Du point de vue des particuliers, le crowdlending, c’est la promesse de rendements extrêmement élevés. Du point de vue des entreprises, ces prêts participatifs représentent un coût de financement tout aussi élevé ! De 4% à 10% selon les projets. Pourquoi les entreprises acceptent-elles de se financer si chèrement ? Faut-il s’en inquiéter ? Réponse des plateformes et, surtout, de PME ayant emprunté.

Pour les particuliers investisseurs, les taux sont alléchants : 8,50% pour faire crédit à un centre d’ophtalmologie à Tournon sur Lendopolis, 8,10% pour prêter à Locatou sur Credit.fr, ou encore 8% en moyenne pour financer le réseau de carrossiers Axial sur Unilend, pour ne citer que des projets en cours. Une rémunération élevée, contrepartie du risque encouru par les prêteurs, qui savent qu’ils ne sont pas à l’abri d’un défaut de remboursement.

Il n’empêche. Du point de vue de la PME emprunteuse, ces taux interloquent : la Banque de France estime à 2,16% le taux moyen de crédit aux entreprises en décembre 2015 (1). Cette moyenne cache bien évidemment d’importantes disparités, mais comment expliquer un tel écart avec les plateformes de crowdlending ?

« Rien de comparable avec du crédit bancaire »

La parole à ceux qui rendent possible ces prêts de particuliers à entreprises, les plateformes de crowdlending : « Rien de comparable avec du crédit bancaire ! », coupe d’emblée Nicolas Lesur, fondateur d’Unilend. « Ce n’est pas la même typologie d’emprunt : les banques ne financent pas de l’immatériel sur 36 mois ! Nos taux sont plus à comparer avec ceux du marché du leasing [aussi appelé crédit-bail, NDLR]. »

Olivier Goy, président de Lendix : « Les entreprises acceptent un taux plus élevé si elles peuvent disposer de l’argent rapidement, plutôt que d’attendre 3 mois pour avoir les fonds auprès d’une banque. » Et le fondateur de Lendix d’insister sur la complémentarité des professions : « On ne remplacera pas les banques. Nous fonctionnons sans caution, sans garantie, alors qu’elles partent avec ceintures et bretelles. Nous faisons du gris : du prêt rapide, à court terme. »

5àSec : « 5,5%, oui c’est un taux d’intérêt élevé »

Qu’en disent les entreprises ayant emprunté sur ces plateformes ? Premier constat : alors que les fondateurs de plateformes se montrent toujours volontaires pour communiquer, il s’avère plus difficile d’obtenir une réponse rapide de la part des emprunteurs. Certaines entreprises acceptent tout de même d’évoquer le sujet. C’est le cas de 5àSec, société aux 85 millions d’euros de chiffre d’affaires, aux 300 magasins en succursales, pour près de 2.000 magasins (franchises comprises) affichant l’enseigne dans le monde.

Un profil d’entreprise obtenant aisément un crédit bancaire ? « La société est passée par une restructuration, afin de nous désendetter : les résultats 2014 faisaient apparaître un fort endettement, ce qui n’est plus le cas dorénavant », explique le président de 5àSec, Nicolas Boucault, qui a sélectionné Lendix par « connaissance » du fondateur (2). « Or les banques réclament des résultats positifs sur une plus longue période pour emprunter : elles établissent leur jugement sur deux bilans, le deuxième est satisfaisant, pas le premier. »

Une opération de communication

Malgré cela, 5àSec affirme posséder d’autres sources de financement. Or, à l’automne dernier, cette société a emprunté 200.000 euros à 5,5% sur Lendix pour « financer une partie de la rénovation et de la nouvelle identité visuelle » de 20 succursales en France. « Oui, c’est un taux d’intérêt élevé », reconnaît Nicolas Boucault. « C’est le prix que j’étais prêt à payer pour diversifier notre financement, pour la rapide disponibilité des fonds. » Il affirme par ailleurs que cette collecte a « des effets collatéraux » positifs : « Il y a eu des articles dans la presse quotidienne économique : or le lectorat des Echos [représente] notre clientèle la plus consommatrice. »

L’argument « opération communication » est repris par Valorem. Ce « producteur d’énergies vertes » affiche un profil de PME pouvant aisément accéder au crédit bancaire, avec un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines de millions d’euros, en augmentation. Mais Valorem a déjà réalisé trois campagnes sur Lendosphère pour financer des parcs éoliens : deux collectes de 110.000 euros, et une de 750.000 euros, à 5%. « Cela permet d’intéresser un nouveau public à l’éolien », plaide Claudio Rumolino, chargé de mission éolien participatif chez Valorem, et notamment de sensibiliser les riverains. Ainsi comme à l’accoutumée sur Lendosphère, ces derniers profitent d’un taux bonifié.

Valorem : remplacer les fonds propres

Un taux d’intérêt de 5% ou plus, cela reste cher pour une simple opération de communication. Là encore, Claudio Rumolino évoque un financement complémentaire au crédit bancaire : « Un parc éolien coûte 10 à 30 millions d’euros », avec généralement 80% de dette bancaire et 20% de fonds propres. Or l’argent collecté par le crowdlending, rapidement disponible, peut être utilisé comme des fonds propres.

Pour le projet de 750.000 euros, qui concernait un parc existant, Valorem a utilisé la collecte dans le cadre d’un « jeu d'écritures comptables » pour libérer des fonds propres immobilisés depuis plusieurs années. Pour deux autres collectes, le prêt participatif a permis de financer les études préalables à l’implantation des parcs, car « les banques ne financent pas ces travaux préalables », précise Claudio Rumolino.

Des entreprises boudées par les banques

Si, à l’image de 5àSec et Valorem, de nombreuses sociétés font appel au crowdlending en complément d’un financement bancaire classique, d’autres le font par dépit. La société familiale Sagil, qui possède une boutique de luxe (joaillerie, art de la table, etc.) rue de Rivoli à Paris, peut revendiquer ancienneté (création en 1938) et chiffre d’affaires élevé (9 millions d’euros). Mais la société affiche un endettement de plus de 2 millions d’euros et un « dépassement de découvert » l’a empêché d’avoir accès au crédit bancaire selon Albert Ohayon, co-dirigeant de Sagil, qui souligne la frilosité des banques. La société a donc emprunté 200.000 euros fin 2015 sur Unilend pour « optimiser son cycle d’exploitation » et « couvrir le délai de paiement » de certains clients. A 9,2% ! Un taux qu’Albert Ohayon reconnaît comme « élevé » mais il n’avait « pas le choix ».

Les rendements élevés peuvent ainsi cacher des motivations différentes. Si les plateformes revendiquent une sélection drastique des dossiers, la documentation mise à disposition des prêteurs doit les guider dans leur choix. Les principales plateformes livrent ainsi les derniers résultats de l’entreprise (ou une étude prévisionnelle), une analyse détaillée du projet voire parfois un petit texte expliquant « pourquoi cette entreprise va vous rembourser ». A l’investisseur de prêter en connaissance de cause.

(1) Pour les emprunts de moins d’un million d’euros des sociétés non financières.

(2) Dirigeant de Lendix, Olivier Goy est par ailleurs président du conseil de surveillance de 123Venture, société de gestion indirectement présente au capital de 5àSec, via Rive Private Investment.