils seront capables de renforcer la relation avec les clients, même sans la présence d'un lieu physique. »

Que vous inspire l'émergence de ce qu'on pourrait appeler les « néo-banques », dont le représentant le plus marquant en France est Compte-Nickel ?

I.D.P. : « La pluralité d'offres est symptomatique du dynamisme d’un secteur qui est en pleine rupture, entre traditions et expérimentations. Elle correspond aussi à la nécessité de répondre aux besoins variés des consommateurs, ce qui est très pertinent d’un point de vue marketing. Compte-Nickel en est une remarquable illustration. Son succès nous a fait comprendre que l'innovation peut aussi venir d'un bureau de tabac, à condition d'être proche des besoins des consommateurs et de leurs attentes. Au final, les gagnants seront ceux qui répondront le mieux à ces attentes, qui sauront reproduire le concept de proximité le plus proche de leur cible, donner confiance, offrir simplicité et facilité de contact, réduire l'effort du client tout en privilégiant la qualité. »