Le nouveau cadre réglementaire du financement participatif est entré en vigueur hier. Censé favoriser le développement du crowdfunding en France, il n'avantage cependant pas tous les acteurs. Les points de vue croisés de Charles Egly, co-fondateur de la plateforme de crédits aux ménages Prêt d’Union, et de Thierry Merquiol, fondateur de la plateforme d’investissement collectif en entreprises Wiseed.

Etes-vous satisfaits du nouveau cadre réglementaire du crowdfunding ?

Thierry Merquiol : « C’est l’aboutissement d’un processus lancé en janvier 2013 lors des Assises de l’entreprenariat. Donc oui, nous sommes satisfaits, car cette nouvelle réglementation correspond aux besoins de la profession. Le relèvement du seuil d’investissement par projet de 100.000 à un million d’euros nous ouvre de nouvelles perspectives. Cela va nous permettre de renouer avec notre mission d’origine : démocratiser l’investissement dans les entreprises. Avec un seuil à 100.000 euros, nous nous limitions à 150 investisseurs par projet, avec un ticket d’entrée récemment relevé à 500 euros. Avec ce nouveau seuil, nous allons pouvoir proposer un ticket d’entrée de 100 euros. »

Charles Egly : « C’est une bonne chose car cela favorise l’émergence de nouvelles plateformes de crowdfunding. Mais ce nouveau cadre ne concerne pas tout le monde. Il y a quatre catégories d’acteurs dans le financement participatif : le don, le crédit aux ménages, le crédit aux entreprises et l’entrée au capital des entreprises, ou equity. Cette réforme ne concerne que les deux dernières catégories ! Les plateformes de crowdfunding de prêts aux particuliers, à l’image de Prêt d’Union, ne sont pas concernées par le nouveau statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP), qui ne s’applique qu’aux plateformes de prêts aux entreprises. Pour le crédit aux ménages, il est toujours nécessaire de disposer d’un agrément d’établissement de crédit et d’un agrément de prestataire de services d’investissement. Il était plus simple de réformer le crédit aux entreprises. Toucher au crédit aux ménages aurait demandé de réformer le droit bancaire. »

Pouvez-vous chiffrer les perspectives offertes par ce nouveau cadre ?

Thierry Merquiol : « En 2013, nous avons financé dix entreprises. Nous allons faire le double en 2014. Et nous visons 50 entreprises financées en 2015, près de une par semaine ! Ce nouveau cadre nous permet de quitter le flou réglementaire qui, jusqu’à présent, était préjudiciable au secteur. »

Charles Egly : « Etant sur un segment à part du crowdfunding, le crédit aux ménages, ce nouveau cadre ne nous ouvre pas directement de nouvelles perspectives. Mais notre activité se développe tout de même : 11 millions d’euros de crédits financés en 2012, 43 millions en 2013, et nous devrions atteindre les 80 millions en 2014. Nous avons à ce jour 11.000 emprunteurs pour 2.000 prêteurs. »

Profitez-vous de la médiatisation actuelle du secteur pour faire de la publicité ?

Thierry Merquiol : « Nous sponsorisons l’émission ''3 minutes pour convaincre'' sur BFM Business. Les retombées sont perceptibles. »

Charles Egly : « Une grosse campagne de communication coûte cher. Nous n’avons rien de prévu avant 2015. Et si nous lançions une campagne, nous privilégierions le web à la télévision ou la radio. »

Pensez-vous que le profil des particuliers utilisant votre plateforme, emprunteurs ou investisseurs, va évoluer ?

Thierry Merquiol : « Aujourd’hui la plupart des plateformes de crowd equity affichent un ticket moyen de 8.000 à 15.000 euros. Il s’agit donc d’un public avant tout intéressé par la défiscalisation. Nous, nous tenons à rester accessibles à la foule (crowd en anglais, NDLR). Le ticket moyen de nos investisseurs est actuellement de 2.500 euros, et il n’a cessé d’augmenter ces dernières années : il était de 450 euros en 2009. En rabaissant notre ticket d’entrée par projet à 100 euros, grâce à cette réforme, nous pensons que nous allons réussir à stopper cette augmentation du ticket moyen des investisseurs et qu’il devrait se stabiliser à 2.500 euros. Notre objectif est de multiplier notre nombre d’investisseurs. Nous avons actuellement 30.000 membres. Nous aimerions atteindre 150.000 fin 2015. »

Charles Egly : « Nous avons deux catégories principales d’emprunteurs : les 35-45 ans et les plus de 55 ans. Ce sont majoritairement des hommes (65%) et ils empruntent en moyenne 9.000 à 10.000 euros (1). Côté investisseur, nous avons 8% de personnes morales (fondations, petites entreprises, etc.). En ce qui concerne les personnes physiques, il s’agit soit d’investisseurs patrimoniaux, c’est-à-dire plutôt des gens qui paient l’ISF, soit de boursicoteurs. »

Quelle mesure appelez-vous de vos vœux pour élargir votre cercle d’investisseurs ?

Charles Egly : « L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’Autorité des marchés financiers (AMF) nous demandent de restreindre aux investisseurs avertis (2) l’accès à nos offres de placement. Les autres plateformes n’ont pas cette contrainte ! Nous souhaitons ne plus subir cette restriction. Investir dans le crédit aux particuliers, en mutualisant les risques via des fonds obligataires, est moins risqué que d’investir en bourse ! C’est même moins risqué que d’investir dans bien d’autres plateformes de crowdfunding. »

Les interviews de Charles Egly et Thierry Merquiol ont été réalisées distinctement, par téléphone. Ils n’ont donc pas pu réagir aux propos de l’autre interlocuteur.

(1) Il s’agit majoritairement de crédit à la consommation : 49% pour des « multi-projets », 19% pour des travaux, 17% pour un véhicule, 11% pour un équipement électroménager.

(2) Les particuliers peuvent être catégorisés comme investisseurs avertis mais pour cela ils doivent respecter deux des trois conditions suivantes : être un investisseur « actif » sur les marchés boursiers ; avoir travaillé au minimum un an à un poste lié à la finance d’entreprise, la finance de marché, la banque ou l’assurance ; détenir un patrimoine financier de 500.000 euros minimum.