Vendredi dernier, le ministre de l’Economie Pierre Moscovici et la ministre déléguée aux PME et à l’économie numérique Fleur Pellerin ont annoncé un assouplissement des règles encadrant le financement participatif en France, promettant une ordonnance dès le mois de mars puis des décrets d’application avant l’été. De quoi accélérer le développement de ce secteur émergent. Jusqu’ici, les banques se sont globalement contentées d’observer ou de nouer des partenariats avec les plateformes de crowdfunding. Cette fois, vont-elles réagir ? Thibaut de Lajudie, associé du cabinet conseil Ailancy (1), pense que oui.

Thibaut de Lajudie, les mesures annoncées vendredi vous paraissent-elles positives ?

« C’est très positif dans le sens où cela permet d’alléger un certain nombre de limites qui existaient auparavant. La principale mesure concerne les levées de fonds. Désormais, en dessous d’un million d’euros, il n’est plus nécessaire de rédiger un prospectus financier, un document très lourd, de l’ordre de 200 pages. Auparavant, le seuil était de 100.000 euros. Cela va permettre d’avoir un éventail de projets plus large. L’autre grande avancée concerne le renforcement de la protection de l’investisseur notamment avec la création d’un label. »

Vous conseillez aux banques de se positionner sur ce marché. Pourquoi ?

« Longtemps, ce secteur représentait quelque chose d’anecdotique, plutôt associé à l’économie solidaire qu’à un vrai financement de l’économie. Mais il existe aujourd’hui une quarantaine de plateformes en France, réparties dans trois grandes familles : le don, le prêt et le financement des entreprises via une entrée au capital. En ce qui concerne le don, les banques n’ont probablement aucun intérêt à s’intégrer à ce système. En revanche, pour les deux autres formes de crowdfunding, cela entre dans le périmètre des banques. Leurs clients ayant un profil d’investisseurs actifs peuvent désormais choisir de se rendre sur une plateforme pour choisir leurs placements plutôt que de passer par une banque où le projet qui sera financé in fine paraît bien moins concret. »

Les banques craignent-elles réellement cette nouvelle concurrence ?

« Non, pas pour l’instant, car les sommes drainées restent faibles (2). Mais ce secteur a un très fort potentiel de croissance. Le bon réflexe, du point de vue d’un banquier, est de faire un choix dès à présent par rapport à cette nouvelle filière. Soit en restant à l’écart. Soit en se positionnant en prestataire technique auprès des plateformes. Soit en voyant cette filière comme une nouvelle concurrence au niveau des particuliers. Tout dépend évidemment du public. Une clientèle retraitée et régionale n’ayant pas accès à internet restera très captive. En revanche, la clientèle des banques en ligne, plutôt informée et parfois avec un profil d’investisseur, peut être attirée par ces nouveaux canaux. »

Jusqu’à présent, les banques nouent des partenariats. Vont-elles créer leurs propres offres ?

« Elles se sont cantonnées à un rôle de simples partenaires parce que le cadre réglementaire était contraignant. Maintenant, aux banques de décider ! Le partenariat va les amener à fournir une aide technique, marketing ou financière à une plateforme. Nous pouvons cependant imaginer que, d’ici 3 à 5 ans, les plateformes de crowdfunding soient plus imbriquées dans les différentes filières de la banque. Elles pourraient alors permettre de mettre en relation des clients entreprises, en recherche de financement, et des clients particuliers, investisseurs. La banque peut en outre apporter certaines plus-values par rapport à ce qui existe aujourd’hui en termes de financement participatif. Les plateformes, à quelques exceptions près, ne notent pas les différents projets. Elles ne sont pas à même d’évaluer le risque pour l’investisseur que représente tel ou tel projet. Seul le public vote. »

Quelle est la meilleure stratégie actuellement selon vous : le Crédit Mutuel Arkéa actionnaire de Prêt d’Union, La Banque Postale partenaire de KissKissBankBank, etc. ?

« Le modèle choisi par La Nef avec Prêt de chez moi me semble porteur. Ils proposent aux investisseurs de miser sur des projets proches de chez eux et La Nef supporte une partie du risque via un système de nantissement (3). Ainsi, si le projet ne fonctionne pas, l’investisseur ne perd pas toute sa mise. Cette logique, ici utilisée pour une plateforme de prêt, fonctionne aussi dans la logique pour les plateformes proposant d’entrer au capital des sociétés. Si une entreprise lève un million d’euros, une banque ou l’une de ses filiales peut dire qu’elle achète 200.000 euros, laissant les 80% restants aux particuliers. La banque offre ainsi une certaine garantie aux investisseurs. En un sens, elle le labellise. Elle peut aussi suivre le projet sur la durée pour accompagner l’entreprise et ainsi s’assurer que l’investissement ne se fasse pas à perte. Cela profite à tout le monde. Les banques peuvent s’investir de cette manière : plutôt que d’être un simple partenaire marketing, choisir de devenir un véritable acteur autour de la gestion du risque et du financement de ce risque. »

L’investissement socialement responsable (ISR) peine à séduire les particuliers. En quoi le crowdfunding a-t-il plus de potentiel ?

« Je trouve cela plus lisible puisque nous sommes sur un projet unitaire. Avec un fonds ISR, vous ne connaissez pas intimement les différentes valeurs présentes dans le portefeuille. »

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(1) Ailancy est un cabinet de conseil en organisation et management spécialisé dans le domaine de la banque, de la finance et de l’assurance.

(2) Selon les données communiquées lundi par le cabinet conseil CompinnoV et par l’association Financement participatif France, dans le cadre de leur « baromètre du financement participatif », la collecte 2013 du crowdfunding, toutes familles confondues, a été de 78,3 millions d’euros, soit un montant trois fois plus élevé qu’en 2012.

(3) Dans sa foire aux questions, sur le site de Prêt de chez moi (www.pret-de-chez-moi.coop), la société financière de La Nef explique le nantissement du dépôt comme « un acte juridique qui vous engage à abandonner une partie de votre dépôt en cas de non remboursement par l’emprunteur de tout ou partie du prêt qui lui a été consenti ». La part du dépôt nantie peut aller de 25% à 75%. La Nef affirme par ailleurs mettre en œuvre ses moyens de recouvrement en cas d’impayés.