Avec une rémunération totalement défiscalisée de 2% à 3% dans la plupart des banques, le Livret Jeune apparaît comme l’un des produits d’épargne les plus attractifs du moment. Un atout manifestement insuffisant pour que les 12-25 ans se ruent sur ce placement, dont ils se détournent depuis 2009. Pourquoi ? Etat des lieux.

7,57 milliards d’euros, c’est le montant total record ayant été comptabilisé sur les Livrets Jeunes selon la Banque de France. Un record qui date du mois de janvier 2009 pour ce produit d’épargne créé en 1996. Depuis, l’encours n’a cessé de baisser, lentement mais sûrement. En l’espace d’un an, en 2009, 174 millions d’euros ont disparu du Livret Jeune. Puis les décollectes se sont enchaînées : -181 millions en 2010, -51 millions en 2011, -51 millions à nouveau en 2012, -64 millions en 2013, et -110 millions en 2014.

Un détail à l’échelle de l’ensemble des produits d’épargne, les collectes ou décollectes du Livret A se chiffrant plutôt en milliards. Le Livret Jeune reste il est vrai un produit très spécifique : totalement défiscalisé comme le Livret A ou le LDD mais réservé aux 12-25 ans et plafonné à 1.600 euros. Des caractéristiques qui n’expliquent pas, cependant, la lente régression observée depuis 2009. Surtout que, si chaque banque fixe en toute liberté le taux de ce produit d’épargne, les rendements descendent très rarement en-dessous de 2% et montent parfois autour de 3% comme l’illustre le relevé opéré par cBanque sur le Livret Jeune.

Un Livret A pour tous mais moins de Livrets Jeunes

Comment expliquer ce déclin ? Non pas par une évolution propre au Livret Jeune mais par l’ouverture du Livret A à toutes les banques au 1er janvier 2009. Un privilège jusqu'alors réservé à la Caisse d’Epargne, à la Banque Postale et au Crédit Mutuel (Livret Bleu). Cette ouverture a eu un impact immédiat sur les produits premier âge : « Avant, nous proposions des comptes sur livret [fiscalisés, NDLR] à taux boosté pour les enfants », rappelle Stéphane Ibanez, responsable des produits d’épargne à la Société Générale. « Ces livrets Eurokid étaient automatiquement fermés aux 12 ans de l’enfant. Ce qui permettait mécaniquement de faire la bascule vers le Livret Jeune. Aujourd’hui, les parents prennent le plus souvent un Livret A pour leurs enfants. » La Société Générale a donc stoppé la commercialisation des livrets Eurokid. Résultat : « Il n’y a plus cet effet bascule au douzième anniversaire. »

La Société Générale voit ainsi le montant de ses Livrets Jeunes décroître depuis 2009, comme au niveau national. En termes comptables, l’enjeu n’est pas énorme. L’encours du Livret Jeune est d’environ 500 millions d’euros dans la banque rouge et noire, contre 273 milliards d’euros pour l’ensemble des dépôts et de l’épargne financière fin 2014. Et l’établissement annonce 830.000 Livrets Jeunes, avec 600 euros dessus en moyenne, pour 10,7 millions de clients particuliers au total.

« Un élément de fidélisation »

Si l’enjeu financier paraît anecdotique, le Livret Jeune reste un produit stratégique de par le public ciblé. « Nous utilisons ce produit comme un élément de fidélisation » explique Stéphane Ibanez, un « effort au niveau de la rémunération » étant consenti pour attirer les adolescents et les jeunes actifs : « Au taux où nous le proposons [2,25% actuellement à la Société Générale], il est évident que nous ne cherchons pas à faire une marge importante. »

Quid de l’évolution dans les établissements qui proposaient déjà le Livret A avant 2009 ? Etonnamment, la Banque Postale affirme aussi observer une décollecte « depuis plusieurs années », sans livrer de chiffres. Ce qui laisse penser que la généralisation du Livret A n’est pas la seule cause de la désaffection. La responsable épargne de la Banque Postale, Emmanuelle Thiébaut, l’explique par la conjoncture : « En période de crise, les jeunes sont particulièrement touchés et leurs capacités d'épargne s'en trouvent amoindries. »

Perte de parts de marché chez les jeunes

Autre explication : les réseaux bancaires « traditionnels » perdraient des parts de marché auprès de la population concernée. Stéphane Ibanez, responsable des produits d’épargne, le confirme à demi-mot : « Sur le créneau 18-24 ans, les banques en ligne prennent également des parts de marché, en particulier grâce à des avantages tels que les cartes bancaires gratuites. Mais elles offrent souvent une gamme de produits plus réduite que les grands réseaux et elles ne proposent pas toujours un Livret Jeune aux clients qui y sont éligibles. » Or, le comportement des étudiants et jeunes actifs a une forte incidence sur l’état de forme de ce produit d’épargne : à la Société Générale, les majeurs concentrent deux tiers de l’encours du Livret Jeune.

Pour les deux banques contactées, si l’attrait pour ce produit faiblit, ce n’est pourtant pas faute d’en faire la promotion : « Nous mettons toujours autant en avant nos offres jeunes, voire même plus », assure la Banque Postale. La Société Générale le préconise quant à elle « en premier lieu » à ses « clients 12-24 ans », avant le Livret A. D’où une situation « paradoxale » pour Stéphane Ibanez avec un Livret Jeune au taux « presque décorrélé du marché, avec un écart de rémunération très net par rapport au Livret A ». Même remarque à la Banque Postale : « Comparé aux baisses récentes du taux du Livret A par exemple, le taux du Livret Jeune n'a pas plus diminué », souligne Emmanuelle Thiébaut. Si le « Livret Jeune Swing » de la filiale de La Poste est passé de 2,25% à 2% au 1er octobre dernier, sa rémunération est en effet toujours restée supérieure d'un point à celle du Livret A au cours des quatre dernières années.

Relancer ce produit spécifique ?

Outre les aspects communication et sensibilisation, une relance de ce produit pourrait passer par une évolution de ses caractéristiques. Son plafond, à 1.600 euros, n’a pas évolué depuis le passage à l’euro en 2002. Le relever ? « Aujourd’hui, il est extrêmement bas », reconnaît Stéphane Ibanez. « Nous y serions favorables puisque cela redonnerait de l’attrait à ce produit. » Tout en reconnaissant qu’un relèvement du plafond entraînerait une baisse des rendements. De toute manière, à sa connaissance, toucher au plafond « n’est pas à l’ordre du jour ».