Depuis un an, les particuliers peuvent octroyer des crédits aux entreprises. Dans le tout récent cadre réglementaire du crowdfunding, le document à signer est un contrat de prêt. Mais certaines plateformes utilisent un support vieux de près de 80 ans, tombé en désuétude : le bon de caisse. Ce dernier permet d’ailleurs d’échapper au cadre réglementaire, notamment sur la protection de l'investisseur-prêteur. Une situation étonnante à laquelle le gouvernement compte remédier avant mai 2016.

Depuis le 1er octobre 2014, le France dispose d’un cadre pour le financement participatif. Parmi les grandes nouveautés : la possibilité, pour les particuliers, de prêter aux entreprises, dans la limite de 1.000 euros par prêteur et par projet. La réglementation prévoit un statut particulier pour les plateformes proposant aux particuliers de prêter aux PME : intermédiaire en financement participatif (IFP). La création de ce statut a permis le lancement de plusieurs dizaines de plateformes de crowdlending.

Pourtant, près d’un an avant cette entrée en vigueur, le 18 novembre 2013, Unilend se lançait en clamant que « tout le monde peut prêter son argent directement aux entreprises françaises ». Comment cette plateforme a-t-elle pu précéder le cadre réglementaire ? En n'utilisant pas le contrat de prêt, comme les IFP aujourd’hui, mais le bon de caisse, titre de créance créé dès 1937.

Bon de caisse : « un ticket de métro »

Le bon de caisse « ne réclame aucun formalisme » comme le signale l’avocat Hubert de Vauplane : il s'agit d'une simple reconnaissance de dette qui « pourrait quasiment tenir sur un ticket de métro ! » En simplifiant, « il suffit d’y écrire ''Je dois tant à telle personne'' ». Plus précisément, dans le code monétaire et financier (1), les obligations relatives aux bons de caisse se comptent effectivement sur les doigts d’une main :

  • L’émission de bon de caisse, c’est-à-dire le fait d’emprunter par ce biais, est interdite aux particuliers, aux « sociétés qui n’ont pas établi le bilan de leur 3e exercice commercial », et aux « sociétés de financement » ;
  • Sur le bon doivent figurer les mentions d’immatriculation et d’identification de la société emprunteuse ;
  • Le bon ne peut être souscrit « à plus de cinq années d’échéances » ;
  • Le titre reproduit le dernier bilan de la société emprunteuse, « certifié sincère » par le dirigeant. En cas de « bilan inexact et faussement certifié sincère » s’appliquent les sanctions pénales définies pour un cas d’escroquerie.
De plus en plus de plateformes utilisent le bon de caisse

Depuis novembre 2013 et la création d’Unilend, d’autres plateformes ont suivi : Bolden, pourtant immatriculé IFP, utilise ce procédé ; Credit.fr, là encore IFP, a annoncé courant septembre se lancer sur ce terrain. Prêt à la carte, pas encore immatriculé IFP (2), est déjà opérationnel et s’appuie sur le bon de caisse.

Unilend, qui n’est pas immatriculé IFP, tire deux grands avantages de ce support : « Le système des bons de caisse nous permet d’intégrer des institutionnels parmi les prêteurs et de ne pas être soumis aux plafonds », précise Nicolas Lesur. Prêt à la carte a ainsi choisi le bon de caisse pour contourner le plafond de 1.000 euros par prêteur et par projet : « Notre credo, c’est la protection du capital prêté, grâce à des assurances spécifiques [garanties décès du dirigeant, invalidité et faillite, NDLR]. Si le capital est garanti, on peut mettre plus sur des sociétés en lesquelles on croit vraiment », justifie Adrien Regnault, le directeur marketing du site.

Un véhicule plus souple que le contrat de prêt

L’autre avantage du bon de caisse, c’est l’absence de formalisme. « Juridiquement, rien ne nous oblige à inscrire le taux d’intérêt et l’échéancier des remboursements sur le bon de caisse », confirme Nicolas Lesur, fondateur d’Unilend. Dans les faits, sa plateforme enrichit le bon en y ajoutant les caractéristiques du prêt avec échéancier mensuel et intérêts convenus, mais les autres sites optant pour ce support pourraient faire différemment.

Plus souple, ce système n’est pas pour autant plus risqué pour le prêteur-investisseur, du moins « d’un point de vue juridique » comme le confirme Hubert de Vauplane. Nicolas Lesur abonde en ce sens : « Y figure, parmi les mentions obligatoires, le dernier bilan certifié sincère par le dirigeant de l’entreprise emprunteuse. C’est un document qui l’engage juridiquement. Donc j’estime que c’est une protection supplémentaire pour le prêteur. »

Une ordonnance attendue pour 2016

Il n’empêche. Ce système « hors cadre » a survécu à la mise en place, il y a un an, du cadre réglementaire et s’est même développé. Une situation surprenante que le gouvernement veut aujourd’hui réguler. Il a ainsi intégré dans la loi Macron la possibilité d’agir par voie d’ordonnance pour « renforcer la protection des souscripteurs et préciser les obligations des émetteurs de bons de caisse » et pour permettre « l’intermédiation de bons de caisse » dans le cadre du crowdfunding. L’ordonnance doit être publiée dans les neuf mois suivant la promulgation de la loi Macron, donc d'ici le mois de mai 2016.

« Nous attendons plutôt l’ordonnance en 2016 », ajoute Nicolas Lesur, « même si le politique voudra probablement aller plus vite. » Que va changer ce texte ? « On n’en sait rien ! », répond le fondateur d’Unilend. « Rien ne filtre », confirme Hubert de Vauplane. Mais l’un comme l’autre ont leur idée. « Mon intuition, c’est que l’on va se rapprocher des obligations de l’equity crowdfunding [financement participatif en fonds propres, NDLR], en ajoutant un document d’informations clés à lier au bon de caisse, comme un produit financier », estime l’avocat. « L’objectif étant de fournir des critères de comparabilité, pour que l’épargnant puisse choisir. » L'ordonnance pourrait aussi ajouter des mentions obligatoires dans le bon de caisse.

Quel régulateur pour le bon de caisse, AMF ou ACPR ?

Le point d'achoppement des négociations semble surtout être le statut des plateformes utilisant le bon de caisse. Nicolas Lesur, patron d'Unilend mais aussi président de l’association professionnelle Financement participatif France, voit « trois options » envisageables : « La plus vraisemblable : intégrer l’intermédiation de bons de caisse dans le cadre de l’IFP. Autre possibilité, moins probable puisqu’elle entraînerait des complications : l’intégrer au statut CIP [celui réglementant les plateformes d’investissement en capital, NDLR]. Dernière option : créer un troisième statut. » Derrière l’hésitation entre les statuts IFP et CIP (conseiller en investissements participatifs), un autre match se joue : le statut IFP est régulé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le statut CIP par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Or l’AMF oblige déjà les plateformes CIP à informer les investisseurs des risques avant toute souscription, ce que n’a pas encore fait l’ACPR.

Dans tous les cas, l’ordonnance va raccrocher l’intermédiation de bons de caisse à un statut encadré. Une nécessité pour Olivier Goy, fondateur de Lendix, plateforme IFP et actuel n°2 du marché, derrière Unilend : « Il faut clarifier ce point, car aujourd’hui il n’y a pas de cadre pour les bons de caisse. » Et ce challenger de pointer un atout du statut d’IFP : « Nous avons accès au Fiben [fichier bancaire des entreprises, NDLR] de la Banque de France. Cela nous permet d’avoir accès à l’historique des crédits et incidents de crédit des entreprises. »

D’autres possibilités pour le prêt interentreprises

Comme Unilend, Lendix propose déjà à des institutionnels de prêter aux côtés des particuliers. Si Unilend le fait par le biais du bon de caisse, Lendix a pour sa part créé un fonds commun de titrisation : les institutionnels (la Banque Wormser Frères, des family offices, mutuelles, etc.) en prennent des parts, sans plafond. Lendix intervient ainsi en tant qu’intermédiaire entre entreprises grâce au statut d’IOBSP (3) que la plateforme a obtenu en plus de celui d’IFP. Ce qui n’empêche pas Olivier Goy de suivre avec attention les tractations en cours : « Nous sommes pragmatiques : si demain le cadre réglementaire du bon de caisse nous semble intéressant, nous irons. »

(1) S’y rapportent les articles L223-1 à L223-4 ainsi que le L232-1.

(2) La demande d'immatriculation de Prêt à la carte est en cours. Cette plateforme compte ainsi prêter à des sociétés n’ayant pas trois bilans, ce que permet le statut IFP : elle utilisera ainsi le contrat de prêt pour les sociétés n'ayant pas trois bilans, et le bon de caisse pour les autres.

(3) Intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP), statut notamment utilisé par les courtiers en crédits.