Le courtage en crédit immobilier se développe. En tout cas, les nombreuses enseignes de courtage communiquent largement sur cette montée en puissance. Et les banques ? Comment analysent-elles ce phénomène ? Pourquoi et comment les établissements bancaires travaillent-ils avec ces intermédiaires en opérations de banque ?

« De 2006 à 2014, notre part dans l’intermédiation des crédits immobiliers est passée de 16% à 30% », explique Pascal Beuvelet, président du groupe In&Fi Crédits en introduction d’un billet sur les « bonnes raisons pour devenir courtier en crédits », histoire de convaincre d’éventuels candidats du potentiel de développement du secteur. « L’APIC, notre syndicat professionnel anticipe 50% des parts de marché dans les 3 ans. A terme, nous devrions atteindre les 60% ». Au point que selon de nombreuses enseignes, aujourd’hui, le principal facteur limitant cette « prise de pouvoir » sur le marché du crédit immobilier se situerait au niveau du recrutement de nouveaux courtiers ! Pour preuve, le fondateur du réseau VousFinancer.com qui s’émouvait récemment dans les colonnes du Figaro d’avoir « 80 postes à pourvoir et peu de candidats ». Même son de cloche chez Immoprêt, même si son patron, Ulrich Maurel, tempère quelque peu les pronostics sur le développement de la profession et l’étale plutôt sur une période de 10 ans.

Les courtiers ? Un « mal nécessaire » pour les banques

Quoiqu’il en soit, ce type de déclaration suscite de nombreuses questions : relèvent-elles d’une guerre de communication entre de nombreuses enseignes de courtage en pleine phase d’expansion ? Pourquoi le secteur bancaire abandonnerait-il une telle part du marché du crédit immobilier (tout au moins concernant sa commercialisation auprès des particuliers) ? Quel intérêt peuvent y trouver les banques ? Difficile d’obtenir des témoignages sur le sujet côté banques, la profession étant déjà peu disserte sur leur politique de distribution des crédits immobiliers. Car on parle de produits dont les conditions sont par définition fixées au cas par cas, en fonction de la situation particulière de chaque emprunteur, mais aussi utilisés en France comme un outil d’acquisition d’une clientèle captive à qui l’on pourra vendre ensuite d’autres services bancaires, de placement ou d’assurance.

« On peut dire que les courtiers sont devenus un mal nécessaire », lâche un cadre - sous couvert d'anonymat - en charge du dossier pour une grande enseigne bancaire, tout en confirmant la part de marché actuelle de ces intermédiaires aux alentours des 30%. « En matière de prospection immobilière, nous avons bien sûr plusieurs cordes à notre arc. Le courtage en est une », et pas la plus mince puisque ce responsable régional concède que certains conseillers s’avèrent déjà à son goût « trop dépendants des prescripteurs ». Les origines de ce « boom » du courtage selon lui ? Une grande « prudence » des réseaux bancaires sur le crédit immobilier dès les années 2006/2007, renforcée par la crise des subprime en 2009. La mise en place du statut des intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP) en 2012 a aussi joué un rôle prépondérant. « Elle a fait du bien au marché, en permettant de faire du « ménage » dans la profession », explique le responsable.

Partenaires ou concurrents ?

Pour autant, les banques ont-elles acté cette évolution vers un marché du crédit immobilier « à l’américaine », où les emprunteurs doivent quasi-obligatoirement en passer par un courtier ? Pas évident. « Au départ, notre relation avec les courtiers s’est instaurée sur la base d’un partenariat sur la prescription et l’accompagnement des clients dans la constitution de leur dossier. Ils sont ensuite venus sur la délégation d’assurance emprunteur, le regroupement de crédits… Au bout d’un moment nous pourrions considérer cela comme de la concurrence », glisse un banquier qui n’exclut pas une réaction de rejet si certaines limites (1) – en termes de parts de marché notamment - étaient dépassées. Encore faudrait-il alors que cette réaction soit unanime de la part des enseignes bancaires. Car pour elles, le recours au courtier offre un avantage majeur : outre l’économie de ressources humaines en interne pour gagner de nouveaux clients, le courtage constitue un flux de nouvelles affaires potentielles régulable à volonté, à l'image d'un véritable « robinet » pour la production de crédit. Des objectifs de production de crédit en hausse ? Il suffit d’aligner des barèmes de taux compétitifs et de commissionner ses partenaires en conséquence. A l’inverse, réduire ou fermer les vannes s’avère tout aussi simple…

Courtage de proximité ou de masse ?

A ce jour, en fait, les bouleversements ont plutôt lieu à l’intérieur même du petit monde des courtiers. « Les banques très attentives à la limitation de leurs risques et de leurs coûts d’exploitation réduisent drastiquement le nombre de leurs conventions avec les IOBSP », explique Pascal Beuvelet chez In&Fi Crédits. « Pragmatiques elles privilégient les accords commerciaux avec les enseignes qui leur apportent des volumes et qui, comme elles, appliquent strictement des protocoles sécuritaires et prudentiels. Conséquence directe, depuis janvier 2013, plus de 70% des partenariats ont été supprimés et la tendance se poursuit ». Bref, beaucoup prédisent la mort des courtiers indépendants, citant les banques comme les principales responsables de cette évolution. Le constat n’est certainement pas aussi manichéen : contacté, l’un de ces « petits » courtiers évoque aussi le « lobbying très poussé de grosses enseignes de courtage », usant des « gros volumes de dossiers » qu’elles représentent pour les banques comme d’un argument de poids. Certes, cet indépendant admet que sur ces deux dernières années, certains établissements bancaires « ferment leurs portes aux courtiers et notamment aux plus petits ». Tout en constatant que « certaines enseignes envisagent de revenir sur les courtiers locaux, privilégiant l’apport de dossiers plus ciblés et plus qualitatifs ».

Cette chasse aux courtiers « de proximité », Ulrich Maurel (Immoprêt) la déplore, même s’il appartient plutôt au camp des enseignes de courtage. Ce dernier y voit notamment la manifestation d’un besoin de normalisation des relations entre les banques et les courtiers. « La mise en place du statut d’IOBSP avait pour but de réglementer les relations entre les intermédiaires et les particuliers, » explique-t-il, en appelant de ses vœux une clarification des règles du jeu similaire entre les banques et les courtiers. Histoire de passer du rang de « mal nécessaire » à celui de véritable partenaire ?

(1) De l'aveu d'un professionnel du secteur, certains courtiers sollicitent leurs anciens clients pour leur proposer, à nouveau, un rachat de crédits par une autre banque.