Il y a une semaine, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de l’autorité de régulation du secteur de l’assurance, a demandé aux assureurs une baisse significative du rendement de leurs fonds en euros en 2014. Pourquoi cette intervention ? Quels risques court le secteur dans le contexte actuel ? Le point de vue de Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet Facts & Figures.

Cyrille Chartier-Kastler, que vous inspire la récente intervention de Christian Noyer ?

« C’est une mesure de prudence, à destination d’un secteur qui fait face actuellement à une collecte trop importante sur ses fonds en euros [plus de 17 milliards d’euros en 2014, à fin septembre, NDLR], au regard des opportunités de placement. Ces fonds en euros subissent en effet une forte inertie. Le rendement affiché aujourd’hui dépend à 85% d’actifs acquis au cours des années antérieures : c’est pourquoi l’assurance-vie est aussi intéressante pour l’épargnant. Dans le même temps, le marché obligataire affiche des taux très bas. Les sociétés d’assurance sont donc prises au piège : elles ne peuvent pas refuser l’épargne des Français et se retrouvent à acquérir des milliards d’euros d’OAT 10 ans [obligations assimilables du Trésor, emprunts d’Etat français, NDLR] au taux dérisoire de 1,2%. »

Quel est le risque pour les assureurs ?

« Le scénario, noir mais plausible, est celui d’une brusque remontée des taux obligataires, suite par exemple à une dégradation de la note de la dette française, dans un contexte où les épargnants se détournent de l’assurance-vie en euros à cause de rendements trop faibles. Le secteur pourrait alors se retrouver confronté à une vague massive de rachats à perte, qui le fragiliserait. Prévenir ce scénario, c’est le sens de l’intervention de Christian Noyer. »

Cette intervention a soulevé des critiques, de l’association d’épargnants AFER notamment. Est-elle légitime, selon vous ?

« Bien sûr, il est dans son rôle de président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). L’assurance-vie est un secteur très réglementé. Il faut rappeler qu'en dernier recours, pour éviter la faillite d'un assureur, l’ACPR a le pouvoir de bloquer tous les retraits de ses clients sur les fonds en euros (1). Son intervention, qui est une première à ma connaissance, arrive donc au bon moment, à quelques semaines des premières annonces de rendements pour 2014. »

Les sociétés d’assurance vont-elle entendre le message ?

« Elles ne peuvent pas ne pas l’entendre ! Elles vont devoir baisser la rémunération de leurs fonds en euros pour faire baisser la collecte, et provisionner pour les années à venir. Je m’attends donc pour 2014 à un taux moyen de 2,20%, et à un rechargement des provisions pour participation aux excédents (PPE) de l’ordre de 0,30 à 0,40%. Les assureurs vont également devoir mettre tout en œuvre pour faire remonter le niveau des unités de comptes dans la collecte, en communiquant plus sur ce sujet et en multipliant les bonus qui permettent de réserver les meilleurs rendements aux épargnants disposant d’un bon pourcentage d’unités de compte. »

(1) L'article L612-33 du code monétaire et financier permet en effet au régulateur d'ordonner à un assureur de « suspendre ou limiter le paiement des valeurs de rachat, la faculté d'arbitrages, le versement d'avances sur contrat ou la faculté de renonciation ».