Trois plateformes de crowdlending sont confrontées à des défauts de remboursement d’entreprises. Une situation difficile à vivre pour les investisseurs, mais inévitable pour un placement par nature risqué. Si ces défauts aboutiront souvent à des pertes sèches en capital, les professionnels veulent néanmoins rassurer les prêteurs. Rappelant la notion de risque et de nécessaire diversification, ils comptent aussi améliorer leur processus.

Fini le temps des rêves des rendements canon du crowdlending ? Après Unilend, plateforme pionnière qui a affronté 15 incidents (dont 7 PME au tribunal de commerce), Finsquare, et tout récemment Lendopolis, rencontrent les mêmes turbulences. « La situation se normalise » analyse Nicolas Lesur, fondateur d’Unilend. « Il ne faut pas rêver : personne ne peut promettre zéro défaut ! »

Continuer à y croire

« Certains prêteurs sont échaudés et préfèrent retirer leur argent », précise Mathieu George, dont le forum Crowdlending.fr accueille de nombreux témoignages amers. « Mais nous étions prévenus », nuance Marc, fonctionnaire de 41 ans, qui compte 5 défauts sur ses 50 prêts (15.000 euros d’encours). Plutôt que de tout abandonner, il va adapter sa stratégie : changement de plateforme, réduction des montants investis... « Beaucoup veulent continuent à y croire » estime Mathieu George. « Ils apprécient la démarche, investir dans l’économie réelle, dans un produit tangible. Malgré les risques. »

Un risque que martèlent les plateformes. « Vivre un premier défaut, c’est basculer dans l’âge de la maturité », explique Nicolas Lesur. « C’est inévitable, car les PME et TPE sont une population à risque. On ne fait pas du crédit à taux élevé sans risquer de perdre de l’argent. » Vincent Ricordeau, fondateur de Lendopolis, confirme : « Notre pari, c’était aucun défaut la première année. Pari gagné, mais on a eu notre premier incident après un an et une semaine ! Cela nous ramène à la réalité : l’état d’esprit du crowdlending, c’est de proposer des taux d’intérêt élevés, mais ils induisent automatiquement un risque élevé. »

Peu de chances de récupérer sa mise

Que faire face à un défaut ? Deux situations se présentent. Si l’entreprise est encore viable, les plateformes sollicitent une société de recouvrement qui se charge de « harceler l’emprunteur ». Les prêteurs doivent prendre leur mal en patience. « Dès qu’une mensualité n’est pas remboursée, on entre dans une phase d’incertitude, à attendre des informations », regrette Marc. « Pour certains prêts, cela dure depuis plus d’un an ! Le système n’est pas très efficace… »

Une fois que la société est entre les mains du tribunal de commerce, il faut signaler sa créance. Les plateformes fournissent les documents préremplis à adresser au mandataire judiciaire. Certaines remboursent alors les premiers impayés (Finsquare) ou les frais postaux (Lendopolis). Mais au vu des montants prêtés (souvent inférieurs à 100 euros), la démarche peut sembler fastidieuse, alors qu’il y a peu d’espoir. « On considère en général que plus rien ne sera récupéré », souligne Nicolas Lesur. D’ailleurs, chez Unilend, aucun prêt en défaut de longue durée n’a abouti à un remboursement.

« Il vaut mieux partir du principe qu’en cas de défaut, on ne récupèrera rien », appuie Vincent Ricordeau. « C’est pour cela que la déductibilité des pertes à partir de 2016 est très intéressante. » L’amendement à la loi de finances, voté en décembre, doit permettre aux prêteurs de déduire leurs pertes en capitaux des intérêts versés, dans leur déclaration fiscale. « Cela rendra le crowdlending plus attractif », estime-t-on chez Lendopolis.

Investissez dans l'immobilier dès 1 000 €. Notre palmarès des meilleures SCPI

Être mieux diversifié et plus exigeant

Les plateformes appellent les investisseurs au pragmatisme. « Il faut absolument diversifier son investissement », lance Nicolas Lesur. « C’est un peu à l’encontre de l’esprit ''prêt coup de cœur'', mais mieux vaut prêter la même somme à un maximum de projets. Le risque est alors lissé. Ne choisir que quelques entreprises, c’est un peu la loterie ! » Et même si Unilend confirme aujourd’hui le chiffre de 6% d’entreprises en défaut, la plateforme assure qu’un investissement diversifié « dépassera les 6% de rendement ». « C’est un exercice de diversification obligatoire », complète Vincent Ricordeau, qui cible à terme 2 à 3% de taux de défaut maximum. « Il faut diviser son objectif d’investissement par autant de projets que propose Lendopolis. Puis réinvestir ses mensualités pour baisser la ligne du risque, et augmenter la ligne du rendement. »

Mathieu George recommande en plus de s’appuyer sur la communauté. « De plus en plus de prêteurs, notamment anciens banquiers, analysent les dossiers présentés. » Marc confirme avoir « renoncé à financer des projets » après avoir lu les forums !

De leur côté, les plateformes promettent que l’expérience des défauts permet d’affiner le « curseur du risque », éliminant déjà plus de 98% des dossiers. Nicolas Lesur assure qu’après deux ans, et 15 incidents, l’entreprise a « beaucoup évolué » dans son analyse. « Il y a sans doute des projets en défaut qui seraient maintenant éliminés. » Et même si des PME solides ne sont pas à l’abri d’aléas, la proportion de défauts pourrait baisser avec le temps. L’anglais Funding Circle, référence mondiale du crowdlending, est ainsi passé de 5% de défauts les premières années à moins de 2% maintenant.

La communication, le prochain chantier

Lendopolis souligne un autre combat : l’information jusqu’à la dernière mensualité. Car si Vincent Ricordeau juge « satisfaisante » l’information sur l'entreprise et son projet au moment de la collecte, il pointe une grande « faiblesse du crowdlending » : « nous sommes mauvais dans le suivi du projet pendant toute la période de remboursement. Il faudrait rendre obligatoire un point d’étape mensuel, pour confirmer que les projets avancent bien et avertir des difficultés éventuelles d’une entreprise. Toutes les plateformes devraient s’y atteler, pour rassurer les prêteurs. Cela améliorerait le niveau de transparence de nos plateformes et des opérations financières qu'elles portent. » Pour mieux faire passer la pilule des impayés ?